J'ai revu des films de Bruce Lee. Mais c'était pour le travail, alors j'ai le droit.
(Je note dans l'ordre où j'ai vu les films, pas dans l'ordre chronologique).
La Fureur de vaincre (Lo Wei, 1972) :
J'avais déjà parlé ici de La Fureur de vaincre, je ne vais donc pas trop m'étendre dessus.
Tout de même, je voulais souligner la mécanique d'humiliation/vengeance, qu'on retrouve partout dans les films de Bruce Lee, souvent basée sur le racisme : ici les Japonais se moquent de Bruce Lee, il encaisse, puis il pète des gueules.
Le personnage de Bruce Lee ne contrôle pas sa colère, il se conduit comme une racaille, pas du tout comme un maître sage du kung-fu. Mais il n'est jamais vraiment mis en danger, on n'a pas peur pour lui, parce qu'il est malin, parce qu'il est le plus fort : il peut tuer un homme d'un seul coup de poing. Mais il n'évite jamais le coup dans les couilles. Qui me semble un peu de la triche, mais bon, c'est comme ça.
Opération Dragon (Robert Clouse, 1973)
Bruce Lee est un moine Shaolin a qui on confie la mission d'enquêter sur Han, un ancien élève de l'école qui a trahi l'honneur des Shaolin. Ce dernier organise un tournoi d'arts martiaux sur son île-forteresse, sur laquelle on soupçonne un trafic de prostituées et de drogue.
Un peu de background : il y a quelque temps, la sœur de Bruce Lee s'est faite « harakiri » après avoir été harcelée par un méchant barbu et ses sbires, à la solde de Han.
Le tournoi se déroule, Bruce Lee combat contre le méchant barbu, qui essaye de tricher. Bruce Lee le tue, mais il était obligé par la non-loyauté du type. Bruce Lee entre dans l'usine de drogue secrète de Han, l'alarme est sonnée. Il dézingue toute une armée à lui tout seul, mais finit prisonnier (?)
Bagarre générale.
Han met sa main d'ours à 3 griffes et se bat seul à seul contre Bruce Lee, dans un palais des glaces (c'est de la triche). Mais Bruce Lee lui pète la gueule quand même.
Ce résumé très sommaire ne le laisse pas percevoir, mais ce film est plutôt réussi. On est introduit à chacun des participants au combat par un petit flash-back : le Noir confronté au racisme poussé à la faute, l'élégant accro au jeu qui fuit ses dettes, le Néo-Zélandais qui est un connard raciste (pas vraiment le plus développé). Les personnages existent, ont une motivation, c'est basique mais c'est qui manquait à La fureur de vaincre.
Bruce Lee joue un autre personnage que dans le film sus-cité : plus sage, avec une distance moqueuse. Ici aussi on retrouve la mécanique d'humiliation/vengeance. Il s'agit toujours défendre l'honneur : celui de la famille de Bruce Lee ou du temple shaolin. Bruce Lee ne tape que s'il est obligé, ne tue que parce qu'on l'a provoqué : le méchant qui a fait du mal à sa sœur meurt parce qu'il triche, Han est tué par l'arme qu'il a utilisée contre Bruce Lee... Tout est en tous cas très moral, les méchants sont punis.
La réalisation est plutôt élégante : jeux d'ombres, plans un peu recherchés, implants narratifs... Vu la nullité du travail de Robert Clouse sur Le jeu de la mort (voir plus bas), je suppose que c'est dû aux indications de Bruce Lee (?)
Mais encore une fois, Bruce Lee est le plus fort. Pour le mettre en difficulté, les méchants sont obligés de tricher : miroirs, armes... Le dernier combat est un monument : ce palais des glaces, Bruce Lee qui est démultiplié, qui donne l'impression qu'il se bat contre lui-même... C'est passionnant et magnifique.
Le jeu de la mort (Bruce Lee-Robert Clouse, 1972-78)
Ce film a une histoire qu'il est intéressant de noter : Bruce Lee avait commencé à tourner des scènes de ce film en 1972, avant de se consacrer à Opération Dragon. Il est mort avant d'avoir pu l'achever. Robert Clouse, réalisateur du réussi Opération Dragon, s'est dit que ça serait dommage de pas utiliser ces bandes, et en a fait un film, basé sur un scénario qui n'a rien à voir avec celui de Bruce Lee, et qui est la démonstration éclatante de son absence de talent.
Donc : des maffieux cherchent à faire chanter Billy Lo (Bruce Lee, notons les initiales), star de cinéma. Ils le tabassent (!) et menacent sa petite amie. Un des méchants s'incruste sur le plateau où tourne Billy et tire une vraie balle sur Billy au lieu d'une balle à blanc de cinéma. Ce dernier est défiguré, prétend être mort pour échapper à la mafia et se fait reconstruire le visage. À l'identique (alors que le plan était de ne pas être reconnu – en étant moins con ça aurait d'ailleurs pu servir à justifier la non-ressemblance de la doublure). Au lieu de ça, il enchaîne les mauvais déguisements et se bat contre les méchants.
Ah, il y a une histoire avec la petite amie, mais elle ne sert qu'à se faire kidnapper, pour justifier que Billy Lo aille dans un entrepôt pour une scène de combat nulle avec des motos (il y a 2 acteurs qui passent et repassent pour faire genre les méchants sont nombreux).
Bref, on arrive enfin aux 10 minutes de combat filmés par Bruce Lee, péniblement justifiés par 1h20 de nanard. Il tape les méchants, puis la doublure prend la relève, et ça redevient mauvais, avec des inserts ratés. Et à la fin il gagne.
Bon, il faut le dire clairement : c'est un énorme navet. Tout est raté dans ce film, et même pas assez pour que ce soit marrant ou sympa. Je n'ai même pas le courage de lister tous les problèmes.
Le scénario est complètement nul, sans intérêt ; les dialogues sont à l'avenant ; les personnages sont caricaturaux à l'excès, et pas aidés par des acteurs qui surjouent tous lamentablement (mention spéciale à la fille qui chante le plus mal du monde en playback).
Toutes les scènes commencent trop tard et se terminent trop tôt, la tension n'a pas le temps de monter, on est balancé en plein milieu d'un combat ou d'un dialogue sans savoir ce qu'il se passe, et ça se termine avant de laisser retomber la tension. La nullité du montage donne presque l'impression que les séquences tournées en 1978 sont elles aussi du found-footage tellement c'est incohérent, plein d'erreurs de logique et de faux-raccords. C'est hallucinant.
Les combats : la doublure est loin d'être aussi douée que Bruce Lee et ça se voit. De plus les (nombreux) combats sont (évidemment) mal filmés et mal chorégraphiés... Et il y a des samples des petits cris de Bruce Lee pour faire genre. En comparaison, les 10 minutes de combats avec Bruce Lee sont un bonheur total : c'est nerveux, un peu foufou, avec une pointe d'humour, la tension se construit petit à petit... Et pourtant ces scènes s'insèrent mal dans le film, et c'est horriblement mal monté (mais vraiment, c'est un scandale). Même ça ils arrivent à le rater.
Et évidemment tous les acteurs de la partie retournée sont américains.
Bref, c'est une purge.
La fureur du Dragon (Bruce Lee, 1972)
Bruce Lee débarque de Hong-Kong à Rome pour aider la famille d'un ami, rackettée par la mafia italienne. D'abord sceptiques, ses compatriotes vont vite se reposer sur lui pour péter la gueule à tous les méchants, un par un, par groupes, jusqu'à l'affrontement avec le boss final, en la personne de Chuck Norris.
Il est d'abord à noter que c'est un film réalisé par Bruce Lee : on est donc en théorie très proche de ce qu'il veut dire dans ses films. Notons déjà que cinématographiquement c'est propre mais un peu pauvre.
On retrouve dans ce film la question de l'humiliation et de la vengeance, qui est décidément LE thème de Bruce Lee : les Chinois se font d'abord embêter par les Romains – qui ressemblent quand même vachement à des Américains vu la tronche des acteurs – mais on retrouve également le rapport aux Japonais présent dans La Fureur de vaincre. Au début du film, les Chinois installés à Rome apprennent le karaté et regardent avec un peu de mépris le kung-fu de Bruce Lee ; ils seront vite convaincus de la supériorité de la technique. Les deux boss affrontés à la fin du film sont des maîtres du karaté, que le Chinois hongkongais va ratatiner. Il y a donc carrément l'idée d'une revanche à prendre sur le Japon.
Il faut évoquer le combat final contre Chuck Norris dans le Colisée. Le dévoilement de leurs corps opposés : Bruce Lee est sec, fin, électrique ; Chuck Norris est épais, massif. C'est le chêne et le roseau. Dans un premier temps, Bruce Lee se fait défoncer. Il s'étire, souffle un peu, et se met à danser : tout change. Il est quelqu'un d'autre. Il commence par esquiver (comme un chat qui joue avec une souris ?) puis attaque. Mais Chuck Norris, même défait, ne veut rien lâcher, et Bruce Lee est forcé de le tuer, il a l'air déchiré d'avoir dû faire ça. Il le recouvre de son kimono en signe de respect. Mais du coup, alors que c'est une fin heureuse (les méchants ont perdu), le film se termine sur un ton sombre et dramatique, étonnamment grave.
Ce film me permet de parler que quelque chose que j'ai peu évoqué jusqu'ici : le rapport de Bruce Lee aux femmes, ou plutôt l'absence de rapport. En effet, le personnage de Bruce Lee est comme Tintin : il n'a pas de sexualité. Dans La Fureur du dragon, il se fait accoster par une prostituée. Tout le monde a compris que c'est une prostituée (la fille qui l'accompagne, le spectateur), sauf lui. Il la suit naïvement, et quand elle apparaît nue, il s'enfuit, comme un enfant. Il y a un seul personnage féminin dans le film, une Chinoise, qui le drague manifestement, elle lui fait visiter Rome et ses beautés les plus romantiques, et lui s'en fout complètement. Dans Opération Dragon, alors que Bruce Lee se place dans les pas de James Bond, il évacue totalement la « James-Bond girl ». C'est assez fascinant.
Bruce Lee est un enfant, ou un être autosuffisant sexuellement, dans l'amour de son propre corps (cf le fait qu'il goûte son propre sang).
Peut-être y a-t-il un lien à trouver avec la fréquence des coups dans les testicules qu'il porte : une volonté d'affirmer sa virilité par d'autres moyens, d'éliminer, de disqualifier les adversaires mâles ? Une frustration qui s'exprime ?
Je note l'homophobie latente du film, et d'autres : le personnage incarné par Wei Ping-ao est manifestement homo, et attiré par Bruce Lee. Il est donc, dans l'esprit du film, doublement méchant : parce qu'il s'allie aux Romains et donc trahit sa patrie, et ensuite parce qu'il incarne une déviance, une perversion.
Big Boss (Lo Wei, 1972)
Alors qu'en Chine la famine fait des ravages, Bruce Lee émigre en Thaïlande pour trouver du travail. Il rejoint d'autres immigrés chinois, et commence à travailler dans une usine de glace (gérée par un trafiquant de drogue).
Bruce Lee a fait le serment auprès de sa mère de ne pas se battre – un médaillon lui rappelle son serment. Donc il laisse des racailles thai brutaliser des femmes, des enfants, des amis, des compatriotes, sans intervenir. Parfois même (mais rarement) c'est lui qui se fait brutaliser.
Ça se gâte quand le Big Boss commence à tuer des Chinois parce qu'ils en savent trop ou qu'ils se mettent en travers de son chemin. Les Chinois font grève, il y a une bagarre générale. Bruce Lee se fait casser son médaillon : le serment est (littéralement) brisé, il peut péter des gueules (on est à la moitié du film). Le patron de l'usine promeut Bruce Lee et augmente tout le monde. Les Chinois sont contents, puis ils se rappellent leurs potes disparus et ils sont tristes.
Le patron organise un dîner avec Bruce Lee et plein de prostituées. Il est forcé à boire par politesse et bêtise. Ivre, il rentre avec une prostituée et COUCHE AVEC ELLE ! (enfin plus exactement, elle le viole alors qu’il est endormi, mais bon, passons). Il s’enfuit honteux. Ses copains sont en colère en mode « ouais tu t'amuses pendant qu'on trime et que nos potes sont morts. »
Pendant que Bruce Lee fait des trucs, le Big Boss décide de tuer tous les Chinois.
Bruce Lee comprend que le Big Boss est un méchant, il va péter la gueule à tout le monde.
Le Big Boss avait enlevé une Chinoise, qui s'est enfuie et a prévenu la police des agissements du malfrat. La police, en arrivant sur le monceau de cadavres laissé par Bruce Lee, lui met les menottes aux poignets (?!)
J'arrive à la fin de mon marathon Bruce Lee, quasiment dans le sens chronologique inverse. The Big Boss est son premier film, et il y a beaucoup d'éléments qui annoncent ses prochains films : la question de l'humiliation/vengeance, le racisme, la sexualité très bizarre... Il y a en plus une dimension quasiment marxiste, avec la grève des Chinois exploités.
Mais c'est clairement pas le plus réussi. Les bagarres ne sont pas très réussies ; c'est long, le montage exclut toute forme de nervosité : plans infiniment longs de gens qui marchent sans cut, silences... Et les personnages, principalement Bruce Lee, mettent des plombes à comprendre ce que le spectateur a vu depuis des heures, comme le trafic de drogue. Soit le spectateur ne sait rien et découvre avec le héros les ressorts de l'intrigue, soit le spectateur sait tout et n'a pas envie de passer des heures à suivre une enquête dont il connait le résultat... Le scénario est rempli de péripéties inutiles, de détours. Un résumé complet ferait 2 pages alors qu'en vrai le scénar tient en 3 lignes.
Mais stupeur : blessé, Bruce Lee goûte son sang, préfigurant Opération Dragon !