Publié le 12 Mai 2025
/image%2F0702220%2F20250512%2Fob_a59c54_image-0702220-20210331-ob-3bbfd8-divul.jpg)
Ça commence en Algérie, avec Ali le grand-père, devenu riche par hasard, grâce à une presse à huile d’olive déposée par les flots. Il croit fermement que c'est juste le destin, mektoub. Il a fait la guerre 39-45 en France mais n’en parle pas ; il a eu plusieurs femmes, et enfin un premier fils, Hamid.
Puis c'est la guerre d’Algérie, et l'arrivée du FLN. Ali se méfie d’eux, de leur amateurisme et de leur violence : il choisit plutôt de discuter avec les militaires français. Quand les choses se corsent et que les affrontements s’intensifient, Ali comprend que ses jours sont comptés dans son village : il ne lui reste alors plus qu'à partir en France, ce pays si lointain dont il a la nationalité sans même en parler la langue.
Ce sont les bidonvilles du camp de Rivesaltes qui accueillent Ali et sa famille (sa femme Yema, les enfants Hamid, Dalila et Kader). Après quelques mois, ils sont installés au Logis d’Anne (près d'Aix-en-Provence), où Ali travaille à l’Office national des forêts – il est une des petites mains qui entretiennent les bois.
La famille est ensuite réinstallée, aux côtés d’autres Algérien·nes, dans une cité HLM à Flers, et c'est à l'usine qu'Ali est embauché – dans des conditions déplorables. Hamid, qui apprend vite de devient un bon élève, devient l'écrivain public, l'avocat, l’assistant de tous les adultes de la cité, qui ne savent pas lire le français.
En arrivant au lycée, Hamid (toujours excellent élève) commence à se politiser, dans l’effervescence qui suit Mai 68. Le fossé se creuse de plus en plus avec son père, incapable d’expliquer la suite d’événements qui l’ont forcé à quitter l’Algérie.
Le bac en poche, Hamid s'amuse avec ses amis Gilles et François ; il fait aussi face au racisme, ou à des Algériens qui accusent Hamid d'avoir un père traître à l’Algérie. Les trois amis passent un été à Paris, Hamid y rencontre Clarisse et s’installe avec elle.
Il a honte de son histoire et a peur qu’elle le juge ; cette « guerre du silence » dure sans doute trop longtemps mais elle prend fin. Hamid rencontre les parents de Clarisse (des bourgeois de province mal à l’aise face à leur beau-fils, qui le cachent en ne parlant que de la pluie et du beau temps) ; Clarisse rencontre les parents d’Hamid (la barrière de la langue, la réconciliation tacite avec le père d’Hamid).
Clarisse et Hamid ont quatre filles : Myriem, Pauline, Naïma et Aglaé.
Naïma travaille dans une galerie d’art contemporain. Christophe, le galeriste/amant, lui propose de s’occuper de la rétrospective de Lalla, un peintre et dessinateur algérien, de la génération d’Ali. Sévèrement malade, Lalla raconte ses années algériennes à Naïma, qui se rend compte qu’elle ne connaît rien de ce pays, et constate que son père Hamid reste silencieux sur ses souvenirs.
Elle doit traverser la Méditerranée pour récupérer des originaux, et ce voyage algérien ne pourra pas être seulement professionnel. Elle y rencontre des hommes accueillants, se retrouve un peu perdue dans ce pays d'où elle vient sans le connaître. On lui propose d’aller voir le village de son grand-père, perdu dans la montagne, « aux mains des barbus »… Naïma est à la fois en terrain familier et étrangère à ces gens de sa famille qu’elle rencontre.
À son retour en France elle est au centre de l'attention de sa famille : c'est probablement la première à être retournée en Algérie ! Sa grand-mère Yema aimerait y retourner, mais elle n'y connaît plus personne : « je ne voudrais pas rentrer chez moi et dormir à l’hôtel ». Ça se termine par l’exposition des œuvres de Lalla.
* * *
Cette vaste fresque sur l'Algérie, sur les Harkis et les générations qui suivent est très belle. On y devine une belle part d'autobiographie ; le roman a l'avantage de combler les vides laissées par l'histoire familiale. L'écriture est subtile et efficace, sans effets inutiles, d'une grande finesse dans le travail sur les personnages.
J'ai l’impression de m'être un peu documenté sur l’Algérie et son histoire coloniale, et pourtant rien de tout ce savoir n’arrive à la hauteur de ce roman pour me faire comprendre cette histoire – je suis par ailleurs bien conscient que ce livre n’est pas un cours, et qu'il est par définition plein de vides. Mais passer autant de temps avec ces personnages m'en offre une expérience sensible (les oliviers et les montagnes algériennes, la boue des camps, l'impossible silence dans lequel les harkis se murent…) qui me restera sans doute longtemps en mémoire.