Publié le 26 Mars 2018

Je ne vais pas faire l'injure de résumer Jurassic Park, que tout le monde a vu et que je connais par cœur, parce que je l'ai vu des centaines de fois, pasce que c'est le MEILLEUR FILM DU MONDE (avec des dinosaures).
Au début des années 1990, comme beaucoup d'enfants à cette époque je pense, j'ai été très fan de dinosaures. Je suis allé voir Jurassic Park au cinéma, j'avais 8 ans, ça m'a terrifié mais j'ai adoré plus que de raison.

Bref. 25 ans plus tard, ça n'a pas tant vieilli que ça : les effets spéciaux tiennent bien la route1, la mise en scène est toujours aussi spectaculaire, la scène de l'attaque du tyrannosaure et celle dans la cuisine sont toujours aussi terrifiantes, sidérantes, bluffantes – une sorte de perfection du genre.

Mais un aspect du film m'avait échappé, et a été souligné par G. : son féminisme. Ce n'est ni exacerbé ni au cœur du film, mais quand même. Les personnages féminins (Ellie Sattler et la jeune Lex2) sont courageuses et puissantes, et ce sont elles qui sauvent le film par deux fois, en rétablissant l'électricité puis les circuits de sécurité. Plusieurs répliques du films sont explicitement féministes, comme quand John Hammond explique que c'est lui qui devrait aller rétablir le courant à la place d'Ellie Satler, parce que « je suis un... et vous êtes une... », ce à quoi elle répond « on parlera sexisme en situation de survie une autre fois ». Ou celle-ci, ma préférée :

Ian Malcolm : Dieu crée les dinosaures. Dieu détruit les dinosaures. Dieu crée l’homme. L’homme détruit Dieu. L’homme crée les dinosaures.
Ellie
Sattler : Les dinosaures mangent l’homme. Et la femme hérite de la Terre.

On peut aussi réfléchir à cet aspect : pour éviter que les dinosaures ne se reproduisent, on a choisi de les concevoir du même sexe, mais pas n'importe lequel, puisqu'on a choisi que ce soit des femelles. Et on peut voir le film comme la métaphore d'un soulèvement féminin au sein d'un monde masculin, comme une prise du pouvoir des femmes face aux hommes qui essayent de les contrôler.
Après il ne faut pas s'enflammer, il n'y a que deux personnages féminins, et JP ne passe pas le test de Bechdel/Wallace. Mais c'est largement au-dessus des standards hollywoodiens de l'époque – et même d'aujourd'hui : il suffit de voir le sexisme de Jurassic World pour s'en convaincre.

Je ne suis d'ailleurs pas le seul à avoir remarqué ça : 'Jurassic Park' is 100 times more feminist than 'Jurassic World' ; Is Jurassic Park a Feminist Film? ; Feminist Flicks: Jurassic Park...

* * *

1. Je me souviens qu'au JT de TF1, à la sortie du film, il n'était question que du budget pharaonique et de la prouesse technique incroyable que constituait les 6 minutes d'images de synthèse (oui on disait comme ça à l'époque) présentes dans le film. C'était le record du monde.
#CoupDeVieux

2. Lex qui est d'ailleurs un des rares personnages féminins geeks du cinéma.

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Publié le 26 Mars 2018

### Attention, je vais spoiler ###

Dans 5000 ans, les traces de notre civilisation sont devenues rares (On devine qu'il y a eu une catastrophe qui a tout détruit, obligeant l'humanité à refonder la société). Un de nos lointains descendants, un archéologue, se lance dans un roman historique parlant de notre présent, extrapolant à partir de ses recherches : un jour (c'est-à-dire dans notre présent ou presque), les femmes se rendent compte qu'elles ont un « fuseau » qui leur permet d'envoyer des décharges électriques. Arme d'auto-défense ou d'attaque, ce fuseau change tout dans les rapports hommes/femmes.

Et c'est un livre vaste et dense, qui aborde ce changement sur de nombreux niveaux : politique, religieux, sociétal... Ainsi Allie, qui se faisait violer par l'homme de sa famille d’accueil, fonde, après s'être vengée, une religion dévouée à la Sainte Mère, dont elle est mi-prophète mi-messie. Des femmes, enragées et joyeuses, font tomber la monarchie en Arabie Saoudite. Des camps d'entraînement paramilitaires pour femmes se créent. La maffia s'en mêle et fait circuler de nouvelles drogues. Les viols (une décharge électrique judicieusement placée assure une érection) et homicides (au sens premier, c'est-à-dire meurtre d'hommes) se multiplient . Des terroristes masculinistes cherchent à prendre leur revanche. Des dictatures matriarcales s'installent.
Et tout ça se dévore, ce livre est un vrai « page-turner ». C'est plutôt bien écrit, en restant proche des personnages, de ce qu'ils ressentent, expérimentent.

Mais ce qui me gêne un peu, c'est le fond du roman : il renverse notre société patriarcale pour instaurer à la place un matriarcat tout aussi violent. Il y a quelque chose de salutaire et de réjouissant à voir le patriarcat tomber. Mais le matriarcat qui le remplace est plutôt effrayant, reproduisant exactement les mêmes mécanismes, conduisant aux mêmes violences, et à la guerre. Le passage final, où l'on retrouve l'archéologue de dans 5000 ans, dénoue tout ça avec une pointe d'humour : la société du futur est matriarcale, et ça leur semble inconcevable qu'à notre époque les hommes aient dominé la société.
Mais quel est le message derrière tout ça ? Que les valeurs qu'on associe aux genres sont culturelles et pas naturelles ? Que les humains chercheront toujours à être dans un rapport de domination ? Que patriarcat/matriarcat, c'est bonnet blanc et blanc bonnet ? Que les femmes sont pas mieux que les hommes ?
Moi qui suis à la recherche d'égalité, je trouve ça dommage qu'un roman de SF qui traite de ces sujets ne se situe pas du côté de l'utopie, mais de la dystopie.

Mais en même temps je suis conscient de la limite de cette critique : ce n'est pas ce que j'en attendais, je m'attendais à un livre féministe, c'est-à-dire égalitaire, et c'est autre chose que je trouve. Ça n'en fait évidemment pas un mauvais livre, d'autant plus que j'ai vraiment pris du plaisir à le lire.

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Le Pouvoir me donne d'autant plus envie de lire Ursula Le Guin, récemment disparue, dont j'ignorais totalement l'existence. Irène Langlet explique dans une interview à Usbek et Rica qu'elle évite cet écueil :

[La main gauche de la nuit] est une science-fiction militante, féministe et émancipatrice par rapport à la sexualité, qui se distingue vraiment par rapport à d’autres fictions ouvertement provocatrices, même expérimentales. Je pense notamment à un roman intitulé Le rivage des femmes (Robert Laffont, 1986) de Pamela Sargent. Ce sont des utopies où les femmes prennent le pouvoir, et où les hommes sont dominés. Ces romans n’ont pas besoin d’être très provocateurs dans l’écriture, comme ceux de Delany, mais ils sont provocateurs dans leurs intrigues.
D’ailleurs, ça génère des caricatures. Je suis en train de travailler sur Robert Merle qui, en 1974, avec Les Hommes protégés (Gallimard, 1974), écrit une espèce de pochade qu'on appelle science-fiction. Mais en réalité, c’est de la satire. Un roman satirique sur une société inversée, ce n'est pas très intéressant : ça reconduit les rapports de pouvoir et de domination sur un plan où les femmes dominent et les hommes sont dominés. La Main gauche de la nuit, en revanche, c’est une expérimentation totalement différente où l’idée n’est pas de dire ce qui est bien ou mal, mais bien de montrer les rouages de la domination, notamment sexuelle.

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Publié le 17 Mars 2018

Nous sommes dans l'Amérique des années 50, en pleine guerre froide. Elisa (Sally Hawkins), une femme muette, travaille de nuit comme femme de ménage dans un laboratoire gouvernemental. Un jour, l'effrayant colonel Strickland (Michael Shannon) ramène une mystérieuse créature aquatique humanoïde. Elisa va s'attacher à lui, alors que pour Strickland, ce n'est une sorte d'animal qui pourrait éventuellement être utilisée comme arme contre les Soviets, ou être envoyées dans l'espace.

Et il y a plein de bonnes choses dans ce film. Même si c'est parfois un peu maniéré, la réalisation est plutôt belle, jouant beaucoup sur des tableaux colorés – comme a pu le faire à une époque Jean-Pierre Jeunet. L'histoire entre la créature et Elisa est belle, étrange, un peu dérangeante aussi. Mais c'est plein de poésie et de jolis moments.
Et quand même : les personnages principaux sont une femme muette, une créature aquatique, un vieux peintre chauve, ringard et homosexuel, une femme noire. Bon, dit comme ça, ça peut donner l'impression qu'ils ont voulut cocher toutes les cases du bingo des invisibles au cinéma. Et pourtant, ça marche, les personnages sont incarnés et ne sont pas (trop) clichés. Avoir une héroïne muette est une belle idée de cinéma, d'autant plus que ça a du sens dans le film : la créature ne parle pas, Elisa communique avec elle par signes... Sally Hawkins, qui tient le rôle principal, a la quarantaine, et ça va avoir l'air bête, mais j'ai trouvé ça rafraichissant, un film hollywoodien avec une histoire d'amour dont l'héroïne n'a pas 20 ans max (bon, après, les scènes de nu montrent un corps assez stéréotypé).
Une autre belle idée de cinéma, c'est d'avoir fait jouer la créature par un vrai acteur dans un costume1. Ça m'a surpris au début, tellement je suis habitué aux images de synthèse, mais ça marche super bien, c'est incarné (évidemment). Encore une fois, c'est rafraîchissant.

Mais j'ai volontairement oublié un personnage dans ma liste : le colonel Strickland. Parce que c'est là que le film pèche vraiment. Comme on est à Hollywood, il faut un méchant vraiment méchant, il faut des scènes d'action, il faut des rebondissements... Résultat : le film se traîne sur la fin, on s'ennuie un peu tellement c'est prévisible. C'est vraiment un défaut qu'on retrouve dans plein de films (dont Coco, par exemple). Tous ces films ont la même structure, ça m'emmerde, d'autant plus que là ça ne colle pas au ton du film, qui est plus dans quelque chose de poétique. C'est pourquoi je ne suis pas complètement convaincu, au final par La Forme de l'eau : tout ça est un peu trop hollywoodien pour moi.

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1. Je ne trouve pas la créature super réussie, surtout le corps qui n'est pas ouf. La tête est bien, mais je n'arrive pas à voir autre chose qu'Abe de la série Hellboy de Mignola (que Guillermo del Toro a adapté)

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Publié le 14 Mars 2018

Huck est un enfant un peu vagabond sur les bords, qui au début du roman il est hébergé par une veuve qui essaye de l'éduquer et de le convertir au christianisme, mais il s'ennuie et ne rêve que de retourner vivre une vie sauvage. Après moult péripéties, il partira descendre le Mississippi sur un radeau, en compagnie de Jim, l'esclave « Nègre » de la veuve qui s'est enfui.

Les Aventures de Tom Sawyer (que je n'ai pas lu) est sorti en 1976 ; c'est selon Mark Twain un « roman pour enfants pour adultes ». Huckleberry Finn est en quelque sorte un « spin off » écrit 8 ans après, et pour le coup, ce n'est pas un roman jeunesse – même si en France il a longtemps été considéré comme tel, et traduit/adapté pour un public enfantin.

Bref. C'est un roman qui porte bien son nom : ce sont bien « les aventures » d'Huck que l'on lit. C'est-à-dire que c'est écrit comme un feuilleton, avec une suite de péripéties, sans qu'il y ait de réel arc narratif qui nous tienne sur toute la longueur du roman. Et vous me voyez peut-être venir, c'est une des limites de ce livre, qui se lit plutôt avec plaisir, mais qui n'a pas réussi à vraiment m'accrocher : si on le pose quelque temps, rien ne nous pousse à le reprendre. En d'autres termes, ça m'a plutôt plu, mais je me suis un peu ennuyé (ce qui est un comble quand il s'agit d'un roman d'aventures).
Malgré tout, la langue de Mark Twain est remarquable, et manifestement bien traduite dans mon édition (par Freddy Michalski, L'œil d'or, 2009). Huck, le narrateur du roman, est un enfant sans éducation qui parle une langue sauvage et inventive. Jim parle aussi une langue particulière, sans les R, qui ressemble à celle que parlent les Noirs dans Tintin, ce qui m'amène à un autre point : le racisme du livre.
Certes, c'est un ouvrage presque nihiliste : l'humanité et principalement le monde des adultes sont dépeints mauvais, méchants et bêtes ; la religion en prend pour son grade... Certes, il y a un fond abolitionniste : Jim cherche à fuir l'oppression (et y parvient). Mais (il y a un mais), Jim correspond parfaitement au cliché du « bon Nègre », il est gentil, généreux, un peu idiot ; Huck, même s'il l'aime bien, ne peut s'empêcher de ressentir une forme de dégoût pour ce « Nègre » qui s'enfuit, aider un esclave lui semble être une des choses les plus viles du monde, et il ne se gêne pas pour le mentionner plusieurs fois*. Tom Sawyer, qui apparaît à la fin du livre, n'a pas ces scrupules. Ah et puis Huckleberry Finn est aussi très sexiste.
Ça m'évoque le malaise que j'avais ressenti en lisant Ce qu'il advint du sauvage blanc, sauf que ce dernier livre est sorti en 2012, alors qu'Huckleberry Finn est sorti en 1884, et que je sais qu'on ne peut difficilement juger un livre qui a 134 ans avec le regard d'aujourd'hui et tout et tout – mais quand même.

Sinon, il est tête à claques ce Tom Sawyer. Je sais que ça se veut drôle, mais cette façon de toujours vouloir avoir raison, de tout vouloir compliquer, et c'est pas comme ça qu'on fait gnagnagna, il est surtout relou.

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* Alors peut-être que le discours de ce personnage, anti-abolitionniste, est sensé montrer une position qui évolue (en réalité bien peu) au cours du roman, de montrer les contradictions de cette position : Huck considère comme complètement anormal et « immoral » que Jim soit en liberté, mais en même temps il l'aime bien, c'est son copain, et il a pas vraiment envie de le balance aux autorités. Mais le discours d'Huck n'est pas vraiment contredit, n'évolue pas vraiment. Et c'est limiter la question de l'esclavage à une question de personnes : l'esclavage, c'est bien, sauf pour lui parce que je l'aime bien.

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Publié le 6 Mars 2018

Deux sœurs, Ginger et Brigitte, très proches voire fusionnelles, sont des outsiders, des loners, qui considèrent que tous les autres sont des cons et qui sont rejetées par les autres. Elles sont très attirées par la mort, ayant fait un pacte que l'une ne mourrait pas sans l'autre. Ce sont pire que des gothiques : des fans de Tim Burton.
Toujours est-il qu'une grosse bête rôde autour de cette petite ville tranquille du Canada, tuant les chiens du quartier. Un soir, l'ainée des deux sœurs est attaquée par cette bête, qui meurt peu de temps après, écrasée par une camionnette. Mais c'est trop tard : cette bête était un loup-garou, Ginger est contaminée et sa transformation est inéluctable…

Bon, dans ce film, il y a un peu de bon et beaucoup de moins bon.
Disons-le tout net : ce film est presque un nanar. C'est pas trop trop mal écrit, réalisé et interprété, mais les effets spéciaux sont vraiment très mauvais pour l'an 2000.
La première partie est intéressante, avec ces sœurs qui questionnent la société, sont confrontées aux autres, aux problèmes de l'adolescence (les premières règles). Il y a quelque chose d'un peu féministe, même si ça ne va pas très loin.
Ça se gâte à partir du moment où Ginger se transforme en louve-garou. Le film devient très cliché, très long – et puis les effets spéciaux, mon dieu mon dieu.

Et alors que le début pouvait être féministe, le film devient, malgré lui, je trouve, très réac. C'est un paradoxe manifestement classique des films d'horreur, que j'ai découvert grâce à Karim Debbache : le « death by sex ». En gros, dans les films d'horreur, les personnages qui ont des relations sexuelles, qui sont sexualisés, qui ont une sexualité épanouie, couic, ils meurent. On peut voir ça comme le retour de la révolution conservatrice face à la révolution sexuelle, un retour de l'ordre moral, un châtiment puritain et anti-féministe (parce que ce sont souvent les femmes qui sont visées). Et c'est paradoxal, parce que ce qui attire le public dans ce genre de films, c'est justement la violence et le sexe. C'est comme une promesse de casser les codes et l'ordre établi, alors qu'en fait le fond politique est réactionnaire et puritain.
Et donc Ginger Snaps tombe complètement dans ce travers. Quand Ginger se transforme, elle se sexualise : elle a ses règles, elle a des relations sexuelles, elle devient sexy. Et... elle se transforme en monstre dangereux et meurtrier et (spoiler !) elle meurt à la fin. Je vois ça comme un châtiment : la sexualité est monstrueuse, dangereuse, et mérite d'être punie. Sa sœur, qui reste prude et puritaine, s'en sort plutôt bien (enfin plus ou moins).
Un autre problème : les outsiders sont confirmés dans leur rôle de freak. Les deux sœurs sont un peu bizarres, asociales, le seul qui va chercher à leur parler et à les aider, c'est le dealer de drogue local. Les autres, la « norme », les rejettent. Et en même temps ils ont bien raison, puisque ce sont des gens vraiment dangereux ! Un type « normal » est contaminé par Ginger en couchant avec elle (oui, le lycanthropisme est une MST), mais lui il guérit, il s'en sort si bien que le film finit par oublier complètement son existence : il n'appartient pas au monde des freaks, c'est un homme, il ne mérite pas vraiment de châtiment donc il s'en sort bien.
Et c'est donc paradoxal : voilà un film d'horreur, avec du sexe et de la violence, et un fond un peu féministe (et les louve-garous, ça ne court pas les rues !), mais qui ne remet pas du tout en question la normalité/norme, voire qui la conforte, et qui « punit » ceux qui en sortent.

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