Publié le 29 Juillet 2013

Semailles humaines (The Seedling Stars), James Blish, 1957

Ce roman, vaste et étendu, est construit en 4 parties, qui racontent différentes étapes d’un même processus de panthropie. Contrairement à Homme Plus, ici l’adaptation de l’homme est génétique : il s’agit de créer de nouvelles races d’humains semblables à nous, mais conçus pour survivre sur d’autres planètes (et qui mourraient très rapidement sur Terre).

Tout commence sur Ganymède, la troisième lune de Jupiter, où une population d’humains adaptés pacifiques vit depuis plusieurs années. Ils ont des projets qui ne plaisent pas tellement aux gouvernements Terriens, ils envoient donc Sweeney, un adapté élevé sur Terre, pour infiltrer la colonie de Ganymède et contrecarrer leur plans. Sweeney a subi un très fort conditionnement sur Terre, il est élevé pour détester ses semblables et tout faire pour les arrêter. Sauf que c’est un malgré tout un humain : il tombe amoureux, il finit par s’attacher aux adaptés. Il découvre leur projet secret : envoyer des humains adaptés à différents environnements dans tout l’univers, « semer » l’humanité un peu partout dans tout l’univers. Sweeney se retournera contre les Terriens, et permettra le départ d’une première fusée vers une destination inconnue.

On se retrouve ensuite sur la planète Tellura. Des humains « semés », simiesques (queue, poils...), assez craintifs, vivent dans les arbres depuis plusieurs générations. J’imagine que ça ressemble un peu au monde des Ewoks (en moins pelucheux). Les semeurs ont laissé des traces de leur venue, mais ça a été transformé au fil des générations, et c'est devenu un mythe/une croyance religieuse : des Dieux Géants sont arrivés sur la planète et ont créé les hommes. Certains individus critiquent ces mythes, soit parce qu’ils n’y croient pas du tout, soit parce qu’ils pensent que tout ça est métaphorique. En tant qu’hérétiques, ils sont condamnés à vivre en Enfer (c’est-à-dire au sol) au milieu des Démons (des dinosaures), ils sont donc voués à une mort certaine. Sauf qu’ils survivent (bon, ils en perdent un ou deux en route). Après avoir buté un ou deux dinosaures, ils tombent sur des géants qui sortent de leur vaisseau (des semeurs humains, on ne saura pas si c’est des Terriens ou autre...) Les hérétiques sont complètement terrorisés, ils pensent être face à des Dieux. Les semeurs leur expliquent que pas du tout. Les humains qu’ils ont placé ici ne devait vivre dans les arbres que le temps de s’habituer, d’acquérir un savoir-faire technique etc, mais ils devaient rapidement descendre sur le sol, pour fonder une vraie civilisation. Du coup les « hérétiques » sont les précurseurs d’un nouvel âge sur Tellura, et il leur revient d’être les nouveaux maîtres de cette civilisation à venir.

La troisième partie se situe sur la planète Hydrot, presque entièrement aquatique. Les humains placés ici sont microscopiques (la vie qui existe sur cette planète est elle-même microscopique, il faut adapter l’humain à son environnement), et conçus pour la vie aquatique (palmes, système de respiration, hibernation dans une sorte de coquille l’hiver). On suit la guerre des humains, assistés de quelques organismes locaux eux aussi intelligents, contre les « dévorants », et la conquête de l’environnement par les humains. Après quelques générations, les humains sont bien installés, et la question se tourne vers leur origine : les semeurs ont laissé deux plaques avec des inscriptions expliquant tout le processus, mais une des plaques a été perdues pendant la guerre, et le reste du message est incompréhensible : il y est question d'étoiles, de vaisseau et de trucs bizarres dans le genre. Ils finissent même par jeter la plaque restante, parce qu'il faut aller de l'avant, ça suffit ces vieux machins poussiéreux. Mais on n'évacue pas cette question aussi rapidement, et ces mystérieuses étoiles continuent de travailler les habitants de la planète. Après une tentative ratée de sortir voir comme c'est là-haut à l'air libre, ils construisent un gigantesque vaisseau (5cm !) permettant de sortir de l'eau, de voir la terre et les étoiles, et éventuellement de découvrir de nouveaux mondes (c'est-à-dire d'autres étendues d'eau un peu plus loin).

La quatrième partie est un dialogue entre un capitaine de vaisseau humain « de base » allant sur Terre et un être humain adapté, à moitié phoque. Les humains adaptés sont devenus l'espèce majoritaire dans l'univers, et les humains Terriens une minuscule minorité. La Terre est devenue un désert aride et inhabité, au point qu'on ne sait plus trop s'il y a eu des humains là-bas un jour. Est abordée la question du racisme entre différentes espèces humaines, et le sentiment de supériorité imbécile des humains « de base ».

L'ampleur et l'ambition du roman sont assez vertigineuses : l’ensemble se déroule sans doute sur plusieurs centaines d’années et plusieurs milliards de kilomètres : déjà rien que Ganymède est à 600 millions/1 milliard de kms de la Terre, ça dépend des rotations, ce qui est pas mal. L’écriture est très intéressante, froide et distante. Il y a peu de descriptions, et James Blish distille ses informations avec parcimonie : par exemple on ne se fait une image des différentes espèces qu'au fil d'indices disséminés ici ou là. C’est un peu frustrant, mais c'est très riche : on peut s'imaginer énormément de choses (et c'est pour ça que c'est un roman inadaptable en film/BD : chacun se fait littéralement une vision différente, c'est un coup à décevoir tout le monde de mettre ça en image). J’aime bien le retard de la compréhension qu'il cultive : on ne saisi pas tout immédiatement, même si on a une vision globale, et les détails s’affinent au fur et à mesure. Le travail sur les différentes mythologies créées par les humains dans l’univers est aussi très intéressant, et assez drôle.

Malgré tout, ce livre décrit une colonisation, et on peut avoir des réticences à cette idée : pour quelle raison l'humanité serait-elle la meilleure chose de l'univers, et mériterait donc envahir la totalité du monde ? Pour montrer sa supériorité ? J'avoue avoir un doute sur ce principe. Il n’y a heureusement pas dans le roman de bondieuseries (« c’est normal que l'Homme colonise l'univers, puisque Dieu a créé l'Homme à son Image ») : c’est même au contraire complètement tabou de créer de nouvelles espèces d’humains. Ce mini point noir ne m'a pas empêché d'adorer ce roman vaste et intelligent (et qui n'a pas du tout vieilli, contrairement à Homme Plus).

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Publié le 23 Juillet 2013

D'après Saul Bass, affiche d'Anatomy of a Murder

Homme Plus (Man Plus), Frederik Pohl, 1976

On est dans le futur. C’est la merde sur Terre, deux-trois gros blocs s’affrontent et les guerres thermo-nucléaires menacent partout (c’est écrit en pleine guerre froide, à ce genre de détails on le sent un peu). Le Président majuscule des États-Unis d’Amérique a un grand projet pour amener la Paix sur Terre : coloniser Mars (« Ça va redonner de l’espoir à l’humanité, et puis ça détournera l'attention quelques temps. »)
Dans la SF (mais pas que), il y a deux pistes pour coloniser Mars : la terraformation, c'est-à-dire petit à petit rendre la planète vivable, en créant une atmosphère etc, et la panthopie, ie adapter l’homme aux conditions de vie sur les autres planètes. Ici la solution combine les deux : il s’agit d’envoyer un être humain « augmenté » (un « homme-plus ») qui lancera un processus de terraformation.
Le principe est simple : on prend un humain normal, on le démonte complètement, et on le remonte en mieux. C’est plutôt bien fichu : yeux en cristal pour pas qu’ils éclatent sous le manque de pression, muscles bioniques, panneaux solaires pour alimenter en énergie l’ordinateur intégré, système digestif réduit à presque rien, peau artificielle... Tout est pensé pour Mars, son atmosphère très spéciale, son absence de nourriture, sa gravité faible. Sur Terre, ce « monstre » est pataud, lourd et pas adapté (même si super balèze avec ses muscles bioniques), sur Mars il est comme un poisson dans l’eau. C’est un sacré machin, et c’est ce qu’on appelle un cyborg.
Roger Torraway, ancien cosmonaute que j’imagine volontiers moustachu, est chargé d’être modifié, après quelques problèmes et rebondissements. Le gros du roman (on finit même par se demander s’ils iront sur Mars) raconte la transformation de Roger, son nouveau corps à appréhender, ses angoisses, sa femme qui ne vient pas le voir, et lui pense tout le temps à elle et qui a un peu peur... C’est donc finalement assez psycho dans l’approche, mais en même temps assez passionnant, parce que l’expérience et les sensations qui y sont décrites sont littéralement extra-ordinaires.
Tout un petit équipage constitué de Roger et de 4-5 cosmonautes se rend finalement sur Mars, où Roger doit entamer une processus de terraformation.
### spoiler ### passez la souris pour lire

 Mais il se trouve que sur Mars, l’ordinateur intégré à Roger se met à déconner : il entre en mode « attaque » et s’apprête à tuer les coéquipiers de Roger. Mais grâce à la force de la puissance de sa volonté de fer, Roger arrive à dépasser l’ordinateur et à empêcher le massacre.
Un tel incident n'aurait jamais dû arriver. Mais on apprend à la toute fin que c’est une ruse des ordinateurs Terriens, intelligents et machiavéliques, qui veulent détruire l’humanité et faire capoter la mission sur Mars. Ils ont faussé des résultats pour arriver à leur fin, mais qui a faussé leurs résultats, qui leur disaient que leur plan était infaillible ? (tadam, suspense non résolu).
 
### spoiler ###

C’est un roman qui est un peu daté. Il y a ce rapport à la guerre froide que j’évoquais au-dessus, il y a aussi la problématique des ordinateurs qui prennent toujours un coup de vieux dans les romans/films de ces années-là : ce sont des machins énormes, aussi puissants que ce qu’on a aujourd'hui dans le moindre téléphone portable. Il y a quand même les prémices d’internet : les 8 000 ordinateurs du monde sont en réseau, ce qui devait être impressionnant à l’époque, mais qui fait doucement rigoler aujourd’hui.
Techniquement, j’ai quand même un gros doute sur la possibilité d’entièrement démonter un corps humain pour le remonter de façon complètement différente, et que tout marche bien, le type est toujours là, pas mort, pas cassé, comme s’il se réveillait d’un gueule de bois, pas beaucoup plus. Si vous me demandez mon avis, pour adapter l’homme à des conditions de vie radicalement différentes, rien ne vaut la manipulation génétique (c’est l’objet de Semailles Humaines, de James Blish, que je suis en train de lire).
L’écriture est un peu psychologisante à mon goût, mais sans excès non plus. Il y a quelques effets de littérature intéressants, comme l’arrivée ici ou là d’un « nous » qui laisserait penser, à la manière de Flaubert, qu’« il y a quelqu’un » (un mystérieux narrateur ?). Le mystère autour de ce « nous » est intéressant, même si, entre nous, la résolution est un peu facile.
C’est quand même un roman vaste, consistant et intelligent, même si je n'irai pas jusqu'à dire que c'est de la grande littérature.

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