Citizen Kane (Orson Welles, 1941)

Publié le 11 Octobre 2015

Est-il encore besoin de présenter le chef d'œuvre d'Orson Welles, que certains qualifient de « meilleur film de l'histoire du cinéma » (rien que ça) ?
Sorti en 1941, ce film s'attache à décrire le magnat de la presse et de l'industrie Charles Foster Kane, en suivant le MacGuffin du dernier mot prononcé par Kane en mourant, « Rosebud ». Après un long préambule en forme d'actualités cinématographiques, un journaliste va à la rencontre des proches de Kane qui chacun livre une partie de sa personnalité ou de sa vie : issu d'une famille pauvre, placé chez un tuteur richissime, c'est un homme imbu de lui-même, despotique avec ses employés et ses femmes, producteur d'une presse de caniveau racoleuse, charismatique, peut-être même fascinant pour certains (encore que ce ne soit pas évident), autant dire le portrait d'un homme légèrement détestable.

Le film est donc construit comme une suite de flash-backs, qui déroulent de façon plus ou moins chronologique les moments forts de la vie de Kane. Il semblerait que c'était un mode de construction assez nouveau à l'époque, ce qui explique sans doute le préambule didactique et factuel (les actualités cinématographiques), qui cadre le personnage et ses faits et gestes, pour permettre de mieux rentrer dans le détail de la personnalité de Kane par la suite. Mais force est de constater qu'aujourd'hui, habitué que nous sommes à ce genre de construction, ce préambule est sans doute superfétatoire, dans tous les cas beaucoup trop long en l'état (11 minutes !)
Puisque je suis sur cette question, il faut être honnête et dire que Citizen Kane a un défaut : sa longueur. C'est une question d'époque en partie, bien sûr, mais pas que. On savait faire des films bien rythmés en 1941, pas épileptiques comme certains blockbusters contemporains bien sûr, mais quand même. C'est peut-être un sacrilège de dire ça, mais je me suis quand même ennuyé sévèrement à plusieurs reprises dans des scènes interminables, et qui n'apportent parfois pas grand-chose de plus que ce qu'on a vu précédemment.

Il faut soulever un autre défaut du film : la construction en flash-back à plusieurs voix, bien que maline, n'apporte finalement pas grand-chose. On aimerait que, puisque plusieurs personnages décrivent Kane, ils en aient une opinion différente, que leurs témoignages puissent être contradictoires, colorer différemment le personnage, pour que le spectateur puisse au final se faire sa propre opinion, avoir son regard subjectif. Or force est de constater que tout le monde est à peu près d'accord sur les qualités et surtout les défauts de Kane, et qu'il pourrait n'y avoir qu'un seul narrateur, on aboutirait finalement peu ou prou au même résultat.
Le procédé des voix multiples n'est à mon avis utilisé qu'une fois de façon intéressante, lorsque sa 2de femme quitte Kane. C'est elle qui raconte le début de l'histoire, puis le majordome prend le relai pour raconter la suite, quand sa femme est partie, et ne peut donc pas assister à la scène qui se déroule. Mais il ne s'agit pas d'apporter un regard différent sur une même scène.

Ce qui me fait penser au génial Jorge Luis Borges, qui évoque dans une de ses Fictions, publiées entre 1939 et 1941 (soit plus ou moins en même temps que Citizen Kane – peut-être s'était-il fait la même réflexion que moi devant ce film ?), un récit à plusieurs voix où les personnages se contrediraient et construiraient donc un tableau multiple, laissant au lecteur le soin de trouver la/sa vérité.
Et c'est exactement ce qui est fait dans le chef d'œuvre de Minelli Les ensorcelés (1951). Le portrait du producteur de cinéma Jonathan Shields est fait par trois personnes qui l'ont cotoyé de près, qui se contredisent, racontent différemment une même scène, se trompent parfois, et c'est magnifique et formidable.

Mais pour revenir à Citizen Kane, il faut quand même que je souligne une chose presque évidente : l'image est sublime. Les cadres, les lumières, les jeux de profondeur de champ, le déplacement des acteurs, tout est superbement bien pensé, chaque image est un tableau en mouvement, chaque composition est soigneusement pensée pour être esthétique et narrative, porteuse de sens.

Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

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