Les montagnes hallucinées (H. P. Lovecraft, 1936)

Publié le 4 Mai 2017

Dans les années 1930, un groupe de chercheurs se lance dans une exploration de l'Antarctique. Suite à des résultats prometteurs, une partie de l'équipe décide d'approfondir les recherches plus loin dans les terres, à proximité de montagnes mystérieuses et effrayantes. Les résultats sont plus que probants : des minéraux inconnus révèlent des fossiles étonnamment bien conservés de créatures inconnues et mystérieuses, datant d'une époque très lointaine. Puis c'est le silence radio.
Le reste de l'équipe, mené par le professeur Dyer, le narrateur, décide de monter une expédition de secours. Le camp qu'ils trouvent est ravagé, les hommes et les chiens massacrés, on soupçonne un des membres de l'équipe d'avoir eu un accès de folie. Dyer et un étudiant décident de partir explorer au-delà des montagnes hallucinées. Ils découvrent une immense cité en ruines, qui n'a rien d'humaine, manifestement très ancienne. Les nombreuses gravures sur les murs des bâtiments apprennent à Dyer beaucoup sur les habitants de ces vestiges. Les créatures correspondent au fossiles trouvés : mi animal-mi plante, aquatiques et terrestres, sensibles et intelligentes, les « Anciens » (nommées ainsi en référence au maléfique Necronomicon) sont venus des confins de l'Univers habiter la Terre alors que la Lune venait de se séparer de notre planète, soit il y a plusieurs milliards d'années. Ils ont bâti une civilisation riche et variée et sont à l'origine de la vie sur Terre.
Dyer et son élève se rendent compte que les créatures déterrées ne sont pas mortes, et que d'autres créatures, encore plus dangereuses et terrifiantes, à l'origine de la disparition des Anciens, habitent les tréfonds de cette cité. Ils fuient ces monstres de mort. Tout le témoignage de Dyer vise à persuader le public qu'il ne faut, sous aucun prétexte, remettre les pieds dans cet endroit, pour ne pas risquer de réveiller ces créatures, et ainsi signer la fin de l'humanité.

C'est la première fois que je lis du Lovecraft. Je découvre sans grande surprise des réminiscences d'Edgar Allan Poe, mais aussi de Jules Verne : tout le début du (court) roman, la préparation de l'expédition ou les longues explications géologiques me rappellent les lointains souvenirs de lecture du Voyage au centre de la Terre. Il y a de longues descriptions, parfois fastidieuses, un ton professoral et un style très touffu, qui pourrait présager une lecture ennuyeuse, et pourtant non, ce n'est pas le cas, ça marche diablement bien. Parce que le monde dans lequel nous plonge Lovecraft est fascinant et terrifiant. Toute la mythologie autour du Necronomicon, ces monstres antiques, ces origines mystérieuses et monstrueuses...
Ça marche aussi parce qu'il joue beaucoup sur une technique de retardement de l'horreur : « ce que nous vîmes à ce moment-là nous glaça le sang au-delà du possible. Mais avant de vous dire ce qu'il s'est passé, laissez-moi vous décrire pendant trois pages tout le détail de l'équipement que nous avons emporté. » Il le fait évidemment d'une façon plus subtile, et terriblement efficace. C'est très bien construit, la peur monte progressivement, on n'ose pas lâcher le livre, parce qu'on a une envie terrible de savoir la suite.
Les Montagnes hallucinées (un des meilleurs titres du monde, quand même) m'a replongé dans des souvenirs de lecture de Poe (justement), quand, adolescent, je dévorais ses Histoires extraordinaires avant de m'endormir. Certaines m'avaient terrifié (notamment Petite Discussion avec une momie), seul dans mon lit, la nuit, incapable de m'endormir. J'ai retrouvé avec un réel plaisir ce type de sensation.

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Dans mon édition se trouvait également Dans l'abîme du temps, une longue nouvelle également publiée en 1936. On y trouve les mêmes principes d'écriture que dans Les Montagnes hallucinées : le texte est le récit d'un professeur ayant vécu une expérience fantastique, qui la relate sans savoir quelle en est la part de folie, dans le but de dissuader l'humanité d'aller explorer plus loin ce qu'il a découvert.
Ce professeur a vécu un épisode d'étrange « amnésie » : il s'est brusquement retrouvé comme ayant une personnalité complètement différente, avide de connaissances et de savoirs, notamment sur tout ce qui concerne le paranormal et les anciens mythes (Necronomicon et cie). Au bout de 5 ans, la personnalité de ce professeur est redevenue normale, sans qu'il garde le moindre souvenir de ces années. Progressivement, des cauchemars de plus en plus précis nous informent sur ce qu'il a vécu – mais qu'il continue d'analyser comme de simples rêves ou des réminiscences de lecture.
Il y a des centaines de millions d'années, une race postérieure aux Anciens habitait la Terre. Ils avaient le don de se projeter dans les corps d'êtres du passé ou du futur, prenant note de ce qu'ils observaient, afin d'avoir une connaissance quasi-parfaite du passé et de l'avenir. L'esprit du corps habité (celui du professeur en l'occurrence) venait alors habiter temporairement celui de la créature, et contribuait à enrichir les bibliothèques savantes. Sa mémoire était effacée avant de le renvoyer vers son propre corps, mais ce processus a parfois des failles – d'où les cauchemars du professeur.
Ce professeur publie plusieurs papiers relatant son aventure et détaillant ses rêves. Un chercheur l'informe de la découverte de ruines en Australie, qui correspondent à ses descriptions. Une expédition est organisée, les vestiges sont remarquables. Une nuit, le professeur s'aventure seul dans les ruines, trouve une ouverture et s'aventure dans les couloirs étrangement familiers mais néanmoins terrifiants. Le lieu est hanté par quelque créature inconnue, monstrueuse et maléfique, celle qui a causé la disparition de ces créatures ancestrales (et peut-être aussi des Anciens, ce n'est pas clair). Sentant la menace encore présente, le professeur s'enfuit dans la panique.

Cette nouvelle reprend donc exactement le même schéma que Les Montagnes hallucinées. C'est peut-être la raison pour laquelle je l'ai un peu moins appréciée, la fin de l'effet de découverte jouant sans doute un peu également. Mais ce n'est pas mauvais pour autant, ça reste un bon récit ! Lovecraft a la volonté évidente de connecter ses textes, de construire des mythes en lien les uns avec les autres – ce qui me donne envie d'aller plus loin dans ma lecture de son œuvre.

Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #littérature américaine, #fantastique, #horreur

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