Publié le 27 Avril 2016

Si je suis tout à fait honnête, j'ai acheté ce livre uniquement pour des textes courts, à la fin du livre, intitulés Taek-uen-do, où il est question de Bruce Lee, et où il y a cette célèbre phrase :

... la grande supériorité des films de kung-fu sur les films d'amour, c'est que ce sont les bons films de kung-fu qui parlent le mieux d'amour, comme Big Boss ou Le dernier dragon, alors que les films d'amour non seulement parlent connement de l'amour, mais en plus, ne parlent pas du tout de kung-fu.

Mais il n'y a pas que ça dans ce livre, recueil de différents textes. Prologue, la longue nouvelle éponyme, est assez étrange et mystérieuse. Il y est question d'un hammam à Tombouktou, tenu par un vieil homme énygmatique, et de l'enfant qu'il a élevé et qui a été ensuite recueilli par une prostituée, une des narratrices. Parce qu'il semble bien qu'il y ait deux narrateurs, même si ce n'est pas évident, même si ce n'est jamais dit. Deux narrateurs qui parlent des mêmes choses mais sont en désaccord sur plusieurs points.
Avouons-le, il y a de fortes chances que certains éléments m'aient échappé, et qu'une relecture puisse éclaircir certains aspects, mais ce n'est pas pour autant que ce n'est pas un très beau texte. Il ne se passe pas grand-chose dans ce récit en termes d'histoire, mais beaucoup de choses au niveau de la langue et de le littérature. Ces narrateurs qui se contredisent, ce hammam, ces lieux, ces personnages : Koltès ne déroule pas une série chronologiques de faits mais dresse un tableau, petit à petit, par touches, au fil d'un texte laissant la part belle aux digressions. Prologue fait partie de ces textes qui peuvent être vus comme une longue description de personnages, nimbée de mystère, qui nous accrochent parce qu'on a envie d'en savoir plus.
Ce qui m'amène forcément à cette langue dont parle Borgès dans ses Fictions, qui ne comprend que des adjectifs, et dont certains textes ne sont que de longues descriptions poétiques. On est pas loin de ça avec Prologue.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #kung-fu

Publié le 11 Avril 2016

Publié en 1948, Et on tuera tous les affreux est un roman de Boris Vian paru sous le pseudonyme américain de Vernon Sullivan (et prétenduement traduit par Vian himself). C'est un faux polar, assez violent et très cru (c'est-à-dire avec des scènes de cul), qui raconte comment Rocky Bailey, jeune beau mec de Los Angeles, bourreau de ces dames, se retrouve plongé dans une histoire impliquant des gansters, des photos d'opération chirugicales bien dégueulasses, des jolies filles, des manipulations génétiques, des plantes humaines, des réflexions sur la beauté physique...
Tout ceci est très drôle, assez féroce, et sans morale. Ce n'est pas le plus grand livre de Vian, avouons-le, on est loin de l'inventivité de la langue de ses romans les plus connus. Ça ressemble plus à une récréation qu'autre chose, on sent qu'il s'amuse, et il amuse le lecteur avec lui. La fin du roman est assez noire et cynique, presque désabusée, mais encore une fois donnée avec un sourire féroce qui fait passer la pilule.

* * *

Figurez-vous qu'à part ça, en ce moment je lis de la poésie. Notamment celle de Boris Vian.
Ai-je déjà dit que je considérais Boris Vian comme un des plus grands génies littéraires du XXe siècle (allez, avec Céline et Borges) ? Je crois que j'aime à peu près tout chez lui, le romancier, le chansonnier, le nouvelliste, le pseudonyme, et le poète, donc.
Il est certes dur de parler de poésie, déjà parce que ça ne se « pitche » pas, ensuite parce que tout l'intérêt réside dans une langue qu'il est ridicule d'essayer d'expliquer ou de décrire, et enfin parce que dans l'ensemble ce sont des textes courts, et que vous n'avez qu'à aller y jeter un œil par vous-même.
Vian joue en tous cas souvent au sale gosse (notamment dans Cent Sonnets, 1944), jouant avec la langue et les formes poétiques, faisant preuve ici aussi d'un humour assez mordant. Il peut être plus sombre, voire désespéré (Je voudrais pas crever, autour de 1951-1953). Dans tous les cas il est génial et fait partie des incontournables.
Dans Cantilène en gelées (1949), le poème Les mers de Chine, ironiquement (?) dédié à Simone de Beauvoir, est très violent et très cru, mais ça fait partie de ce que j'aime chez Vian : la violence, assez fréquente, n'est jamais vraiment agressive. Elle existe, elle est un état de fait, mais elle est presque normale. Je pense aussi au Voyage à Khonostrov (Les Fourmis, 1949), une nouvelle dans laquelle les passagers d'un train torturent un type installé dans leur compartiment parce qu'il ne participe pas aux discussions – il faut même semblant de dormir, le salaud ! Ils ne le font pas par sadisme, au contraire, mais tout simplement parce qu'il n'y a rien pas d'autre solution.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #poésie

Publié le 11 Avril 2016

Riggan Thomson (Michael Keaton, parfait) a incarné Birdman dans une série de films qui ont connu un gros succès. C'est aujourd'hui un acteur vieillissant qui essaye de renouer avec la gloire au théâtre, en adaptant, mettant en scène et jouant une pièce inspirée de Raymond Carver. Le seul problème de Riggan est qu'il entend la voix de Birdman qui lui explique qu'il n'a rien à faire aux théâtre et qu'il faut qu'il renoue avec son vrai destin : celui d'être un super-héros. Et que Riggan est persuadé d'avoir des pouvoirs de télékinésie et de savoir voler (mais le peut-il vraiment ?) Entouré de son meilleur ami avocat qui veille à la bonne marche de son projet, de sa fille qui sort de désintox, d'un acteur un peu fou mais sans doute génial, de son ex-femme, de sa petite amie du moment (etc), Riggan se bat avec sa folie, son désir fou de reconnaissance, sa faillibilité humaine et les emmerdes qui arrivent forcément quand on monte une pièce de théâtre.

Il y a déjà eu beaucoup de films sur la folie, la schizophrénie, le destin de stars de cinéma déchues et leur désir de revenir en haut de l'affiche (sur ce point je pense évidemment à Sunset Boulevard). Ce n'est pas pour autant qu'on a fait le tour de la question, comme le prouve Birdman, film fort, juste, parfois drôle et touchant. Michael Keaton était sans doute l'acteur parfait pour ce rôle, lui qui a incarné Batman par deux fois sous la direction de Tim Burton, et qui était dans le creux de la vague au moment du tournage de Birdman. Il y a dans ce film ce qui manquait pour moi à The Revenant, du même Alejandro González Iñárritu : des personnages. Forts, bien construits, bien écrits, bien interprétés, tous les personnages, du premier rôle aux plus secondaires, sont touchants, riches et denses (ils ont un passé, une histoire, ils évoluent...), de quoi porter un film de plus de deux heures. Le film est construit comme un plan-séquence, même s'il y a des raccords habilement masqués. Je ne peux pas m'empêcher de penser que ce principe de mise en scène est un peu tape-à-l'œil : un faux plan-séquence de plus de 2h c'est effectivement bluffant et virtuose, mais je ne peux pas me sortir de la tête que c'est de la démonstration, que c'est un effet qui finalement n'apporte pas grand-chose au film – j'ai l'impression que mis en scène d'une façon un peu plus conventionnelle ça aurait été quand même un très bon film, mais peut-être me trompé-je. Je retrouve en tous cas sur ce point le côté démonstratif qui m'avait gêné dans The Revenant, même si dans le cas de Birdman la prouesse passe (heureusement) au second plan, derrière le scénario et les personnages.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #fantastique

Publié le 10 Avril 2016

À Oran, petite ville morne d'Algérie Française, les rats se mettent à mourir inexplicablement dans la rue, de plus en plus nombreux. La mystérieuse maladie qui atteint les rats semble se propager aux humains, il s'agit d'abord de quelques cas isolés, puis de dizaines, de centaines : c'est la maladie que tout le monde a peur de nommer, à savoir la Peste.
Malgré le temps que mettent les autorités à prendre la mesure de la gravité des évènements, la ville est bouclée, séparant les familles et les amants ; les hôpitaux et médecins sont réquisitionnés, les cimetières se remplissent...
Au milieu de tout ça, les gens essayent de survivre, et même de vivre. Le docteur Rieux est sur tous les fronts avec l'aide d'amis, de collègues et de volontaires, des gens essayent de se faire la belle, les fonctionnaires tiennent des comptes... L'espoir, la résignation, la colère, le désespoir, l'indifférence, chacun traverse diverses stades : la peste n'affecte pas seulement les corps, elle touche également les esprits.

(Il va sans dire que j'omets des intrigues secondaires, le roman fait plus de 300 pages)

Voilà un grand classique de la littérature française moderne, qui a valu à Albert Camus le Prix Nobel en 1957 – avec ses autres livres de ce qu'on appelle son « cycle de la révolte », à savoir L'Homme révolté et Les Justes.
Si je suis tout à fait honnête, je n'ai pas ressenti l'impression de lire un chef d'œuvre. Attention : c'est un bon roman, bien mené, intéressant, plutôt bien écrit. La description d'une ville en état de siège intérieur, fermée sur elle-même, ainsi que celle de la situation de ses habitants, est précise et minutieuse, sonnant juste. Il me semble même déceler une pointe d'ironie, voire d'humour, quand Camus décrit l'administration, qui tient coûte que coûte à faire des statistiques, des tableaux et des rapports quand dehors les gens meurent à la pelle.
Camus adopte un ton distancié, analytique et finalement assez froid ; il ne semble pas vouloir d'implication émotionnelle dans cette histoire, mais plutôt un récit « objectif » et détaillé des faits tels qu'ils se sont passés. Ce qui laisse, quoi qu'on en dise, le lecteur à distance, sans pouvoir être touché par ce qui arrive aux personnages avec lesquels on ne s'implique pas. C'est probablement à cause de cela que pas grand-chose ne m'a retenu dans ce roman. Je ne me suis pas vraiment ennuyé, mais j'aurais très bien pu l'abandonner sans avoir ni regret ni envie de « savoir ce qu'il se passe après. »
Peut-être à cause de mon habitude de la littérature contemporaine, la langue de Camus, précise et méticuleuse, ne me parle pas tellement. Elle me semble appartenir à une autre époque – et c'est effectivement le cas. C'est bien écrit, mais ce n'est pas pour moi une belle écriture, capable de m'émouvoir, de me transporter.

* * *

Sur un registre un peu anecdotique, mais qui en dit tout de même beaucoup sur une époque, il est intéressant de noter deux choses :

  • ce roman ne contient quasiment aucun personnage féminin.
  • ce roman, qui se passe en Algérie (française, certes, mais en Algérie quand même), ne contient que des personnages aux noms bien français : Rieux, Tarroux, Rambert, Cottard, Grand, Mercier... Un détail révélateur de l’ambiguïté de Camus à propos de l'Algérie.

Pour ceux que cette question intéresse, il faut lire ce passionnant article du Monde Diplo : Albert Camus, ou l’inconscient colonial par Edward W. Said, critique et intellectuel palestino-américain.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature

Publié le 9 Avril 2016

Si vous suivez ce blog, vous savez que je ne suis pas un fan de la saga Star Wars, et surtout pas de la trilogie des années 2000). Je n'étais donc pas parmi la cohorte des geeks prêts à faire la queue des heures pour voir le dernier opus en date, L'épisode VII, Le Réveil de la Force (J. J. Abrams).
Eh bien figurez-vous que c'est plutôt une bonne surprise, et pour moi le meilleur film de la saga. Je ne reviendrai pas sur les reproches qu'on a déjà fait partout (c'est pas loin d'un remake de l'épisode IV, on est parfois proche du fan service tellement les clins d’œil pullulent), ni sur les défauts qui sont ceux de beaucoup de blockbusters (prévisibilité, manque de finesse...) Mais une intrigue qui tient la route, bien qu'un peu longuette ; des personnages bien écrits, intéressants et attachants ; des bons acteurs... Il suffit de ça pour passer un moment – prends-en de la graine George Lucas.
Et je sais, ça a déjà fait couler beaucoup d'encre, mais quand même : un super-blockbuster comme Star Wars dont les deux personnages principaux sont une femme (épatante Daisy Ridley) et un Noir (John Boyega, très bien aussi), et des personnages réussis, riches, complexes et attachants, c'est suffisamment rare pour être relevé.

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Publié le 2 Avril 2016

A Bigger Splash est souvent présenté comme un documentaire, alors qu'il serait plus juste de dire qu'il s'agit d'un « docufiction » : certes, tout le monde joue son propre rôle, mais c'est beaucoup trop mis en scène pour être un documentaire. Le problème est que la partie « documentaire » est minime, et que la partie « fiction » n'a aucun intérêt.
Le personnage principal du film est David Hockney. David fucking Hockney. En 1971-72, il est en train de travailler sur un de ses plus grands tableaux, Portrait of an Artist, que je connais plutôt bien. Ce que j'ai envie de voir, d'entendre, de toucher, c'est David fucking Hockney : son travail, sa méthode, son processus, ses questionnements, que sais-je. Or, on ne l'entend pas parler de son travail. On le voit certes peindre un peu, mais ça doit occuper maximum 4 minutes d'un film qui dure 1h40. On le voit sans doute plus souvent au volant de sa voiture que dans son atelier. Je suis désolé mais c'est un scandale (et une immense déception).
Au lieu de voir David fucking Hockney travailler, on voit ses copains en train de faire des trucs et de discuter de choses. Le souci étant que tout ça est narrativement extrêmement mal branlé : on ne sait pas qui sont tous ces gens, ce qu'ils font, de quoi ils parlent, quels sont les liens entre eux et quels sont leurs liens avec David fucking Hockney. En gros : on s'en fout d'eux, et rien n'est fait pour qu'on s'intéresse à eux puisque aucun enjeu n'est expliqué, ou même simplement présenté dans ce film (pourquoi les gens s'inquiètent du fait que David fucking Hockney veuille aller en Californie ?) On a une suite de scènes sans lien, sans raison, certaines sont plutôt réussies, voire élégantes ou marrantes (certaines scènes de soirée mondaines), mais globalement on s'en fout.
Alors oui, je sais, c'est un film en filigrane, pointilliste, qui attaque son sujet par la bande, en creux, « tout en ellipses feutrées, en sous-entendus mystérieux, en associations oniriques » (Télérama), bla bla bla. Sauf que non. Ce que j'ai vu c'est un film arty, très prétentieux, complètement raté et terriblement ennuyeux. Et ce n'est pas parce qu'il date de 1973 et qu'il y a David fucking Hockney dedans qu'il est réussi.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma