Le dernier monde (Céline Minard, 2007)

Publié le 30 Septembre 2016

Après un incident, l'évacuation d'une station spatiale orbitale est ordonnée. Forte tête, Jaume Roiq Stevens refuse d'obéir et décide de rester là-haut, tout seul, ignorant les messages qui lui viennent d'en-bas. Jusqu'au jour où il arrête d'en recevoir, et commence à prendre peur, d'autant qu'il a l'air de se passer des choses étranges sur Terre.
Où une surprise de taille l'attend : il n'y a plus personne. Personne n'est venu le récupérer à son atterrissage, à côté de Cap Carnaveral. Personne sur les plages, personne au centre spatial. Personne à Miami. Ou plus exactement : les humains ont disparu, laissant des vêtements vides au sol, comme s'ils s'étaient volatilisés. Mais les oiseaux, reptiles, mammifères, insectes et toutes sortes de plantes abondent. Guetté par une forme de folie, s'inventant des compagnons d'infortune, Stevens parcourt le monde, passant par les steppes russes, les montagnes chinoises, les temples indiens, guidant d'immenses troupeaux de cochons, fuyant les chiens enragés, détruisant des barrages...

Le roman prend la forme du journal étrange et bigarré de Stevens, d'abord écrit à la première personne, puis à la troisième, au fur et à mesure que celui-ci fuit la folie. Il s'accompagne de compagnons croisés sur le chemin : des personnes souvent réelles mais volatilisées comme les autres dont Stevens découvre les traces, qui dialoguent et parfois prennent en charge le récit.
L'écriture de Céline Minard est dense, riche et complexe, et s'étoffe au fil du roman. Poétique, métaphorique, érudite, elle prend tout le poids de la solitude de Stevens. S'y croisent notations géographiques, considérations politiques, beaucoup de mythes des différentes régions du globe traversées par Stevens infusent également le récit. Alors oui, c'est parfois compliqué, voire abscons, mais c'est fascinant et puissant. Et ça vaut le coup de s'accrocher rien que pour la/les scène(s) de sexe au milieu du livre, mêlant l'intimité à la planète entière, incluant les montagnes, les océans, les falaises et les rivières, qui est grandiose et fantastique.
Cela dit, Le dernier monde est à mon avis trop long. Le roman patine pendant à peu près une centaine de pages, pendant les étapes mongoles, chinoises et indiennes. Ce sont celles où la folie de Stevens est la plus présente, où le récit est sans cesse contaminé par des mythes, par des digressions poétiques, par un sentiment profond de l'immensité et de l'ancestralité du monde. Je l'ai dit, il y a de très belles pages, Céline Minard écrit très bien, mais c'est trop long pour moi*. Quand le récit reprend le dessus, à l'arrivée en Afrique, j'ai été soulagé et j'ai repris pied avec plaisir dans ce –malgré tout – formidable roman.

Roman qui m'a rappelé et ne m'a pas rappelé La Route de Cormac McCarthy : ce sont les deux romans de « fin du monde » que j'ai lus ces dernières années, je ne pouvais pas ne pas les rapprocher, et pourtant rien de plus opposés que ces livres-là. La Route est austère, gris, froid, tendu, sec (du moins comme je m'en souviens), alors que Le dernier monde est riche, coloré, luxiriant.

J'ai lu pour l'instant trois livres de Céline Minard, soit Faillir être flingué et Bastard Battle. Un western, un pastiche médiéval tarantinesque et un roman de fin du monde, soit trois genres très différents qu'à chaque fois Céline Minard s'approprie. Je ne peux pas ne pas penser à Jean Échenoz, encore lui, qui a lui aussi commencé par aborder le roman de genre, un par un. Sa subversion était sans doute plus maline (aussi dans le sens de « faire le malin ») ; il n'empêche que je suis curieux de savoir ce que réserve Le Grand jeu, le dernier livre de Minard.

 

* Cette impression est sans doute renforcée par le fait que j'ai lu ces pages à un moment où je n'avais pas vraiment le temps de lire, genre de 2 pages le soir avant de m'endormir sur le livre ; ma lecture très hachée de ces passages a évidemment contribué à me faire perdre pied. J'ai quand même l'impression que c'est un défaut du livre mais peut-être suis-je le fautif.

Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #Céline Minard, #science-fiction, #France

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