Publié le 22 Novembre 2015

En 1967, année de sortie de Bonnie and Clyde, ça ne fait qu'un an (!) que le fameux Code Hays est abandonné, après 37 ans de bons et loyaux services dans la censure. Cet abandon permet au cinéma Hollywoodien de se libérer de carcans trop stricts, d'accéder à une forme de contre-culture, de modernité et de faire advenir le « nouvel Hollywood », incarné par Scorcese, Spielberg, Coppola ou Hopper, et annoncé notamment par le très réussi Bonnie and Clyde.

Ce film est (évidemment) basé sur la vie de Bonnie Parker et Clyde Barrow, deux gangsters spécialisés dans l'attaque de banque dans les années 1930. Leur rencontre, placée sous le signe de l'absolu et de la fascination pour les « outlaws » dès le (très beau) début, les premiers braquages, et puis la fuite, sans cesse, et rapidement sans réel espoir de s'en sortir. Viennent se greffer trois acolytes : C.W. Moss, un mécanicien un peu simple mais assez doué sur tout ce qui touche aux voitures, Buck, le frère de Clyde, et sa femme hystérique et pénible. Évidemment tout cela ne terminera pas très bien (mais c'est historique, on sait bien ce qui leur arrive).
Il en ressort quand même une idée de gâchis : de leur beau désir d'émancipation, il ne reste finalement qu'une vie passé à s'enfuir, la peur permanente de l'irruption des flics, le squat permanent de motels sans charme, sans même profiter de la richesse que peut laisser supposer l'attaque de banques – on est en plein pendant la Grande dépression, même les banques ne roulent pas sur l'or.

En quoi tout ça c'est moderne, c'est « nouvel Hollywood » ? Déjà en ce que tout est fait pour qu'on s'attache aux deux personnages du film, bien qu'ils soient deux voyous, deux gangsters. Leur vie est une tentative romantique de s'affranchir des carcans de la société un peu coincée de l'époque, de s'émanciper, façon contre-culture, et c'est à priori comme ça que sera perçu le film en France, un peu avant mai 1968. On a envie d'y croire, on a envie de rêver avec eux. Et puis Warren Beatty et Faye Dunaway, on fait difficilement mieux comme couple de cinéma*.
La modernité concerne aussi la question de la violence : on voit du sang (beaucoup), la tuerie finale est assez gore. Il ne s'agit plus de cacher ou d'atténuer la réalité des choses. Mais c'est encore plus flagrant sur la question du sexe, et surtout de son absence, qui est explicite dans le film, puisque Clyde Barrow était manifestement impuissant.
Il y a dès le début une scène assez classique dans le cinéma sous Code Hays, où Bonnie regarde et touche le pistolet de Clyde en mode « oh mon Dieu qu'il est gros et dur » (ce n'est pas moi qui extrapole, c'est explicite et volontaire). C'est à la fois un clin d'œil un peu drôle et un élément qu'on retrouvera plus tard.
Après leur rencontre, Bonnie saute sur Clyde, qui la repousse un peu violemment, en lui expliquant : « I ain't much of a lover boy » (en gros, « l'amour c'est pas mon truc »). Ce qui est confirmé plus tard dans une scène d'amour qui commence très classiquement : ils sont tous les deux sur un lit**, ils se font des bisous, et Clyde se retourne du côté de son lit. Bonnie insiste, lui refait des bisous, en descendant vers le bas de l'anatomie de son mec (!), Clyde la repousse encore une fois avec violence, en lui répétant la même phrase. Bien. Il a un problème à ce niveau-là, et c'est très explicite à l'écran : quand Bonnie se fait rejeter, elle se retourne sur le lit et tombe presque nez à nez avec le pistolet du début, ce qui souligne ce qui lui manque. D'autant plus qu'il y a un faux raccord : dans les plans plus larges avant et après il n'y a aucun pistolet sur le lit. C'est comme une image subliminale.
Ce qui me ramène au début du film, à la rencontre Bonnie/Clyde. Bonnie est chez elle, torse nu, elle a l'air de s'ennuyer, lorsqu'elle voit Clyde qui cherche à voler la voiture de sa mère. Elle lui parle à la fenêtre, à moitié nue, mais elle est suffisamment masquée par les reflets et les montants pour qu'on ne voie rien. À mon avis il y a quelque chose de très érotique dans cette scène, mais qui préfigure déjà une distance dans le rapport au corps : Bonnie est nue, certes, mais derrière une fenêtre (donc inaccessible), qui en plus n'est même pas vraiment transparente.

Il y aurait sans doute des liens à faire entre ce film et le superbe La Ballade Sauvage de Terrence Malik, sorti en 1973, 5 ans seulement après Bonnie and Clyde, mais ça fait au moins 6 ans que j'ai vu ce dernier, soit beaucoup trop longtemps pour qu'il soit vraiment resté dans ma mémoire.

* Bien que Beatty, producteur du film, n'était pas satisfait du choix de Faye Dunaway, et qu'il paraît qu'ils ne se sont pas entendus sur le tournage.

** Rappelons que le Code Hays interdisait bien sûr qu'un homme et une femme soient filmés dans le même lit, mais aussi qu'ils soient filmés habillés, debout, dans une chambre commune...

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma

Publié le 21 Novembre 2015

Sorti en 1979, Alien est le deuxième (!) film de Ridley Scott. Il a alors 42 ans et déjà une longue expérience en tant que chef-opérateur/décorateur et réalisateur pour la télévision et la publicité, et son film Les Duellistes (1977) obtient le prix du meilleur premier film à Cannes. Ce n'est donc pas un petit bleu.

Je doute avoir besoin de redire qu'Alien raconte comment l'équipage d'un cargo commercial est réveillé par un signal étrange venant d'une planète inconnue. Sur cette planète, dans les entrailles d'un vaisseau échoué, ils découvrent une grande colonie d'œufs, dont l'un éclos, laissant une créature extraterrestre se fixer sur le visage de l'imprudent. Cette créature finit par tomber, le type va bien, jusqu'à une célèbre scène de repas partagé, durant laquelle la créature qu'il abrite en son sein s'arrache de sa cage thoracique, puis grandit, et décime tout l'équipage petit à petit.

J'ai beau avoir vu ce film plusieurs fois, il continue à me terrifier, presque plus dans la première partie, dans l'attente de la catastrophe, que lorsque la créature apparaît vraiment. Je ne suis pas spécialiste du film d'horreur, mais c'est un des, sinon le film le plus effrayant que je connaisse. Comment ? Pourquoi ? Quelle est la mécanique de la peur en œuvre dans ce film ?
Il y a déjà un travail sur la bande-son remarquable, alternant entre des moments de quasi-silence terrifiants et d'autres frénétiques. La musique, parfaitement équilibrée, est souvent absente, insistant ainsi sur le silence, le vide, l'angoisse – il faut d'ailleurs noter la belle musique du générique de fin, très douce, très calme, tonale et mélodieuse, ce qu'on n'avait jamais entendu jusque là, et qui fait un bien fou après ce film. Les bruitages d'ambiance, même si souvent discrets, sont très présents et très importants dans le ressenti émotionnel : battements de cœur, bruits de respiration, cliquetis réguliers instillent une atmosphère de forte tension. Peut-être même qu’inconsciemment, par mimétisme, notre corps se met à imiter cette respiration lourde ou ce cœur qui bat fort, et qu'on se met à ressentir physiquement cette tension.
Les plans sont souvent assez longs, et donc installent une tension, un suspense, une peur de ce qu'il va se passer. De la même façon, les plans sont parfois extrêmement sombres – mais pas tout le temps, il faut jouer des contrastes et rester subtil –, et les cadres souvent serrés, proches des corps, des personnages, laissent une grande part au hors-champ : un personnage qui s'approche de la caméra, dont on ne voit plus que les jambes, puis qui sort du cadre, pendant qu'un autre y reste. Ça donne un sentiment terrible et profond de claustrophobie, qui oblige à se demander ce qui se passe hors du cadre, en ayant peur de la réponse. Ce qui permet à Ridley Scott d'en montrer le moins possible, et de faire travailler l'imagination, cette terrible faculté qui nous pousse à imaginer le pire.
Et il y a évidemment le vaisseau lui-même, qui est montré de plus en plus sale, délabré, abimé, étroit. Comme s'il évoluait en réagissant aux émotions des personnages. C'est discret mais diablement efficace.

Il faut aussi, sur un autre registre, relever la symbolique sexuelle, omniprésente dans le film, dont on a déjà beaucoup parlé, notamment dans l'aspect phallique de la créature, son mode d'attaque, ses sécrétions visqueuses et blanchâtres, sa queue longue, pointue et mortelle lorsque la créature s'attaque à Lambert (une femme, bien sûr) ; mais aussi, et je n'avais pas vraiment noté ça auparavant, dans la façon très étrange qu'a Ash, le scientifique, de vouloir tuer Ripley : en lui introduisant dans la bouche un magazine roulé en tube, ce qui est vraiment une drôle de façon de procéder, mais qui peut sans doute être lu symboliquement comme une tentative de viol.
Mais pourquoi cette symbolique sexuelle ? Est-ce qu'il s'agit de se servir d'une peur du viol – voire, pire, d'un fantasme du viol – pour travailler l'horreur ? Pourquoi, comment ? Ou est-ce que c'est juste plus ou moins potache ? Ou qu'ils se sont dit que c'était stylé et donc pourquoi pas (ce que certaines interviews laissent un peu sous-entendre...) ? Voilà ce que je n'arrive pas bien à discerner.

Bref, ce film est un chef-d’œuvre, à comparer au ratage du 2e volet, qui n'a rien retenu des techniques utilisées dans ce film ; alors que le 3e, de David Fincher, reprend peu ou prou la même sauce et en l'accommodant un peu, et que le 4e fait n'importe quoi.

 

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Publié le 16 Novembre 2015

Sa Majesté des Mouches est un film de Peter Brook sorti en 1963, adapté du roman éponyme publié en 1954.

On ne sait pas trop bien ce qui se passe dans ce superbe début de film, monté un peu à la manière de La Jetée de Chris Marker — des photos, du son, des bruitages, de la musique — mais on suppose que c'est un peu la merde. En mode conflit militaire, peut-être même 3e guerre mondiale, ce n'est pas clair, mais en même temps, on s'en fout.
Sur une île perdue au milieu du Pacifique, un groupe d'une vingtaine d'enfants Anglais se retrouve tout seul, sans adultes. Ils essayent d'organiser leur survie (dont les détails sont laissés de côté), et doivent pour cela élire un chef. Ils ont le choix entre Ralph, jeune garçon sympathique, qui a fait se regrouper les survivants en soufflant dans une conque ; et Jack, sans doute le plus grand d'entre eux, maître de chœur, accompagné de ses chanteurs/sbires. C'est Ralph qui est élu, ce qui contrarie fortement Jack, qui montre déjà des signes d'autoritarisme.
Le film s'articulera autour de la rivalité entre Ralph le gentil démocrate et Jack le moins gentil et moins démocrate, avec au milieu, entre autres, « Piggy », petit gros à lunettes (!) intelligent et inoffensif ; avec des enjeux tels que celui de la nourriture, du brasier à entretenir au cas où un avion ou un bateau passerait dans le coin, et de la mystérieuse « bête » qui hanterait l'île...

Les enfants sont des salauds, on le sait tous. Et même les gentils, qui appellent le petit gros « Piggy » (on ne saura même pas son vrai nom !) alors que ce dernier leur avait explicitement demandé de ne pas l'appeler comme ça, et de ne dire à personne son surnom. Et ce pauvre Piggy va se faire maltraiter et moquer par tout le monde alors que c'est le garçon le plus gentil du monde. Et pendant ce temps, Jack assoit son autoritarisme, allant jusqu'à instaurer une forme de dictature sauvage légèrement effrayante.
Bien sûr, tout ceci est une forme de discours sur la nature de l'Homme : même les êtres les plus « innocents » qui soient (mon œil, oui), c'est-à-dire les enfants, si on les lâche dans la nature sans les surveiller, en les laissant s'organiser eux-mêmes, eh bien c'est la merde : ils se foutent sur la gueule, ils respectent rien, ils foutent le bordel, ils instaurent des régimes d'oppression... Autant dire que les enfants sont des salauds, et que par conséquent l'Homme est un sacré fumier. Bon, je ne partage pas cette vision de l'Humanité, plus par choix que par conviction d'ailleurs, mais voir cette thèse aussi magistralement développée sur 90 minutes, ça chamboule quand même un peu.
Mais ne croyez pas que Sa Majesté des Mouches est un pamphlet, un film à thèse un peu chiant. Au contraire, c'est un film passionnant, haletant, sidérant, frémissant, vrombissant. Les enfants-acteurs sont tous formidables, c'est superbement mis en scène, monté, cadré. C'est beau et magistral, c'est un vrai régal de cinéphile, et peut-être un peu moins d'humaniste.
il y aurait plein d'autres choses à dire sur ce film, tant sa mise en scène est proche de la perfection : sur l'opposition entre les personnages dans l'image, sur ce que racontent les cadres, sur l'évolution des vêtements des enfants, qui passent d'un complet bien propre à des vêtements sales et déchirés, voire à une quasi-nudité agrémentée de peintures tribales, qui accompagnent la sauvagerie des comportements...

* * *

J'ai fait quelques dessins d'après des images du film, ça peut peut-être donner une petite idée de la beauté de la mise en scène.

Sa majesté des Mouches (Peter Brook)
Sa majesté des Mouches (Peter Brook)
Sa majesté des Mouches (Peter Brook)

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma

Publié le 12 Novembre 2015

J'avais parlé de ce petit livre à propos de Kill Bill, j'ai finalement fini par l'acheter – et par le lire.

Ce livre s'intéresse bien sûr au cinéma de Tarantino, mais aussi et surtout au personnage que ce dernier s'est construit, à son mythe, et à la réception critique de ses films.
Célia Sauvage (quel nom, quand même, on croirait une ennemie de Bob Morane), en se basant beaucoup sur la (foisonnante) littérature consacrée au cinéaste, y cache parfois assez mal son désamour de certains aspects du cinéma de Tarantino — bien que ce soit tout sauf un livre à charge. Le plan du livre est assez parlant :

1. « Tarantino est-il trop cinéphile pour faire de bon films ? », traitant notamment « la mise en scène de la cinéphilie tarantinienne », « un cinéma de cinéphiles pour cinéphiles ?, « la question du plagiat ».
2. « Les films de Tarantino sont-ils trop bavards pour avoir quelque chose à dire ? »
3. « Tarantino, le mythe et ses films »
4. « Les films de Tarantino sont-ils misogynes et racistes ? »

Force est de constater que certaines remarques font mouche, notamment certaines accusations de plagiat sur ses premiers films. Cette question est problématique concernant Tarantino : on le sait, Tarantino est cinéphile, il est pas loin de prétendre avoir tous les films du monde, quels qu'ils soient d'ailleurs*, et il se sert de cette matière pour ses propres films. Références, emprunts, influences, plagiats, dans son cas, il est souvent difficile de faire la part des choses. Or, sur ses premiers films il n'assumait pas ces inspirations, alors qu'il y a apparemment des plans, des scènes voire des séquences entières trèèès inspirés de films existants. Ce qui s'apparente donc à une forme de plagiat. Il a appris la leçon puisque pour ses films postérieurs il revendique les emprunts.
Une autre des critiques est la primauté de la forme sur le fond dans les films de Tarantino, qui sont des objets cool, avec des personnages cool et des intrigues cool, mais sans réellement avoir de propos derrière. Des films beaux, bien fichus, très bien mis en scène, mais un peu creux. Le critique Daniel Mendelsohn écrit ainsi que les films de Tarantino ne disent « rien de significatif sur les élément qui les constituent (le crime, la culpabilité, la question raciale, la violence, et même les autres films). Tarantino ne pense rien de tout ceci. Juste que ce sont des trucs chouettes pour construire un film. »
il y a aussi un chapitre sur le surgissement inattendu, fort et souvent émouvant du réel dans ses films, qui globalement sont assez factices, construit autour d'archétypes (qu'il subvertit, certes) ; une longue réflexion sur l'ambiguïté de Tarantino par rapport à la question raciale et de genre, ambiguïté qui apparaît presque plus dans ses propos parfois très limite que dans les films eux-mêmes ; et une longue et passionnante analyse de l'auto-création du mythe « Tarantino », le cinéphile geek et cool (encore une fois).

Bref, c'est un livre passionnant et riche, je ne peux ni tout rapporter ni tout commenter, parce que ça serait l'objet d'un autre livre, et parce que n'étant pas critique de cinéma, je n'ai pas tant de choses intéressantes à dire que ça.

Je ne suis pas d'accord avec tout. Enfin, plus exactement, je sais que pas mal de défauts décrits dans ce livre sont réels, mais ça ne m'empêche pas d'aimer Tarantino. J'aurais peut-être un œil plus aguerri désormais, mais on aura beau dire, malgré tout, Tarantino c'est cool, et c'est un cool dans lequel je marche. Ce ne sont effectivement pas des films qui marquent particulièrement ou dont je me souviendrai toute ma vie, mais il n'empêche que ce sont toujours des super moments de cinéma – parce que je l'ai déjà dit, mais Tarantino fait du cinéma : il fait des récits, des images, des dialogues, du mouvement, des couleurs, des effets, bref, tout ce qui constitue le cinéma, bien que ce soit apparemment un garçon très littéraire qui, pendant l'écriture de ses scénarios, pense « roman. » Ça manque de fond sans doute (qu'est-ce qu'il dit du monde ?), mais c'est plein de forme, ça en déborde, et d'une forme intelligente et bien pensée. Ce qui n'est clairement pas le cas de la majorité des films.
Spontanément, si je cherche des cinéastes qui ont une réelle pensée forte de la forme hormis Tarantino, si je cherche les films/cinéastes qui m'ont un peu marqué visuellement, je pense évidemment à Wes Anderson, qui travaille forme ET fond ; au film de Jonathan Glazer Under The Skin, qui lui manque quand même un peu de fond ; bien évidemment à Satoshi Kon ou à Still the water de Naomi Kawaze... Mais ça ne fait finalement pas tant que ça (il y a évidemment plein de gens que j'oublie ou que je ne connais pas qui ont également cette réflexion).

* En cela il s'oppose à la cinéphilie traditionnelle « qualitative », la sienne étant plutôt « quantitative. »

* * *

Pour ceux qui voudraient aller plus loin, un article de Célia Sauvage sur Django Unchained, ainsi qu'une série des Chemins de la connaissance (début janvier 2015) sur Tarantino (dont une avec Célia Sauvage).

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Publié le 5 Novembre 2015

Dans mes fameuses listes de livres à lire dont je finis par oublier l'existence, à côté du Finn Prescott de Jérôme Lambert, se trouvait La mécanique du mal. Autant le dire tout de suite, le livre de Jacques Gélat est bien meilleur que son collègue.

Florence et Laurent sont un couple de mariniers heureux. Sur leur péniche, ils sillonnent les canaux pour livrer divers matériaux, avec un point de rendez-vous ponctuel dans le Nord de la France. Une nuit, par hasard, Florence passe devant un bistrot qu'elle ne connaît pas, et à travers la vitrine, elle voit l'impensable : Laurent tout énamouré les yeux dans les yeux avec une inconnue.
Le premier choc passé, Florence va tout faire pour que Laurent lui avoue tout, lui dise regretter et que tout redevienne comme avant. Parce que même si c'est un couple plutôt équilibré, discuter des problèmes, se confronter, ce n'est pas vraiment le genre de choses qu'ils ont l'habitude de faire. Mais à force de jouer un double-jeu, de se manipuler l'un l'autre, le risque est de perdre quelque chose de fondamental, quelque chose qu'on pourrait appeler l'amour.

Présenté comme ça, ça ressemble à un roman d'amour déçu comme on peut en trouver dans toutes les gares, ou comme Laclos ou Marivaux ont dû en écrire (je suppose, ce n'est clairement pas la branche de la littérature que je connais le mieux). Ça n'a pas l'air terrible. Et pourtant ça marche. Attention, je ne dis pas que c'est un Grand Roman, ce n'est pas qu'on soit terriblement surpris, mais la forme de perversité obsessionnelle mise en œuvre par Florence a quelque chose de fascinant à suivre : ses jeux de manipulation, ses espionnages, ses erreurs – parce que c'est un jeu où tout ne se passe pas forcément comme prévu... Ça tient aussi sans doute en grande partie au style de Jacques Gélat, simple, efficace, sobre et précis, qui rend le tout très agréable à lire. Ajoutez un cadre un peu exotique et attrayant - une péniche - et des personnages bien campés et attachants, vous aboutissez à un bon livre.

Ah, j'oubliais, Florence rencontre Dieu dans le regard d'une statue, et elle en est heureuse, même si parfois, Dieu, ce petit filou, se dérobe. Autant le dire, c'est une piste qui est très anecdotique, voire inutile. J'ai un peu de mal à savoir pourquoi Jacques Gélat a tenu à glisser ce fil narratif dans son roman.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature