Publié le 26 Juillet 2015

C'est Tokyo, c'est noël. Il fait froid, il neige. Un groupe improbable de trois SDF joyeux, colériques et sales part faire les poubelles. Il y a là Mlle Hana, un travesti, Gin, un barbu acariâtre mais touchant et Miyuki, une adolescente en fugue qui a trouvé refuge auprès de ces deux compères. Ils découvrent par hasard, au milieu des poubelles, un bébé, un tout jeune nourisson. Hana pense que c'est un cadeau de noël, elle qui a toujours rêvé d'être mère. Jusqu'au Nouvel An, ce bébé va être la cause de tout un tas d'aventures, de retrouvailles, de surprises toutes plus acadabrantesques les unes que les autres.

Il faut reconnaître que c'est assez improbable et couillu comme synopsis. Comme personnages. Comme sujet(s). C'est Trois hommes et un couffin mais au milieu des clodos et des travestis. Excusez du peu. Mais pourtant, ce n'est jamais misérabiliste ou triste, au contraire, c'est un film complètement rocambolesque, joyeusement foutraque, improbable au possible, mais drôle et très intelligemment fait. Satoshi Kon a un sens du rythme et du montage qui est épatant. Les plans peuvent toujours révéler une surprise inattendue, c'est plein d'« implants » (un élément anodin placé dans le récit qui prend une dimension nouvelle plus tard ; comme une clé dans le couffin, qu'on voit à peine quelques instants, et qui sert d'élément de progression du récit). C'est le genre de film qui, à mon, avis, supporte très bien le revisionnage : on doit y trouver des choses qui nous avaient échappées et qui enrichissent l'ensemble.
Et n'oublions pas : c'est beau ! Les graphismes, l'animation, l'acting, c'est du travail très soigné.
C'est cette vidéo, sur le travail de montage de Satoshi Kon, qui m'avait donné envie d'aller voir son travail. Je ne regrette pas.

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Publié le 26 Juillet 2015

Ils sont quand même forts chez Pixar. Il n'y a qu'à regarder leur filmographie : tous de brillantes réussites. Il y a évidemment quelques ratés ou « moins bien » (la chanson dans Brave, brrrr...), mais dans l'ensemble, leur choix de placer le story-telling avant toute chose est malin.

Vice Versa ne déroge pas à la règle. Pourtant, j'étais sceptique en voyant la bande annonce : dans la tête d'une petite fille normale, Riley, se trouvent cinq personnages qui matérialisent les cinq émotions principales : Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût. Bon, c'est une idée intéressante, mais il faut trouver une histoire autour de ça. Ce film y arrive très bien, mais ce qui est intéressant, c'est que l'histoire n'est pas tant celle de la petite fille (elle déménage, elle est triste, elle a perdu ses repères, on fait plus profond) que celle de ses émotions. Alors que Joie essaye de rattraper les bêtises de Tristesses, qui, en jouant avec les souvenirs de Riley, les a rendus tristes, ces deux émotions vont se retrouver propulsées dans les méandres du cerveau de la petite fille. Et c'est là que l'aventure commence, somme toute assez classique dans la construction, mais tellement inventive dans le déroulé les les différentes péripéties ! C'est l'occasion d'explorer les différentes parties du cerveau, la mémoire à long terme, le trou de l'oubli, la zone des pensées abstraites, le studio de réalisation des rêves, le parc de l'imagination... C'est évidemment schématique, mais assez pertinent et très imagé. C'est surtout le prétexte à des scènes très drôles, parfois haletantes ou touchantes. Autant le monde réel est « réaliste », dans les lumières, les décors, l'animation, autant l'intérieur du cerveau est délirant, et source d'un travail de décor et d'animation remarquable. Ils sont quand même forts chez Pixar.

Il faut quand même que je signale une (grosse) déception : les films de Pixar sont toujours précédés d'un court-métrage, l'occasion de s'amuser autour d'un concept, pour un résultat souvent inventif et drôle. Là, Lava, le film introduisant Vice Versa, est plutôt raté. Un gros volcan est tout triste d'être tout seul au milieu de l'océan sans petite copine, mais en fait il y a un autre volcan fille qui l'entend et qui tombe amoureuse de lui et elle entre en éruption et elle sort de l'eau et à la fin ils sont ensemble, c'est trop mignon. Alors oui, c'est bien fait, il y a des images assez spectaculaires, mais je parlais de story-telling plus haut, là, ils se sont vraiment pas foulés. Ajoutez à cela une chanson en mode Disney tout le long du film (oui, les volcans chantent), vous avez un bon cocktail de « mais qu'est-ce qui leur a pris, c'est le stagiaire qui est responsable de ce film ou quoi ? » (mais c'est peut-être juste que j'ai un cœur de pierre) (ha ha)

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Publié le 25 Juillet 2015

En 1839, une révolte éclate sur l'Amistad, bateau négrier transportant une quarantaine de Noirs Africains. Ils prennent possession du bateau, gardant en vie deux marins espagnols qui évidemment les bernent (de toutes façons quand on n'a pas de langue en commun, c'est difficile), et les amènent en Amérique.
Fraichement accueillis, comme cela était prévisible, ils sont accusés de meurtre, pendant que tout le monde (les deux marins, la Reine d'Espagne...) déclare être propriétaire de ces esclaves. Assisté de deux partisans de l'abolition de l'esclavage, dont Théodore Joadson (Morgan Freeman), ancien esclave lui-même libéré, un avocat (Matthew McConaughey) se propose de les défendre, en mettant de côté la question du meurtre, pour plutôt répondre à cette question simple mais fondamentale : sont-ils nés en Afrique ? Si c'est le cas, ils sont nés libres, ne sont donc pas esclaves, et ne peuvent être accusés de meurtre, mais simplement de révolte contre des gens les ayant séquestrés contre leur gré. S'ensuit une longue battaille judiciaire pour les faire reconnaître comme hommes libres.

Petite précision historique : les États Nordistes ont commencé à abolir l'esclavage dès 1688, et la traite négrière est abolie en 1808. Les États Sudistes tiennent dur comme fer à ce « privilège ». Cette bataille idéologique, marquée notamment par l'histoire de l'Amistad, est suffisamment violente pour aboutir à la Guerre de Séssession entre 1861 et 1865.

C'est évidemment une histoire formidable, mais est-ce un bon film ? Oui, sans doute, même si Spielberg est ici dans un registre très classique, très « film historique ». C'est très bien fait, mais en terme de réalisation et de narration, ça reste très sage, ce qui n'est pas forcément un défaut. Il faut quand même signaler quelques fautes de goûts dans certains plans, dont les lumières pastel ne sont pas sans rappeler les aquarelles de Marie Laurencin ; et les violons parfois un peu trop présents.
Mention
spéciale à Anthony Hopkins, qui campe l'ancien président John Quincy Adams, vieillard grincheux, lunatique et brillant, qui est peut-être le meilleur personnage du film.
On notera la présence du tout jeune Chiwetel Ejiofor, qui sera le héro de Twelve Years a Slave, film autrement plus ambitieux sur le même sujet.

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Publié le 23 Juillet 2015

Thelonious Monk Ellison est professeur et écrivain exigeant, proche de la littérature expérimentale. Il a ainsi écrit F/V, qui décortique au scalpel S/Z de Roland Barthes, de la même façon que ce dernier décortiquait une nouvelle de Balzac (honnêtement, son livre a l'air aussi pénible que semble l'être celui de Barthes). Un écrivain Noir, à qui on reproche de pas faire de « littérature Noire », que ses livres n'ont rien « à voir avec l'expérience afro-américaine ». Ce qui rend fou Monk, parce qu'il pensait être juste écrivain. Mais ce qui le rend plus fou encore, c'est quand il découvre Not'vie à nous au ghetto, de Juanita Mae Jenkins, dont il livre un extrait :

Mon père, il s'est tiré quand j'suis née et du coup y'a plus qu'moi, ma mère et mon p'tit frère Juneboy. L'matin Juneboy se lave jamais ses dents et y faut qu'j'lui dise. À cause de ça ma mère elle dit qu'j'suis responsable et qu'y faut qu'j'fasse tourner la baraque pendant qu'elle elle astique la baraque des Blancs.

Exactement le genre de « littérature Black » qui fait vomir Monk. Évidemment le livre est un succès phénoménal, adapté au cinéma, etc. Sous le coup de la colère, il écrit une parodie putassière, Ma pataulogie, sous le pseudonyme de Stagg R. Leigh, qui va bientôt le dépasser.
Mais Monk n'est pas qu'un écrivain, c'est aussi un homme célibataire d'une quarantaine d'années, dont la mère vieillit, qui a des relations compliquées avec sa sœur et son frère... Monk est aussi un pêcheur à la mouche, et un menuisier à ses heures perdues. Bref, un homme.

Féroce satyre du monde littéraire étasuniens (mais aisément transposable ailleurs), Effacement dézingue à tour de bras l'hypocrisie, la bonne conscience/bien-pensance Blanche (et Black aussi). C'est assez cruel, mais aussi assez jouissif.
C'est assi un roman très touchant, très juste, tendre et parfois poignant, sur l'itinéraire d'un homme dépassé partoutes choses, qui a du mal à trouver sa place, et qui se retrouve embarqué dans une histoire, la Vie, qui le dépasse.

Le roman, qui se présente comme le journal de Monk, est constitué d'entrées allant d'une ligne à plusieurs pages. S'y mèlent différents ton, différents registres d'écritures, des romans dans le roman : des notations sur le comportement de la truite ou le maniement de la scie circulaire, une parodie du style de Barthes et d'écriture « Black », des petites notations, parfois très érudites, mais drôles, comme des dialogues entre Paul Klee et Käthe Kollwitz, ou parfois fantaisistes, comme ces notes pour une histoire qui agrémentent le roman ici ou là :

Idée d'histoire — un homme se remarie avec une femme qui porte le même prénom que sa première femme. Une nuit pendant qu'ils font l'amour il crie son nom et sa femme l'accuse de crier le nom de sa première femme. Évidemment il a bien crié le nom de sa première femme mais aussi celui de sa nouvelle femme. Il lui dit qu'il ne pensait pas à sa première femme mais elle lui répond qu'elle n'a pas rêvé.

Bref, et comme c'est le cas dans plusieurs des romans étasuniens dont j'ai parlé ici, il y a un réel désir de prendre le monde et la littérature à bras le corps et de travailler cette matière. Une ambition puissante et réelle qui trouve sa juste mesure sous la plume de Percival Everett.

* * *

Le nom du personnage principal du livre est évidemment un clin d'œil au géniallissime Thelonious Monk, dont je ne peux que conseiller la biographie par le pianiste/écrivain Laurent de Wilde, et le visionnage de cette vidéo (entre autres) :

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Publié le 17 Juillet 2015

Quatre jeunes garçons remontent le cours d'une rivière, qui leur permet magiquement de remonter le cours du temps, à la recherche des trilobites (ces espèces de cafards marins pour lesquels je ne traverserais sûrement pas toute l'histoire du vivant). Notant leurs observations dans un précieux journal, ils croisent des mammouths, de drôles d'autruches, des hommes préhistoriques, de dangereux félins, des ptérodactyles, des stégosaures...

Il ne faut pas se le cacher, c'est un film didactique qui vise à montrer la magie des créatures du passé à des enfants émerveillés. Ce n'est pas un défaut en soi, mais cela peut impliquer certaines maladresses présentes dans le film, comme ton un peu professoral ou un scénario qui aurait mérité d'être creusé : les 4 garçons n'ont aucune personnalité propre, à part des caractéristiques très vagues telles que le jeunot, le photographe, le type qui écrit le journal, et le dernier qui ne sert à rien. Il faut admettre qu'ils sont débrouillards, certes, mais assez stupides : « Je suis au milieu d'un endroit inconnu et hostile rempli de créatures possiblement féroces, et si j'allais me promener tout seul pendant que mes copains ont le dos tourné ? » Au bout de la 4e fois que cette ficelle est utilisée pour créer du suspense, j'avoue avoir ressenti un léger agacement. On peut avoir tendance, dans ce genre de cas, à trouver des excuses au film parce qu'il est vieux, mais non, ce sont de vrais défauts (par contre la gestion du rythme a effectivement évolué depuis les années 50).
Le film vaut surtout pour la poésie de ses effets spéciaux. Les créatures que les enfants rencontrent sont soit des marionnettes soit réalisées en stop-motion, et on devine facilement l'admiration des spectateurs de l'époque devant la beauté de ces images, leur poésie ; mais les extraits sur youtube peuvent largement suffire.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #fantastique

Publié le 9 Juillet 2015

Réalité, sorti en 2014, est le premier film de Quentin Dupieux que je vois. Oui, je sais, on a tous des lacunes.

Jason (Alain Chabat) est cadreur sur une émission culinaire un peu étrange, présentée par un type en costume de rat. Il rencontre un producteur, Bob Marshall (Jonathan Lambert) pour lui parler d'un projet de film qu'il aimerait tourner, une histoire de téléviseurs qui tuent les humains à l'aide d'ondes mortelles. Bob est emballé, il ne demande qu'une seule chose pour signer : que Jason trouve le meilleur gémissement de douleur de l'histoire du cinéma. En parallèle (en même temps ?) Réalité, une petite fille, accompagne son père chasser. Lorsque celui-ci vide le sanglier qu'il vient de tuer, Réalité voit une cassette VHS bleue tomber des entrailles du gibier.

Réalité est un film légèrement hors du temps (une VHS ?) et hors de l'espace. On est aux États-Unis, cela ressemble aux collines de Los Angeles, mais aucun indice ne permet de l'affirmer précisément. Ça parle français, ça parle anglais... La « réalité » du titre n'est clairement pas dans l'image (fort jolie au demeurant, aux couleurs un peu passées qui plonge le film dans une ambiance un peu ouatée, irréelle). Mais la « réalité » n'est pas non plus dans le scénario. Au contraire, celle-ci semble toujours échapper aux personnages – et au spectateur. Assez vite, des grains de sable grippent la machine narrative : personne d'autre que la petite Réalité n'a vu la VHS tomber, pas même le père qui avait pourtant les mains dans la bête. Le présentateur de l'émission culinaire a de l'exéma, mais quand il montre les rougeurs qui le démangent atrocement, personne ne voit rien. Le film, qui pourrait commencer comme une comédie (le producteur que Jonathan Lambert est joliment fou, la rencontre avec Chabat est parfaitement écrite, rythmée et interprétée) devient progressivement de plus en plus étrange et de plus en plus angoissant. Réalité, fiction, rêve ? Rapidement personne ne sait plus où il est. Le film joue avec les effets de croisements entre plusieurs histoires, réelles, imaginées ou fictionnelles, mélangeant tous les niveaux de réalité présentée dans le film, jusqu'à perdre tout le monde. Film dans le film, rêve dans le rêve... Mais même si à un ou deux moments le film semble patiner (volontairement ?), il retrouve toujours pied – pour mieux le reperdre ensuite. Le principe du film ne peut manquer de rappeler David Lynch, surtout depuis Lost Highway. Peut-être y a-t-il un rapprochement à faire entre le mystérieux cube bleu du Mulholland Drive de David Lynch et la VHS bleue de Réalité ? Quentin Dupieux a au moins le désir de s'en éloigner visuellement : il fait presque toujours jour et soleil dans Réalité, quand Lynch aime à ajouter à l'oppression du spectateur en assombrissant ses films...

Je note que le film est très bien interprété, et que Chabat, qui n'est pas le meilleur acteur du monde (même si ♥) est ici parfait.

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Publié le 7 Juillet 2015

Il y a des films qu'il vaut mieux voir en même temps que tout le monde, sinon le phénomène du « tout ça pour ça » est difficilement évitable. C’est le cas de Ghost in the Shell, film de Mamoru Oshii sorti en 1995, adapté du manga éponyme de Masamune Shirow.
Dans un futur (maintenant) proche, deux cyborgs appartenant à la « section 9 » essayent de capturer un dangereux (apparemment) pirate informatique connu sous le nom de « Puppet Master ».

C'est une histoire compliquée à résumer, tant les enjeux sont à la fois complexes et très confus. Trahison d'une « section 6 » dont on peine à comprendre qui elle est et ce qu'elle a fait, gloubiboulga métaphysico-ésotérique sur la possible humanité des cyborgs mais en fait peut-être non, piratages qui n'aboutissent à rien de clair... (Tout cela n'étant évidemment pas aidé par le fait que les questions informatiques abordées dans le film ont pris un sacré coup de vieux).
Il y avait pourtant un potentiel, un univers pas inintéressant, des amorces d'idées, mais le tout est rendu presque incompréhensible par des dialogues écrits n'importe comment, tant qu'il est difficile de s'intéresser à ces personnages qui tournent en rond. Il est très probable que la (manifestement mauvaise) traduction des dialogues rende le tout un peu ridicule : les monologues de Motoko Kusanagi (le personnage principal) sont dignes d'une dissertation laborieuse d'un élève de seconde sur la vie, la mort, l'humanité... Je ne serais pas surpris d'apprendre que les traducteurs eux-mêmes n'ont pas compris le texte original.
Le manga à la base de ce film a probablement a une richesse et une complexité difficile à faire rentrer en 1h30, mais à ce niveau, il faut pas pousser. Ce n'est pas parce que c'est compliqué à comprendre que c'est intelligent, ça peut aussi être parce que c'est mal fichu.
J'ai lu que Ghost in the Shell est souvent comparé à Blade Runner, mais, dans mon souvenir en tous cas (une nouvelle vision serait peut-être cruelle) le film de Ridley Scott avait une profondeur et une clarté que Ghost in the Shell est loin d'égaler.

Un dernier point : esthétiquement, le film est, avouons-le, assez moche, même pour l'époque. Il est surtout atteint du terrible syndrome de « l'animateur fainéant » : aucun travail d'« acting » des personnages, plans fixes statiques, voire, dans le pire des cas, plans de dialogue d'une bonne trentaine de secondes (!) filmés de dos.

Deux scènes de dialogue bouleversantes.

L'univers de Masamune Shirow étant manifestement constitué de filles-robots aux gros seins avec des armes, je n'ai pas particulièrement d'aller creuser plus loin.

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