Publié le 28 Février 2015

Les Affranchis de Martin Scorcese, sorti en 1990, est l'histoire vraie d'Henry Hill, maffieux italo-américain, membre de la Famille Lucchese. Il raconte sa fascination pour les gangsters, son ascension dans la famille, son trafic de drogue... le tout étalé sur une période qui va de la fin des années 1950 au début des années 1980.

C'est un Scorcese, c'est un film culte, un succès au box-office, plein de récompenses, pourtant, ce n'est pas vraiment un chef-d'œuvre. Scorcese, apparemment peu inspiré, a eu une idée de réalisation : « hé si je faisais de temps en temps des arrêts sur image, ça serait pas trop stylé, ça ? – Ah ouais, sympa, t'as une autre idée ? – ... » Donc il y a régulièrement des arrêts sur image, qui parfois enchaînent sur une autre scène, parfois non, soulignant de manière un peu lourdaude des moments importants du film. La voix off, omniprésente, même si elle a l'avantage de donner plusieurs points de vue, laisse une légère impression de ne pas s'être fatigué à chercher de moyens plus cinématographiques de raconter. C'est efficace, le récit est bien mené, mais c'est pour moi un avatar de plus du syndrome « inspiré d'une histoire vraie », qui donne souvent des films un peu fainéants.

On notera que Robert De Niro, grimaçant tout le long du film, commence déjà à se caricaturer lui-même.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 11 Février 2015

Film de Robert Benton sorti en 1979, Kramer contre Kramer commence de façon très simple et très pure : Joanna (Meryl Streep), filmée en gros plan, dit à son fils qu'elle l'aime. Le garçon répond qu'il l'aime aussi. Elle lui caresse les cheveux, lentement, puis sort de la chambre. Sans transition, deux types confortablement installés dans un bureau discutent tranquillement, après l'horaire de fermeture des bureaux. Ted (Dustin Hoffman) n'a pas vu l'heure passer. Mais il a une bonne nouvelle : il a eu une promotion.

Quand il arrive chez lui, tout content, il trouve sa femme qui lui explique qu'elle s'en va. Elle le quitte, lui et son fils. Elle est malheureuse dans son mariage, elle ne sait plus qui elle est, elle ne pense même plus pouvoir être une bonne mère. Il n'y a rien à faire, sa décision est prise. Ted se retrouve tout seul, à gérer un boulot prenant et son fils, dont il ne s'est jamais trop occupé.

Ces deux premières scènes servent à marquer le contraste avec la suite du film. La mère absente, et le père obligé progressivement de revoir ses priorités : son fils d'abord, le travail ensuite. Alors oui, au début, il ne sait pas trop y faire. Billy a envie de voir sa mère, Ted ne sait pas faire de « french toasts », Billy est capricieux, Ted lit Le Trésor de Rackham le rouge à Billy, Ted est en retard à d'importantes réunions professionnelles... Leur relation, touchante, se noue et s'approfondit au fil du temps, une complicité, souvent mêlée d'une pointe de tristesse ou de nostalgie, s'installe.

Jusqu'au jour où Joanna, la mère, revient. Elle s'est retrouvée, elle va mieux, et elle veut récupérer la garde de Billy. C'est la deuxième moitié du film : la lutte de Ted pour garder la garde de l'enfant, le procès de Ted contre Joanna, les différents ressentis, et le petit Billy au milieu de tout ça.

Il faut noter le jeu brillant des trois acteurs principaux, Meryl Streep, Dustin Hoffman (tous deux oscarisés pour ce film) et le petit Billy, impressionnant de naturel. Ils sont pour beaucoup dans la réussite de ce film touchant et sensible.

* * *

Il faut quand même que je gâche l'ambiance et que je soulève cette question : pourquoi un film sur un papa qui se retrouve tout seul ? Ça arrive, bien sûr, mais il y a un nombre beaucoup plus conséquent de mères que le mari abandonne, et qui se retrouve toutes seuls à élever leurs enfants. Et on ne fait pas de films sur elles.

Pour autant, le film est loin d'être aussi caricatural que Gone Girl, par exemple : Ted a des défauts, qu'il reconnaît et qui sont dits, Joanna en a aussi mais c'est le contraire d'une harpie déchaînée qui veut récupérer son petit garçon pour elle toute seule. Cet équilibre est assez moderne pour l'époque (1979 !).

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 9 Février 2015

Inspiré de faits réels, Dog Day Afternoon (Une Après-midi de chien, 1975) raconte un braquage qui ne se déroule pas comme prévu, mais alors pas du tout. Le film nous balance dans l'ambiance sans préambule : ils sont trois, ils sont armés, ils entrent dans une banque. Le plus jeune d'entre eux, terrifié, les abandonne avant qu'il se soit passé quoi que ce soit. Sonny (Al Pacino) et Sal sortent les armes, prennent en otage les employés (le patron, le gardien et six guichetières), demandent l'argent. Mais le convoyeur est passé, les coffres sont quasiment vides. Et malgré toutes leurs précautions, les flics les ont repérés et encerclent la banque.

Le film commence alors vraiment : une longue prise d'otage, nerveuse et stressante, de plusieurs heures. Sonny négocie avec la police, s'assure que tous les otages vont bien, Sal est dans un état catatonique.

Al Pacino, qui joue Sonny, porte tout le film sur ses épaules. Sonny garde la tête froide, il dégage un charisme certain. Il séduit les badauds rassemblés autour de la banque, il se fait acclamer, il prend soin des otages, qui en retour l'aiment bien (syndrome de Stockholm, quand tu nous tient). On apprend petit à petit qui est, pourquoi il a braqué cette banque, et le spectateur lui-même se prend d'affection pour lui, malgré ses défauts (et il en a).

C'est au final un film fort, malgré quelques petites longueurs, poignant et en tension permanente. On y trouve quelques commentaires sur l'homosexualité en avance pour l'époque – mais je regarde ça avec mes yeux de 2015, 40 ans après, ma réception n'est peut-être pas celle de l'époque.

Il faut quand même que je précise que visuellement, c'est assez faible : la photo est moche, les cadres sont banals... Lumet s'est manifestement concentré sur le récit, la tension, au détriment du langage visuel du cinéma.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 9 Février 2015

Le Royaume est le dernier livre en date d'Emmanuel Carrère. Ce n'est précisé nulle part, mais on peut parler de « récit » plus que de « roman ».

Dans le prologue, Carrère raconte comment il a été marqué par une réflexion d'un de ses amis qui parlait de la bizarrerie qu'il y a d'être Chrétien, de croire, de nos jours, en tous ces rites étranges que sont l'Eucharistie, la transsubstantiation etc. Carrère avait eu le projet de faire un reportage sur des Chrétiens, avec l'éventuel problème de « visite au zoo » que ça aurait pu lui poser, lorsqu'il s'est souvenu qu'il avait lui-même été, aussi bizarre que ça lui semble à présent, un fervent catholique pendant trois ans. Cette exploration de ce pan oublié de son passé constitue la première partie du Royaume : les raisons de sa conversion, sa perte progressive de la Foi et sa lutte pour la conserver, jusqu'à l'oubli.
La deuxième partie s'intéresse à Luc, l'évangéliste. On est proche d'un passionnant récit historique, même si Carrère n'est jamais loin, qui est un narrateur qui ne se laisse pas oublier. Luc était un Grec lettré et cultivé, qui s'intéressait au judaïsme de la même façon que nous pouvons nous intéresser au bouddhisme ou au taoïsme : parce que c'est exotique et qu'on ne croit plus à « nos » religions locales. Luc croise un jour Paul, qui a vu Jésus ressuscité, et qui est un plus fervents prêcheurs du Christianisme, qui ne s'appelle pas encore comme ça. Paul va de synagogue en synagogue, mal rasé, mal habillé, expliquer que le Messie est venu, qu'il est ressuscité, et que le jour est proche (d'ici quelques années) où il reviendra juger les vivants et les morts. Il est parfois applaudi, souvent hué, traité de blasphémateur et traîné devant la justice Romaine, qui s'en fout.

Carrère immerge le lecteur dans l'ambiance contemporaine, rappelle à quel point tout ça est nouveau pour tout le monde. L'idée de résurrection, par exemple, est à l'époque inédite : aucune religion n'en parle (ou en tous cas pas dans les parages). Il rappelle que dans les prêches à la synagogue, il est souvent question de la venue éventuelle du Sauveur :

« [...] ce qu'on dit toujours, c'est qu'il doit venir. Or c'est tout autre chose que dit Paul : qu'il est venu. Qu'il a un autre nom de Kristos, un nom de Juif parfaitement banal, Jésus, en version originale Ieshoua, et ce nom, venant après la litanie des Samuel, Benjamin, David, fait un effet aussi incongru que si après avoir dévidé la liste des rois de France on disait que le dernier, c'est Gérard ou Patrick. » (p. 163).

Cela dit, Carrère se laisse un peu dépasser par son sujet à un moment. C'est un livre long avec de vraies longueurs ; il y a surtout une centaine de pages sur Flavius Josèphe, sur Vespasien et la suite d'empereurs Romains à l'époque dont, je l'avoue, je me suis un peu foutu.
Mais en même temps Carrère n'est pas un vrai historien, c'est un narrateur très présent, qui parle de ses doutes, de ses hésitations, de son rapport à cette Histoire assez incroyable. Il comble les manques, avance des hypothèses. Il se reconnait dans Luc, qu'il voit comme un écrivain, un scénariste qui lui-même enjolive les choses, comble les manques, essaye de se débrouiller avec une matière première tout de même pas évidente à traiter.

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Publié le 2 Février 2015

Timbuktu dépeint la vie à Tombouctou après que des milices islamistes ont pris le pouvoir et imposé la charia : interdits la musique, les jeux, le foot, la clope, les femmes doivent porter le voile, des gants, des chaussettes... Bref, fini de rire.

Les habitants résistent tant bien que mal, certaines interdictions étant absurdes et impossibles à mettre en œuvre. De la musique continue de résonner de temps en temps dans les rues, parfois des chants religieux (« qu'est-ce qu'on fait ? », se demandent les soldats), parfois « profane », et c'est alors la vie des musiciens qui est en jeu. L'imam local essaye de faire entendre raison à ces fous, il sert d'intermédiaire pour les plaintes des habitants, mais opposer des arguments rationnels et logiques (« de bon sens », dirions-nous) face à ces gens-là est peine perdue.

Le film s'attache aussi à dépeindre les islamistes, avec leurs failles, leurs contradictions et incohérences. Celui-là n'arrive à arrêter de fumer ; un ancien rappeur Français n'a pas bien l'air de bien savoir ce qu'il fait là ; tel autre se réfugie chez la sorcière locale pour danser (!) ; ces trois-là se disputent pour savoir si Zidane est meilleur joueur que Messi ; ils ont tous plus ou moins l'air de branquignols, mais ils n'en sont pas moins dangereux.

Pour être honnête, ce n'est pas le chef-d'œuvre que tous les critiques unanimes annonçaient. C'est effectivement très beau (le Mali, c'est magnifique), très bien, mais... Peut-être, tout simplement, que j'en ai trop entendu parler, et j'ai été déçu, comme ça arrive parfois. La scène de football sans ballon est effectivement extraordinaire, superbement mise en scène, mais je crois que j'en attendais plus. Et c'est la même chose avec une ou deux autres scènes.

C'est en tous cas un film assez triste qui a le mérite de montrer une situation, réelle, qu'on visualise difficilement. En général, tout cela reste un peu abstrait, les nouvelles proviennent de loin. Là c'est concret, et on a du mal à imaginer comment sortir de cette d'impasse.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma