Publié le 30 Avril 2020

Turtle est une adolescente élevée seule par son père Martin, un immense gaillard survivaliste passionné par les armes à feu. Leur maison est une sorte de ruine, abandonnée aux plantes et aux animaux, dans laquelle ils vivent comme des réfugiés.
Martin est charismatique, très cultivé, ce qui ne l'empêche pas d'être une brute épaisse et de passer le plus clair de son temps à apprendre à Turtle à se servir d'une arme à feu, à la brutaliser, à la violenter, à la torturer et à la violer tous les soirs.
Turtle est partagée entre amour et haine pour ce père, et dans des sentiments ambivalents envers elle-même (culpabilité, haine de soi…) Elle est solitaire, n'a pas d'ami·e·s et a des difficultés de concentration à l'école.
Un jour qu'elle fugue, elle tombe sur deux ados un peu plus âgés qu'elle (ils sont au lycée), Jacob et Brett, perdus dans la forêt. Elle les aide, et passe du temps auprès d'eux, fascinée par leur humour et l'apparente légèreté avec laquelle ils abordent la vie – et un peu attirée par Jacob.
Quand elle rentre à la maison, elle se fait dérouiller par un père qui lui dit en pleurant qu'il l'aime et qu'elle est sa merveille tout en lui donnant des coups de tison brûlant. Le grand-père de Turtle découvre les marques de coups sur son corps. Lorsqu'il veut confronter Martin à ses actes (alors que lui-même n'est pas quelqu'un de particulièrement recommandable, même s'il est gentil avec Turtle), paf, il meurt d'un accident cardiaque. C'est au tour de Martin, dévasté, de disparaître.
Turtle reste quelques mois seule, à faire comme si tout allait bien et à fréquenter les deux garçons.
La parenthèse se referme quand Martin réapparaît. Cloitrée chez elle avec ce monstre, elle redoute, probablement à juste titre, qu'il aille buter Jacob si elle le contacte. D'autant plus que Martin est revenu avec Cayenne, une gamine de 10 qu'il tient aussi sous sa coupe, et dont on ne sait pas trop d'où elle sort, mais on n'est pas très rassurés quand même.
Un soir, Turtle entend Martin emmener Cayenne dans son lit. C'en est trop : elle prend ses armes, et descend dans la chambre. Suite à une longue bataille et une longue course-poursuite qui se finira en bain de sang, Turtle tue son père.

C'est un roman aussi passionnant qu'il est difficile. J'avoue être surpris par le succès de ce roman, et par le fait qu'il soit lu par des gens qui n'iraient jamais voir un film de ce genre au cinéma : on est dans le film d'horreur, dans le gore, parfois même dans le torture porn. On pourra expliquer que c'est parce que l'écriture met une distance ; pourtant je pense que je suis dans un pire état devant ce livre que devant un film – d'autant plus qu'un film, en 2h, c'est fini, là on a quand même plus de 450 pages, il faut tenir le coup. Pour autant, malgré l'épouvantable horreur du roman, Gabriel Tallent n'en fait pas trop dans le gore, il nous épargne des scènes trop violentes et insoutenables – c'est dire. Ça ne m'a pas empêché de trembler dans mon lit.
C'est en tout cas un roman magnifique, d'une force rare. Ça pourrait être juste glauque et horrible, et pourtant non, pas que, puisqu'il est très précis et méticuleux dans son écriture (description de la nature, un grand classique de la littérature américaine), et qu'il reste près du personnage de Turtle. Il rend assez bien, je trouve, l'ambivalence des sentiments et des personnages. Je l'ai dit, Turtle est tiraillée entre son amour et sa haine pour son père. Elle sait que ce qu'il fait n'est pas normal dans le fond, mais elle l'aime, elle lui trouve des excuses, elle se considère elle-même comme responsable, elle est sous sa coupe, son son charme. Elle est totalement détruite, et pourtant, elle a une force de caractère, probablement héritée de son éducation survivaliste. Son rapport à son père, tout de même, change après que celui-ci ait disparu, et qu'elle a pu goûter à ce qui ressemble à une vie « normale » auprès de Jacob et Brett. À son retour, ne reste plus que de la haine.
Bref, c'est passionnant, ça se lit comme un thriller, c'est bien écrit, très précis dans ce que ça raconte. C'est à recommander, mais en précisant quand même qu'il faut avoir le cœur bien accroché.

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Publié le 30 Avril 2020

Do the Right Thing est un film choral se déroulant dans un quartier noir-américain de Brooklyn un jour de canicule, centré sur Mookie (Spike Lee himself), employé comme livreur dans la pizzeria de Sal, italo-américain.

Et c'est absolument passionnant. C'est très ancré dans son époque, évidemment, celle des « débuts » du rap (l'ouverture du film montre Rosie Perez danser, compagne de Spike Lee dans le film comme dans le vie), des Air Jordan, des vêtements amples et de toutes les couleurs. Les personnages sont hauts en couleur, variés, attachants ; il faudrait prendre le temps de parler de chacun·e d'entre eux puisqu'ils sont tous intéressants : les acteur·trice·s sont formidables, les persos bien écrits, bien développés… C'est tout l'enjeu d'un film choral, et c'est brillamment fait.
La photo est pleine de couleur et de lumière, il y a plein de petites idées de mise en scène et de montage qui rendent le film visuellement passionnant à regarder, c'est nerveux, rythmé, enjoué, c'est formidable.

La question raciale est présente d'abord en toile de fond, avec la présence de la pizzeria italienne et de l'épicerie tenue par des Coréens, avec la police qui rôde pas loin aussi.
Les tensions vont augmenter petit à petit, jusqu'à un éclatement final, qui est à la fois un peu outré et tout en finesse : Buggin Out est révolté qu'il n'y ait que des italo-américains en portrait sur le mur de la pizzeria (en ajoutant qu'en plus Pino, le fils de Sal est bien raciste comme il faut), ça escalade avec Radio Raheem, un grand type qui écoute Public Enemy à fond, ça dégénère un peu vite en bagarre rangée avec tout le monde. La police intervient, étrangle et tue Radio Raheem. La tension est au maximum, elle éclate quand Mookie balance une poubelle dans la vitrine de la pizzeria, qui est ravagée.
(On peut s'interroger sur l'action de Mookie : est-il un vandale qui s'en fout, ou cherche-t-il à protéger Sal, avec qui il s'entend plutôt bien, en détournant l'attention sur la pizzeria ?)

Spike Lee termine le film par deux citations, la première de Martin Luther King appelant à la non-violence, la seconde de Malcom X qui explique que dans certains cas la violence peut être légitime. À part la police, qui tue et qui s'enfuit (et peut-être aussi Pino), aucun des personnages n'est vraiment méchant, chacun a des raisons qu'on comprend très bien, chacun essaye de faire « the right thing ».
Bre,f il y aurait encore plein de choses à en dire.
Au-delà de ses qualités intrinsèques (écriture, photo, réalisation) c'est un film qui m'amène à poursuivre les réflexions que posait (entre autres) Le Temps où nous chantions.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 26 Avril 2020

Les Tuche sont une famille de beaufs imbéciles qui vivent dans des clichés sur les pauvres du Nord. Un jour, ils gagnent au Loto, et réalisent le rêve de Mme Tuche : aller vivre à Monaco, dans l'espoir de rencontrer la princesse Stéphanie.

C'est un grand classique de la comédie, déjà vu des centaines de fois : mélanger les milieux sociaux et jouer des contrastes. Mais ici, de façon ma foi un peu prévisible, tout est mauvais et fainéant, des gags au scénario. Je pense notamment au personnage du grand frère, au sujet duquel manifestement tout le monde, scénaristes, réalisateur et acteur, se sont dit qu'on n'en avait rien à foutre. Les gags ne sont jamais drôles, tout est absolument cousu de fil blanc et prévisible, le scénario bien qu'indigent est pourtant par moments un peu confus, il faut le faire.

Devant ce genre de film, il est toujours intéressant de se poser une ou deux questions : de qui rit-on ? Avec qui rit-on ?
Là, la réponse est claire : on rit des Tuche, de leur bêtise, de leur beauferie, de leur accent. On ne rit que des Tuche (enfin quand on rit évidemment). On ne rit à peu près jamais avec eux, leurs blagues étant (apparemment, mais on n'est pas vraiment sûr) volontairement nulles. On ne rit jamais des Monégasques, des us des riches, on rit des pauvres.
Du début à la fin, les Tuche sont des abrutis. Ils finissent par se faire des potes à Monaco, mais on a du mal à savoir pourquoi puisque jamais le film ne nous les montre autrement que comme des abrutis. Les Tuche dévergondent un peu les riches, mais ça ne dure pas très longtemps : une fois que les Tuche se sont fait arnaquer et ont perdu tout leur argent, ils rentrent chez eux. Personne à Monaco ne songe à leur proposer de rester, non : chacun chez soi, il ne s'agit surtout pas de mélanger les classes sociales, ou de bousculer un petit peu l'ordre établi. Il y a des gens qui sont fait pour être riches, qui ont les bons usages, les bonnes manières, qui savent, et les autres qui ne sauront jmais et dont on a le droit se de moquer.
C'est donc un bon gros film de droite. On est à l'opposé d'un film comme La Vie est un long fleuve tranquille, par exemple, qui joue de la différence de classes sociales pour dégommer joyeusement dans tous les sens.

Bref, c'est de la merde. Mais ça peut faire un bon jeu à boire (tu ris tu picoles).

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Publié le 17 Avril 2020

Nous sommes en 2002. Christine a 17 ans, elle est en terminale, elle s'est donné un nouveau prénom, Lady Bird, et comme plein de jeunes filles de son âge, elle se cherche. Vivant dans la petite ville de Sacramento, elle est issue de la classe moyenne et fréquente un lycée privé catholique, où elle côtoie des gens des classes supérieures. Elle a une relation très compliquée avec sa mère, qui est une sacrée peau de vache et trouve toujours des moyens de lui balancer des piques assassines. Elle sort avec un garçon, puis le quitte en découvrant qu'il est gay ; elle abandonne sa meilleure amie pour essayer de rentrer dans le clan des filles « populaires »…

C'est pas évident de résumer ce film, dans lequel plein de petits riens se passent. C'est un film sur le passage à l'âge adulte, quand on s'interroge sur ce qu'on aimerait être plus tard, sur les choix que l'on fait, où l'on expérimente, avec des réussites et des échecs.
Tou·te·s les acteurices sont formidables, à commencer par Saoirse Ronan qui porte le film. Elle ressemble d'ailleurs un peu à Greta Gerwig, née elle aussi à Sacramento et scolarisée dans une école catholique : j'imagine qu'il y a beaucoup d'elle dans ce film. Mais c'est aussi un film choral, dans lequel les différents personnages ont tous une épaisseur. C'est bien filmé, le montage est habile, nerveux, inventif.
C'est un film beau et sensible, émouvant et touchant, qui mérite les éloges qu'il a reçus.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 16 Avril 2020

Nous sommes en 1916, en plein milieu de la Première guerre mondiale. Un général français décide d'attaquer « la fourmilière », un bastion défendu par les Allemands ; sa prise offrirait aux Français une position stratégique. Mais l'opération semble très compliquée, les troupes sur place étant rares et affaiblies.
De façon plutôt prévisible, l'assaut ne se déroule pas comme prévu : sous le feu ennemi, les troupes sont décimées, forcées à faire demi-tour, voire ne réussissent même pas à sortir des tranchées. De rage, le général ordonne de tirer sur un régiment resté dans les tranchées ; ordre refusé par les hommes sur place.
Pour l'exemple, le général demande à ce qu'on juge des soldats devant une cour martiale pour lâcheté devant l'ennemi. Le colonel Dax (Kirk Douglas), qui a mené l'assaut, fait tout pour épargner ses hommes injustement accusés.

Les Sentiers de la gloire est une dénonciation de la cruauté de la guerre, de l'obstination de la hiérarchie militaire, de l'étroitesse de vue des gradés et de l'absence d'humanité en haut lieu.
Le film se divise plus ou moins en trois parties : l'attaque, le procès, la condamnation. Le procès est le cœur du film, faisant s'opposer la hiérarchie militaire, toute engoncée dans ses règles, ses protocoles et son amour du respect des ordres, et le colonel Dax qui cherche la vérité et la justice. Les trois soldats désignés pour être jugés ne sont pas particulièrement coupables, ils ne sont là que pour l'exemple : leur procès est une mascarade. Même la révélation par Dax du fait que le général voulait faire bombarder ses propres troupes ne réussit pas à changer le cours des choses.
C'est donc un film un peu triste et désespéré, le récit d'une opposition au mur de la pensée militaire, contre lequel les valeur humanistes ne peuvent pas grand-chose (d'après Wikipédia, c'est une fiction, mais très inspirée de faits réels). Il se termine sur une note particulièrement émouvante, avec une chanson chantée par une prisonnière allemande en larmes. C'est d'ailleurs intéressant que ce soit le seul personnage allemand que l'on voie : l'ennemi du film est à l'intérieur même du camp français ; l'Allemande sert à renvoyer les hommes à leur humanité et leur sensibilité.
Kubrick tourne ici dans un en noir et blanc très élégant, faisant pas mal tourner sa caméra, privilégiant les plans relativement longs, créant une intensité dans leur durée.

C'est juste étrange de voir des soldats français parler américain.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 15 Avril 2020

Trois écologistes cherchent à faire sauter un barrage sur une rivière. Leur attentat se passera-t-il comme prévu ?

(Bon, je vais spoiler un peu)

J'ai regardé avec un certain plaisir Wendy and Lucy de la même réalisatrice ; je ne peux pas m'empêcher de faire des comparaisons. On retrouve dans ce film le même rythme plutôt lent, l'attention aux petits détails, le soin apporté aux cadrages. Pourtant, ici, ça ne fonctionne pas. Déjà parce que si cette approche de miniaturiste marchait bien dans une histoire miniature mais sensible, elle a beaucoup moins de sens ici, dans un récit dont les enjeux sont beaucoup plus importants et plus politiques. Or, Kelly Reichardt n'a pas l'air de l'intéresser à cet aspect politique : le terrorisme se justifie-t-il si la cause est bonne ; faire sauter un barrage peut-il avoir un impact sur les consciences ; que faire des conséquences de ses actes, des éventuelles « victimes collatérales » ; à partir de combien de morts une action est-elle décrédibilisée…
Toutes ces questions, Kelly Reichardt ne se les pose pas. Et c'est bien dommage, parce qu'elles m'intéressent beaucoup, et que je trouve vraiment très gênant qu'on ne s'y attaque pas quand on choisit de traiter ce sujet…
Et donc, que reste-t-il ? Et bien, pas grand-chose. Il reste les personnages, mais Kelly Reichardt reste trop à distance d'eux pour qu'on s'y attache, pour qu'on comprenne vraiment leurs réactions. Ces personnages sont un peu des coquilles vides dont on ne sait presque rien (même si les acteurices sont très bien). Il aurait fallu leur donner un peu d'épaisseur, ça aurait sans doute permis qu'on comprenne mieux leurs réactions, qui là, à distance, paraissent un peu connes, ce qui n'aide pas à s'impliquer.

(Et je note que bien que ce soit un film réalisé par une femme, il ne passe pas le test de Bechdel-Wallace)

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Publié le 13 Avril 2020

Un virus, issu de chauve-souris et de porc, se propage à grande vitesse dans le monde. Mortel, dangereux contaminant. C'est la panique. Les gouvernements mettent en place des mesures de confinement, les scientifiques essayent de comprendre le virus et de trouver un remède, les gens se battent contre un ennemi invisible et les uns contre les autres : pillages, meurtres, ce n'est pas très joyeux. Pendant ce temps, des charlatans répandent des rumeurs complotistes en mettant en avant des traitements qui n'ont pas fait leur preuve (suivez mon regard…).

Contagion est un film choral assez brillant, très réussi, et plutôt intéressant à regarder en confinement (je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée, le film s'étant hissé au top 10 sur ITunes). On y retrouve beaucoup des effets que l'on observe aujourd'hui : c'est assez visionnaire, ça semble plutôt solide sur le plan scientifique.
Mais au-delà de ça, c'est aussi un film habile et bien écrit, chacun des personnages (et ils sont plutôt nombreux) ayant une réelle épaisseur, un arc narratif bien mené. C'est assez remarquable.

À part ça, j'avoue peiner à comprendre le style de Soderbergh : Sexe, Mensonges et Vidéo, Erin Brockovich, seule contre tous, les Ocean's 11 et cie… J'avoue que je ne comprends pas bien son style visuel et ses thématiques, mais peu importe, peut-être.

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J'en profite pour partager une critique de Critikat qui analyse avec beaucoup plus de finesse que moi ce film et le travail de Soderbergh.

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