Publié le 31 Mai 2020

Nous sommes en 2022. La société s'est effondrée, l'électricité manque, les gens s'entassent, personne n'a vu de légumes depuis des lustres, on se nourrit de « soylent » jaune, rouge, bleu, et en particulier de soylent vert, variété qui fait fureur en ce moment.
Frank Thorn (Charlton Eston) est un policier qui enquête sur le meurtre d'un type très riche, meurtre aux motifs qui risquent de dévoiler une machination de grande ampleur. Il est aidé par Sol Roth (Edward G. Robinson), un vieil érudit.

Bon, ça a quand même vieilli. C'est visuellement plutôt réussi, la ville post-apocalypse est foisonnante, grouillante, sale, triste, morne, il y a de beaux plans d'ensemble. L'ouverture, qui montre par un montage nerveux l'industrialisation et la chute du monde moderne, est particulièrement épatante.
Le problème vient du fait que l'intrigue est souvent confuse, que les enjeux ne semblent pas très importants, qu'on peine à s'intéresser aux personnages… Ça manque de souffle, d'épaisseur, on regarde ça de loin, sans vraiment être impliqué. Les personnages sont un peu creux, on ne ressent pas l'urgence de la situation, l'ampleur de la machination, puisque tout ça est assez linéaire.
On peut déplorer un sexisme assez affligeant, dans la mesure où tous les personnages féminins sont des prostituées, des « meubles » fournis avec les appartement.
C'est dommage, ça aurait pu être un grand film parce que visuellement il y a des idées, mais le scénario aurait mérité d'être réécrit. Le film aborde des thématiques intéressantes : écologie, surpopulation, pollution, questions éthiques ; sur de nombreux sujets il semble en avance, mais comme il n'en traite que très peu, et pas très bien, on n'est pas plus avancés.

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Publié le 30 Mai 2020

Django est un ancien esclave libéré par le docteur King Schultz, un chasseur de tête. Les deux parcourent une partie du sud-est des États-Unis à la recherche de bandits à dézinguer. Mais Django cherche avant tout à récupérer sa femme Broomhilda, restée esclave. Avec Schultz, ils vont mettre en œuvre un plan pour la récupérer.

C'est un film assez beau visuellement, plutôt bien écrit, avec ces fameuses scènes de « négociations » affables en apparence mais qui risquent de déraper à tout moment. Tarantino fait ce qu'il sait faire, il s'amuse manifestement, cinématographiquement c'est plutôt habile (sauf quand lui-même se retrouve à l'écran, le montage devient bizarrement plus faible).
C'est cool & fun, j'avoue avoir vraiment pris du plaisir à le regarder – même si c'est un peu long, tout de même. Mais comme toujours chez Tarantino, c'est aussi un film problématique.

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Django… est un film de vengeance : un ancien esclave tue des méchants Blancs. Mais comme souvent dans ce genre de les « revenge movies », il faut montrer de quoi détester les hommes que l'on tue, et on tombe alors souvent dans le « torture porn ». C'est ici moins flagrant que dans Kill Bill (Tarantino a manifestement plus de plaisir à torturer ses actrices que ses acteurs), le personnage de Django est relativement épargné, mais Broomhilda ne l'est pas, idem pour certains personnages plus ou moins secondaires. Dévoré par des chiens, pendu par les pieds, fouetté, marqué au fer rouge, battu à mort, crane éclaté à coups de marteau, laissé pourrir au soleil, la liste des tortures infligée aux Noirs est longue.
Un autre problème que pose cette façon de justifier la violence par la violence, c'est que c'est une facilité d'écriture. Tarantino veut des fusillades, du sang, des morts, et il justifie ça par le cliché du film de vengeance, qu'il a pourtant déjà beaucoup exploité : Kill Bill, Boulevard de la mort, Inglourious Basterds, ça fait 4 films à la suite qui exploitent le même cliché.
J'invite, pour aller plus loin, à lire ce très bon article de Célia Sauvage, « "Django Unchained" ou l'ambiguïté de la violence dans les films de Tarantino ».

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Les films de Tarantino sont des films de mecs. Ça m'avait particulièrement marqué dans Reservoir Dogs, à mon avis le pire exemple de ce travers. Django… ne passe évidemment pas le test de Bechdel. Broomhilda n'est pas un personnage, seulement un MacGuffin que l'on torture pour motiver le héro ; on se croirait dans un jeu vidéo où le héro a pour récompense la princesse (un cliché bien évidemment problématique). La plupart des séquences de « négociations » dont je parlais plus haut sont des combats de coq, des affrontements virils, voire virilistes entre mecs.

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Tarantino joue dans son film, et c'est toujours intéressant de regarder quel rôle il se donne. En l'occurrence, il joue un couillon qui transporte des esclaves vers une mine où un sort horrible les attend. Je trouve un peu problématique que Tarantino lui-même s'offre le rôle d'un tortionnaire de Noirs. On me dira « oui mais il se donne pas le beau rôle, même à la fin il explose ; et puis c'est pour rire, ça vaaaa ». C'est une difficulté de l'analyse du travail de Tarantino : comme tout est ironique dans ses films, on peut balayer toute critique d'un revers de la main en disant « c'est pour rire » (c'est d'ailleurs un des axes du livre de Célia Sauvage Critiquer Quentin Tarantino est-il raisonnable ?) J'imagine très bien Tarantino choisir de jouer ce rôle pour le fun : jouer un crétin qui se fait exploser à la dynamite, c'est marrant. Mais on sait que même quand c'est « pour rire », on peut toujours trouver un discours derrière.
Il ne s'est pas choisi un rôle innocent : on le voit se foutre de la gueule des Noirs qu'il transporte, leur balancer de la dynamite à la tronche en riant. Quand on sait la façon qu'il a de (mal)traiter ses acteurs, et en particulier ses actrices, c'est problématique. Rien ne l'obligeait à jouer ce rôle, pourtant.
On pourrait presque voir le fait qu'il joue un crétin comme une mise en abyme du fait que lui-même n'a pas conscience du discours qu'il véhicule.

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Publié le 27 Mai 2020

Nous sommes autour de 1935 en Alabama, dans une petite bourgade rurale. La narratrice est Scout, une jeune fille d'environ 6 ans au début. Le roman se concentre d'abord sur sa vie d'enfant : son grand frère Jem, environ 10 ans, son père Atticus, un avocat discret, cultivé, veuf et respecté ; les autres enfants, les histoires de voisinage. Scout et Jem, élevés par leur père, et plutôt en avance pour leur âge, sont notamment fascinés/effrayés par leur voisin Arthur « Boo » Radley, qui vit reclus chez lui depuis des années. Les débuts de Scout à l'école sont assez drôles, avec une nouvelle maîtresse qui ne connaît pas les us et coutumes du coin, et qui finit par se faire consoler par les enfants.
Une histoire est au début en toile de fond, et finit par prendre de plus en plus de place dans le roman : Atticus est chargé de défendre Tom Robinson, un Noir accusé d'avoir violé une fille blanche.

C'est vraiment un roman génial. Il est construit d'une façon très intelligente et élégante, les différents récits et anecdotes s'entremêlant d'une façon très organique. Le récit est porté par la voix d'une petite fille attachante et drôle, qui sait se faire oublier quand le récit le demande.
Le roman commence comme un récit d'enfance drôle et un peu foutraque, une sorte de comédie de mœurs avec des personnages hauts en couleur. Petit à petit, l'histoire du procès prend de l'ampleur, et Harper Lee réussit à créer une véritable attente. Quand le procès arrive enfin, on est suspendu au livre, on attend avec inquiétude le verdict. De façon malheureusement prévisible, Tom Robinson est condamné, malgré le fait qu'Atticus a démontré son innocence1. Sous ses airs de chronique enfantine, Ne tirez pas… est une charge assez féroce contre le racisme et la ségrégation encore en cours au moment de la sortie du roman – et toujours aujourd'hui évidemment, ce qui continue à donner au roman une actualité remarquable. Elle ose même poser la question qui fâche, pleine de la fausse naïveté de sa narratrice : comment la maîtresse peut-elle dire qu'Hitler est méchant à vouloir du mal aux Juifs, quand dans le même temps elle dit pis que pendre des Noirs ? Il y est également question de code switching, avant que le terme soit inventé.
C'est bien écrit, bien traduit par Isabelle Stoïanov, qui a fait un gros travail sur le rendu des accents et des parlers (même si sa façon de faire parler des Noirs, on se croirait dans Astérix), c'est drôle, touchant, prenant, c'est très politique, c'est un petit bijou. Et c'est d'autant plus étonnant que c'est un premier roman, et qu'Harper Lee n'a plus rien écrit après…

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1. Le roman s'inspire de plusieurs faits divers : les Scottsboro Boys, l'histoire d'Emmett Till déjà citée dans Le Temps où nous chantions.

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Publié le 26 Mai 2020

Almerina et Gedeone sont des conteurs itinérants cherchant refuge en plein hiver. Ils s'installent dans une grotte, dans laquelle se trouve un immense ours. Pour éviter de se faire manger, iels lui racontent l'histoire qui a fait leur succès : celle de la fameuse invasion des ours en Sicile.
Ainsi, Léonce, le roi des ours, a perdu la trace de son fils Tonio. Il soupçonne qu'il soit chez les humains, et décide mettre en route la troupe des 10 000 ours. Mais le chef des humains est cruel et vil, et va tout faire pour repousser les ours, avec l'aide de son magicien personnel.

C'est un film aux allures de contes, dans lequel on retrouve tous les éléments indispensables à une bonne histoire : du suspense, des épreuves initiatiques, de l'aventure, la mort… Le récit des ours et des humains est passionnant à suivre. La particularité du film est qu'il s'agit d'un récit, et même de plusieurs, emboité dans un autre (les aventures des deux conteur·se·s), et ça ne m'étonne pas que ce soit un film adapté d'un roman : c'est une idée de romancier de construire un film de cette façon, moins de scénariste (même s'il existe évidemment plein de contre-exemples)1.
Visuellement, c'est époustouflant : rien d'étonnant sachant que Mattotti est aux manettes, et que c'est une des meilleurs coloristes que je connaisse. Les personnages sont attachants, singuliers, les paysages magnifiques, c'est un régal.
Au final, c'est un film drôle, touchant, très beau et très singulier.

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1. Il faudra d'ailleurs que je lise du Dino Buzzati un jour

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Publié le 16 Mai 2020

Arnljótur, le narrateur, est un jeune homme de 22 ans. Sa mère, récemment décédée dans un accident de voiture, lui a transmis la passion de l'horticulture ; il décide d'aller à l'étranger travailler dans la roseraie d'un monastère, roseraie autrefois un des plus beaux jardins du monde, aujourd'hui à l'abandon.
Quelques mois auparavant, Arnljótur a couché avec Anna, une histoire d'un soir sans lendemain, ou presque, puisque de cette union fugace est née une petite fille, Flóra Sól. Et les deux débarquent chez lui, qui se plaît pas mal dans sa nouvelle vie.

C'est un roman plutôt bien écrit, agréable à lire, même s'il n'est pas inoubliable. Les personnages sont plutôt attachants et bien construits, malgré la propension un peu agaçante de Arnljótur à faire des généralités (« les femmes sont ceci, les femmes sont cela »).

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature

Publié le 4 Mai 2020

Hé bien figurez-vous que je n'avais jamais vu Fantasia. On le sait, il s'agit d'un film visant à populariser la musique classique aux jeunes. On y entend dans l'ordre des œuvres de Bach, Tchaïkovski, Dukas, Stravinski, Beethoven, Poncielli (?), Moussorkski et Schubert, avec un final à la tonalité religieuse sur un arrangement pas terrible. J'imagine qu'on pourrait critiquer les arrangements de Stokowski, qui dirige l'orchestre, mais c'est pas vraiment le propos ici.
Je crois que le snob en moi aurait trouvé ça très chic de ne pas aimer ce film, de lui faire des reproches musicaux, artistiques, éthiques. Et pourtant non, j'ai bien aimé ce film. Bien sûr, comme dans tous les films à sketchs, il y a des séquences que j'aime moins, mais dans l'ensemble « l'illustration musicale » marche plutôt bien, j'aime bien la musique, c'est visuellement très beau, les couleurs sont magnifiques et l'animation vraiment bien – c'est ouf de se dire que c'est sorti en 1940. Bref, rien à redire vraiment, si ce n'est le passage sur les dinosaures, annoncé comme scénarisé « par la science », excusez-du peu, et qui sans surprise est complètement à côté de la plaque par rapport aux connaissances actuelles.

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Publié le 3 Mai 2020

Dans un futur pas si lointain, les humains ont la possibilité d'améliorer génétiquement leurs enfants, afin de leur éviter les maladies et de les booster physiquement et intellectuellement. Les parents de Vincent n'ont pas fait ce choix : il est né naturellement, et fait donc partie d'une classe inférieure, à qui les postes les plus prestigieux sont interdits. Or Vincent est passionné par l'espace et n'a qu'un rêve : embarquer dans une fusée voir plus loin que la Terre.
Pour accéder à son rêve, il va prendre la place de Jérôme, issu de la classe supérieure, mais qu'un accident a privé de l'usage de ses jambes. Désespéré, il prête son identité à Vincent, qui réussit à se faire embaucher dans un centre spatial. Le protocole est rigoureux : peaux mortes, cheveux, sang, urine, rythme cardiaque, tout doit être surveillé pour que rien ne laisse deviner le subterfuge.
La mort d'un chef du centre va attirer de nombreux enquêteurs, et risquer d'exposer Vincent.

Bienvenue à Gattaca est un film culte. Il est effectivement plutôt brillant, dans sa description d'un monde angoissant, totalitaire et ségrégationniste. C'est une dystopie en forme de polar, où le personnage principal doit sans arrêt avoir un coup d'avance sur les enquêteurs. La réalisation est élégante, les acteur·rice·s très bien, le scénario bien ficelé.
Pourtant, je n'ai pas été embarqué plus que ça, je l'avoue. Peut-être parce que le film reste à distance de ses personnages, on n'est jamais vraiment ému ou touché par eux, peut-être parce que l'histoire d'amour est un peu téléphonée, que le personnage joué par Uma Thurman manque de consistance et que le film est victime du syndrome de la schtroumpfette... Et peut-être aussi parce qu'il est un peu moins visionnaire aujourd'hui qu'il l'a sans doute été à sa sortie.

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