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Publié le 26 Mars 2017

Une femme s'installe dans une montagne isolée, loin du monde, loin de ses semblables. Elle prend le large, s'ermite. Elle a conçu un abri moderne, avec panneaux solaires et isolation ad hoc. Elle passe ses journées entre l'installation et l'entretien de son jardin, l'installation de son refuge, et l'exploration de la parcelle de montagne qu'elle a acquis. Elle marche beaucoup, elle escalade, elle court, elle découvre, écoute, regarde, elle se baigne dans le lac avoisinant et boit de l'eau au ruisseaux clairs, profitant de sa solitude.

Le Grand jeu alterne des descriptions des journées, des activités et parcours de la narratrice avec des questions plus théoriques (j'allais dire plus profondes, mais passer 2 jours en montagne est une activité profonde) qu'elle se pose, sur la solitude, sur le jeu, sur la question du secours... On y trouve quelques moments d'une forme de folie que je rapprocherai de celles que l'on trouve dans Le Dernier Monde.
Céline Minard nous dit très peu de chose sur l'identité de cette femme, sur son passé, sur les raisons qui l'ont poussé à son isolement ; on n'en apprendra presque rien. N'existe que le présent et un futur, très proche. C'est un roman qui est écrit au corps à corps, dans l'instant. Comme dans Faillir être flingué, le paysage est très présent, majestueux, tumultueux, capricieux, immense, c'est presque le personnage principal du roman. Pour autant, j'ai eu l'impression qu'il manquait quelque chose : soit une (des) péripétie qui emmène le roman dans les cordes, qui le sorte de sa routine, soit un style plus fort et plus impérieux, qui suffise à faire tenir ces pérégrinations. Je ne me suis pas ennuyé, loin de là, mais je n'ai pas été formidablement accroché non plus.

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Publié le 30 Septembre 2016

Après un incident, l'évacuation d'une station spatiale orbitale est ordonnée. Forte tête, Jaume Roiq Stevens refuse d'obéir et décide de rester là-haut, tout seul, ignorant les messages qui lui viennent d'en-bas. Jusqu'au jour où il arrête d'en recevoir, et commence à prendre peur, d'autant qu'il a l'air de se passer des choses étranges sur Terre.
Où une surprise de taille l'attend : il n'y a plus personne. Personne n'est venu le récupérer à son atterrissage, à côté de Cap Carnaveral. Personne sur les plages, personne au centre spatial. Personne à Miami. Ou plus exactement : les humains ont disparu, laissant des vêtements vides au sol, comme s'ils s'étaient volatilisés. Mais les oiseaux, reptiles, mammifères, insectes et toutes sortes de plantes abondent. Guetté par une forme de folie, s'inventant des compagnons d'infortune, Stevens parcourt le monde, passant par les steppes russes, les montagnes chinoises, les temples indiens, guidant d'immenses troupeaux de cochons, fuyant les chiens enragés, détruisant des barrages...

Le roman prend la forme du journal étrange et bigarré de Stevens, d'abord écrit à la première personne, puis à la troisième, au fur et à mesure que celui-ci fuit la folie. Il s'accompagne de compagnons croisés sur le chemin : des personnes souvent réelles mais volatilisées comme les autres dont Stevens découvre les traces, qui dialoguent et parfois prennent en charge le récit.
L'écriture de Céline Minard est dense, riche et complexe, et s'étoffe au fil du roman. Poétique, métaphorique, érudite, elle prend tout le poids de la solitude de Stevens. S'y croisent notations géographiques, considérations politiques, beaucoup de mythes des différentes régions du globe traversées par Stevens infusent également le récit. Alors oui, c'est parfois compliqué, voire abscons, mais c'est fascinant et puissant. Et ça vaut le coup de s'accrocher rien que pour la/les scène(s) de sexe au milieu du livre, mêlant l'intimité à la planète entière, incluant les montagnes, les océans, les falaises et les rivières, qui est grandiose et fantastique.
Cela dit, Le dernier monde est à mon avis trop long. Le roman patine pendant à peu près une centaine de pages, pendant les étapes mongoles, chinoises et indiennes. Ce sont celles où la folie de Stevens est la plus présente, où le récit est sans cesse contaminé par des mythes, par des digressions poétiques, par un sentiment profond de l'immensité et de l'ancestralité du monde. Je l'ai dit, il y a de très belles pages, Céline Minard écrit très bien, mais c'est trop long pour moi*. Quand le récit reprend le dessus, à l'arrivée en Afrique, j'ai été soulagé et j'ai repris pied avec plaisir dans ce –malgré tout – formidable roman.

Roman qui m'a rappelé et ne m'a pas rappelé La Route de Cormac McCarthy : ce sont les deux romans de « fin du monde » que j'ai lus ces dernières années, je ne pouvais pas ne pas les rapprocher, et pourtant rien de plus opposés que ces livres-là. La Route est austère, gris, froid, tendu, sec (du moins comme je m'en souviens), alors que Le dernier monde est riche, coloré, luxiriant.

J'ai lu pour l'instant trois livres de Céline Minard, soit Faillir être flingué et Bastard Battle. Un western, un pastiche médiéval tarantinesque et un roman de fin du monde, soit trois genres très différents qu'à chaque fois Céline Minard s'approprie. Je ne peux pas ne pas penser à Jean Échenoz, encore lui, qui a lui aussi commencé par aborder le roman de genre, un par un. Sa subversion était sans doute plus maline (aussi dans le sens de « faire le malin ») ; il n'empêche que je suis curieux de savoir ce que réserve Le Grand jeu, le dernier livre de Minard.

 

* Cette impression est sans doute renforcée par le fait que j'ai lu ces pages à un moment où je n'avais pas vraiment le temps de lire, genre de 2 pages le soir avant de m'endormir sur le livre ; ma lecture très hachée de ces passages a évidemment contribué à me faire perdre pied. J'ai quand même l'impression que c'est un défaut du livre mais peut-être suis-je le fautif.

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Publié le 23 Décembre 2015

Nous sommes en 1437. Un des fils bâtards du Roi de Bourbon, sadique, violent et en colère contre tout le monde, prend d'assaut la ville de Chaumont. Il ne s'attendait pas à voir surgir devant lui une opposition aussi farouche, prenant la forme d'une jeune femme experte dans le maniement du sabre, qui semble venir tout droit d'Asie. Petit à petit, différents combattants vont s'associer pour combattre le bâtard, s'appelant eux-mêmes « les sept samouraïs ».

Ce livre court mais dense prend la forme d'un « roman de geste » écrit par un des protagonistes, Denysot-le-clerc, dit Spencer Five. On se croirait dans un film de Tarantino : sept guerriers qui se défendent face à un tyran sanguinaire, avec force descriptions de batailles, de tortures. C'est violent, c'est sanglant, mais c'est extrêmement jouissif.
Mais le plus remarquable dans Bastard Battle est sa langue magnifique, vivifiante, énergique : une sorte de faux vieux-français, évidemment très éloignée de ce qu'on entend dans Les Visiteurs, contaminée par des formulations contemporaines, comme s'il s'était fait pirater par endroits. C'est une langue parfois difficile, qui demande un peu de concentration (bien que le roman ne fasse qu'une centaine de pages, on met un peu de temps à le lire), mais musicale, élégante, proche de celle de Rabelais, gouailleuse et goûtue. Et le contraste entre cette langue archaïque et l'histoire résolument moderne donne une énergie folle à ce livre.

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Publié le 22 Septembre 2015

Ce livre est un vaste western littéraire. Il y a plein de personnages, ce qui, avouons-le, peut perdre un peu les gens qui comme moi ont du mal à retenir les noms, surtout dans la première partie qui alterne entre ces différents personnages sur la route magistrale de la conquête de l'Ouest. Deux frères avec un fils en caravane, transportant leur mère malade, accompagnés de loin par une jeune chinoise, un type paumé qui se fait aider par une chaman indienne, Eau-qui-court-sur-la-plaine, des types qui jouent tout ce qu'ils ont au jeu, des voleurs de chevaux... Tout ce joyeux monde finit par s'installer dans une ville nouvelle, avec barbier, corrals et saloon/maison close.

Bien que ce soit un roman réellement brillant, il faut quand même que j'avoue une préférence pour la première partie, celle de la route. Peut-être parce qu'il correspond plus à mon idéal romantique du moment – traverser les États-Unis, cheveux au vent, sur un courageux cheval, sans savoir ce qui nous attend, en bien comme en mal. Parce que c'est la route des rencontres, des dangers, des aventures. Aussi parce que dans cette première partie, les Indiens ne sont jamais loin, et qu'une part de magie, rêvée ou réelle, a sa place. Et aussi parce que le décor formidable a une importance que ne parviennent pas à faire oublier les personnages, pourtant magnifiquement campés. Ce livre se lit comme un roman d'aventure épique et grandiose, avec, par moments, quelques saillies magnifiques, telles que « la lune apparut entre deux masses de nuages en pleurs, trempée de blanc ». Peut-être suis-je influencé par le fait que le western est le genre cinématographique par excellence, mais il m'a semblé, à plusieurs moments du récit, avoir sous les yeux des scènes de cinéma, ou du moins des scènes citant des techniques de cinéma. Sans en avoir l'air, sans le souligner, en faisant tout passer par le style, par l'écriture : quelques ralentis saisissants, notamment dans des scènes de bagarre, et des montages alternés haletants.

Ah, un détail qui m'a légèrement dérangé : je n'aime pas la façon dont Cécile Minard place ses virgules. Ça peut paraître bête dit comme ça, mais une virgule mal placée ou oubliée, à mon avis, casse un peu le rythme de la phrase. Mais est-ce raison suffisante pour ne pas lire ce livre ?

Edit du 30/90/2016 : en relisant cet article presque un an après, je me rends compte que je n'ai pas du tout suffisamment insisté sur l'importance du paysage dans ce roman, qui est pourtant un personnage à part entière – du moins dans la première partie du roman, dans la seconde, l'action se déroulant presque intégralement dans une petite ville, l'horizon se réduit. Et pourtant c'est une des forces du roman, et c'est une des choses qui me reste en tête : la beauté et l'immensité des décors, que l'on sent à travers l'écriture de Céline Minard. Bien sûr, les paysages sont essentiels dans ce genre, et à la lecture toutes les images des films reviennent en tête, mais Céline Minard se sert de cet acquis pour incarner et rendre vivant l'espace américain.

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