Articles avec #kurosawa tag

Publié le 5 Novembre 2020

En 1933, le pouvoir japonais, très va-t-en-guerre, voit d'un mauvais œil la critique du militarisme d'une université libérale de Kyoto. Manifestations, répression, l'université fermée. Ryukichi Noge, étudiant proche de l'extrême-gauche, se retrouve en prison.
Yukie est la fille d'un grand professeur de cette université. On lui devine des sentiments pour Noge : avec lui c'est la promesse d'une vie aventureuse, sans compromis… Un choix raisonnable serait d'épouser Itokawa, qui est plus sage mais plus terne. Quand Noge est libéré quatre ans plus tard et paraît s'être assagi, voire affadi, Yukie décide de partir vivre à Tokyo, pour se sentir vivante. Son père lui explique qu'une grande liberté implique aussi de grandes responsabilités. Elle retrouve Noge et l'épouse, mais celui-ci est arrêté en 1941, accusé d'espionnage et d'antipatriotisme ; il meurt en prison.
Yukie décide d'aller vivre avec les parents de Noge à la campagne (ah, la structure familiale au Japon), où ils sont la proie de la vindicte des villageois qui les détestent à cause des agissements de leur fils. Quand la guerre se termine, le combat de Noge est réhabilité, alors que Yukie reste vivre avec ses beaux-parents.

C'est à ma connaissance le seul film de Kurosawa qui prend comme personnage principal une femme, c'est à souligner.
C'est un film sur l'engagement, sur le désir de liberté, sur ce qu'impliquent les choix que l'on fait – rien que ça. C'est assez beau, par moments assez obscur (fossé culturel, sans doute, malheureusement). Les acteurs et les actrices sont parfaits, visuellement c'est superbe. Mais il faut bien admettre que bien souvent je suis resté en dehors du film, à regarder les cadrages et les lumières, plutôt qu'à être pris par le récit.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #Kurosawa, #Japon, #cinéma

Publié le 13 Juillet 2020

Nous sommes au Japon,  autour de 1565. Takeda Shingen, un chef de guerre ambitieux, cherche à marcher sur Kyoto pour être à la tête du pays. Son frère, Takeda Nobukado, a sauvé de la crucifixion un voleur qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Shingen : avoir une doublure peut toujours servir (d'ailleurs, Nobukado, qui ressemble beaucoup à son frère, lui sert déjà parfois de doublure).
Lors d'une bataille, Shingen meurt, ses généraux sont chargés de mettre en œuvre sa dernière volonté : que sa mort reste un secret pendant trois ans, et qu'aucun de ses généraux ne s'attaque à Kyoto. Le voleur prend donc la place de Shingen, un rôle lourd à porter, d'autant plus que les ennemis de Shingen n'hésitent pas à attaquer, et qu'il faut gérer les jalousies de certains généraux.

C'est donc un film de guerre avec un principe plutôt original – ce jeu sur les doubles, dont Kurosawa semble pas mal s'amuser. Shingen est un personnage historique, mais il semblerait que cette histoire de double soit une invention de Kurosawa. C'est un récit plutôt bien mené, avec des batailles assez épiques, des personnages intéressants, des situations plutôt drôles. Cet humour rend sans doute le film moins pénible que Ran, son film suivant.
C'est bien sûr un film visuellement magnifique, inventif, avec un travail sur la couleur remarquable, parfaitement réalisé, mais ce n'est pas étonnant, c'est du Kurosawa.

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Publié le 1 Octobre 2018

Deux généraux victorieux, Washizu et Miki, rencontrent un esprit dans une forêt qui leur prédit leur avenir : Washizu deviendra seigneur du Château de l'araignée, mais sera détrôné par le fils de Miki. Ça les fait bien marrer, mais comme toute prophétie, elle est à moitié auto-réalisatrice : la femme de Washizu va le pousser à tout faire pour que cette prophétie ne se réalise pas (du moins dans sa seconde partie), enclenchant ainsi la mécanique qui la fera se réaliser...

Le Château de l'araignée est une adaptation de Macbeth (mais, siiii, cette pièce écrite il y a longtemps par cet Anglais, là...), transposée au Japon médiéval. Et c'est trop bien et trop beau. C'est peut-être un peu moins virtuose que les autres films de Kurosawa que j'ai vus, mais ça reste magistral. Sens de l'espace, du cadrage, du mouvement, tout y est. Avec quelques images mémorables en primes, comme la mort de Washizu, les apparitions de l'esprit, laforêt qui marche dans la brume – qui est déjà une image très forte de la pièce, et qui est spectaculaire ici. Toshirō Mifune en fait des caisses et c'est formidable – il ressemble à une caricature de samouraï par Hokusai.
C'est juste dommage que le film commence par un prologue chanté et misogyne…

 

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Publié le 12 Juillet 2017

J'ai retrouvé un petit recueil de nouvelles de l'écrivain japonais Ryūnosuke Akutagawa que je n'avais pas lues depuis longtemps, je m'y suis replongé avec bonheur.

Rashômon (1915)

À une période de famine du japon médiéval, un homme de basse condition s'abrite de la pluie sous la porte de Rashô. Affamé, sans travail, il en vient même à hésiter à devenir voleur. Il entend du bruit, monte à l'étage supérieur de la porte, et voit une vieille femme occupée à arracher les cheveux des cadavres, laissés ici faute de place, faute de savoir quoi en faire.

Les figures infernales (1918)

Un Seigneur, plein de vertu, commande à Yoshihidé, un peintre vil mais extrêmement doué, un paravent représentant des figures infernales. Le peintre, absorbé par on œuvre, est poussé dans les retranchements de sa folie mauvaise, qui déteindra également sur le Seigneur (il y a aussi une histoire de jeune fille, de viol présumé, de singe, mais si je commence à entrer dans les détails on va pas s'en sortir).

Dans le fourré (1921)

Cette nouvelle est peut-être la plus singulière du recueil : un cavalier a été tué, sa femme est portée disparue, un voleur a été retrouvé avec le cheval du cavalier. Et la nouvelle est constituée des sept dépositions de différents témoins et participants à ce fait divers, témoignages qui se recoupent parfois et souvent se contredisent, sans que l'on sache vraiment à la fin laquelle est la bonne.

Gruau d'ignames (1916)

Goi est un officier médiocre, laid, pauvre et ridicule, qui se fait moquer par tout le monde, y compris par les enfants. Une fois l'an, il est invité, comme tout les officiers, à profiter des restes du banquet du seigneur, qui comprend, entre autres, du gruau d'ignames, dont Goi rêve de se rassasier. Un officier supérieur, l'ayant entendu, lui promet de réaliser sa promesse et l'emmène sur ses terres, où il ordonne de préparer le plus gros gruau d'ignames du monde. Goi, devant tout ce gruau, en perd l'appétit.

* * *

Ce recueil est plutôt inégal. Certaines nouvelles sont épatantes (Dans le fourré), d'autres réussies (Les figures infernales) d'autres franchement pas très intéressantes (Gruau d'ignames) – même si je garde bien en tête que c'est compliqué d'avoir un avis éclairé sur des textes écrits au Japon entre 1915 et 1921 alors que je suis à l'autre bout du monde un siècle plus tard. Dans tous les cas j'ai bien du mal à voir la cohérence entre ces textes. Rashômon et Gruau d'ignames (ce sont les textes les plus anciens du recueil) peuvent s'apparenter à des récits de moralistes, s'interrogeant sur la notion de bien et de mal, sur les désirs humains, sur ce qui pousse à agir de telle ou telle façon. Les figures infernales est une nouvelle fantastique dans la lignée des textes de Maupassant ou de Baudelaire (que Akutagawa a lu), qui est maîtrisée sans être réellement originale. Dans le fourré est un objet littéraire assez étrange, comme un texte d'inspiration « borgesienne » ou un exercice oulipien ou avant l'heure (un plagiat par anticipation, pour reprendre les mots de l'Oulipo).
Moralisme, fantastique, exercice oulipien : comme je le disais, la cohérence m'échappe un peu, et je dois avouer que je ne retiens pas grand-chose de tout ça. C'est (parfois) bien, mais pas prenant, pas touchant. Akutagawa maintient une trop grande distance entre lui et qu'il écrit : tout ça donne l'impression d'être lointain et de ne pas concerner grand-monde, pas vraiment le lecteur et pas toujours l'auteur.

Notons quand même que le grand Kurosawa a réalisé un film, Rashômon, moins inspiré par la nouvelle éponyme que par Dans le fourré.

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Publié le 17 Octobre 2016

En 750, alors qu'un orage éclate, un moine, un bûcheron et un passant s'abritent sous la Porte des Démons (littéralement « Rashomon »). Le moine et le bûcheron racontent une histoire impliquant un bandit, une femme et son mari qui s'est fait assassiner. Nous allons avoir droit à plusieurs versions de cette histoire, chacune très différente de l'autre : chacun ment et enjolive la réalité en fonction de ses intérêts.

Rashomon est adapté d'une nouvelle éponyme de Ryunosuke Akutagawa ; je me suis rendu compte au fur et à mesure du film que j'avais lu cette nouvelle jadis. C'est un principe éminemment borgésien : un même histoire dont les contours changent, en l'occurrence radicalement, selon le narrateur. Je suis d'ailleurs sûr que Borges évoque ce principe dans ses Fictions (1944), mais je ne sais pas du tout s'il avait eu connaissance de la nouvelle d'Akutagawa, publiée en 1915. (Au passage, j'évoquais déjà ce principe dans mon commentaire de Citizen Kane.)
Bref. L'histoire du film est donc passionnante, plutôt drôle, même si teintée d'une noirceur et d'un cynisme virulents, portée par des acteurs qui en font parfois des tonnes, mais c'est pour mieux servir un propos qui touche parfois au burlesque alors ça va. Après c'est du Kurosawa : c'est magnifique, chaque plan est intelligent, superbe, bien pensé. Les modes de narration sont magistralement maîtrisés : c'est un film qui est construit sur des flash-backs, voire des flash-backs dans des flash-backs, et tout s'emboite parfaitement, il n'y a pas d'excès de narration en voix off comme certains mauvais auraient pu le faire. Il y a même des « crevasses » narratives passionnantes : un personnage commence son récit par « ce soir-là », et paf, on enchaîne directement avec le flash-back et on oublie la voix off. Bref, c'est magistral.

 

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Publié le 4 Juillet 2016

Le film s'ouvre sur un dialogue tendu entre Gondo et d'autres associés de National Inc, un fabricant de chaussures féminines : chacun veut créer des alliances pour devenir actionnaire majoritaire afin de prendre le contrôle de l'entreprise. Gondo refuse de s'associer avec eux, sans leur révéler son plan, qui consiste à racheter des actions en mettant tous ses biens en jeu afin de devenir actionnaire majoritaire.
Sauf qu'il reçoit un coup de fil anonyme d'un homme qui a kidnappé son fils et qui réclame 30 millions de yen, somme qui mettrait à mal les plans de Gondo et pourrait le mener à la ruine. Sauf que quelques minutes plus tard, le fils de Gondo (genre 5 ans) rentre tranquillou à la maison : c'est le fils du chauffeur de Gondo qui a été enlevé. Cela ne change rien pour le kidnappeur : il veut toujours son argent ; mais ça change tout pour Gondo. Il passe les heures suivantes à hésiter entre donner l'argent et tout perdre, et garder – égoïstement – l'argent. Il finit par céder au chantage et accepte la rançon – ce qui le met sur la paille.
C'est le moment où la police entre en jeu : enquêtes, témoignages, zonage, il s'agit de retrouver ce type.

C'est une évidence : Kurosawa est un putain de maître. Je ne sais pas bien par où commencer, parce que son art de la mise en scène est éminemment visuel (bonjour Captain Obvious, ça faisait longtemps), et que la mise à l'écrit n'est pas simple. En quelques mots : chaque plan est parfait, intelligent, beau, ça bouge tout le temps, par groupe, par ensembles, par opposition, c'est magistral.
Le film est construit en trois parties : la première centrée sur Gondo, la seconde sur l'enquête de la police, la dernière sur kidnappeur (suivi par la police, jusqu'à la confrontation finale avec Gondo). La première partie dure presque une heure, et se situe presque intégralement dans un unique décor : le salon de Gondo. Ce qui serait un cauchemar pour la plupart des réalisateurs paraît n'être qu'un défi amusant à relever pour Kurosawa, comme si ce n'était pas vraiment difficile (spoiler : en vrai c'est horriblement dur à mettre à scène). Kurosawa pense tellement bien la composition et le mouvement qu'il n'y a pas deux plans identiques, c'est toujours nouveau, on ne s'ennuie jamais. C'est passionnant à regarder (et extrêmement instructif). Il y a parfois deux personnages dans le cadre, d'autres fois ils sont 7 ou 8, et Kurosawa forme des groupes, des ensembles, des solistes, des personnages s'affrontent, se rejoignent... Il fait passer beaucoup d'informations et d'émotions simplement par la façon dont est construite l'image, c'est impressionnant. Bref, pour moi c'est ÇA le cinéma.
En plus ce n'est pas qu'une démonstration de mise en scène : c'est aussi un thriller/film policier bien mené, avec des personnages attachants et portés par des acteurs au poil. Il dit un certains nombres de choses sur la société, sur la « lutte des classes », sur l'incommunicabilité entre les gens...

Je suis obligé de partager cette vidéo de cette chaîne Youtube dont je parle décidément beaucoup ici, Every frame a painting, qui explique beaucoup mieux que moi l'art du mouvement de Kurosawa (mais il triche, il a des images).

Un dernier petit détail : dans La Mort aux trousses, il y a plusieurs scènes qui se passent en voiture, et qui sont toutes filmées en studio, avec des acteurs assis devant un écran qui passe des images de route, dont la fameuse pire scène de course-poursuite dont je parle dans ma critique, mais ce n'est pas la seule. Ces scènes sont toutes moyennes, parce que l'artifice se voit à des kilomètres. Kurosawa met sa caméra dans la voiture, et ça change tout

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