Publié le 20 Août 2013

J'avais vu les deux précédents films de Jacques Audiard, De battre mon cœur s'est arrêté (2005) et Un prophète (2009), qui m'avaient tous deux enthousiasmé, pour des raisons différentes mais quand même. De Rouille et d'Os m'avait fait envie au moment du festival de Cannes 2012 (comme Holy Motors, que j'ai vu et adoré mais c'était il y a longtemps et je m'en souviens plus assez bien pour en faire une note).

On commence par suivre Ali (Matthias Schoenaerts), un marginal fauché, qui a fait de la boxe et qui est un peu bourrin, qui voyage avec son fils. Ils atterrissent chez la sœur d'Ali, qui va les héberger plus ou moins contre son gré. Ali trouve un job de videur de boite de nuit, où il croise le chemin de Stéphanie (Marion Cotillard), dresseuse d'orques, apparemment un peu paumée elle aussi (elle se fait tabasser par un type en boite, son mec qui l'attendait à l'appart ne savait pas où elle était). Quelques jours après, c'est le drame : accident au Marineland dans lequel travaille Stéphanie. Elle perd ses deux jambes. Le numéro d'Ali traîne dans son appartement, elle l'appelle.

Ce film est l'histoire de la relation trouble et équivoque de ces deux personnages bien campés qu'à priori tout oppose. Ali le gros bourrin, qui boxe et qui baise comme un bourrin, qui fait des combats pour de l'argent, qui réfléchit peu en général (à ses actes, aux conséquences…), sympathique par moments, plutôt détestable parfois. C'est un truc que j'apprécie, les personnages antipathiques à qui on s'attache quand même, c'est une belle performance, autant dans l'écriture que dans l'interprétation. Et Stéphanie, la fille un peu paumée, qui a une certaine tendance à faire n'importe quoi, qui se retrouve handicapée du jour au lendemain, et qui croise la route de ce type qui lui ressemble pas trop, mais un peu quand même dans le fond. Elle a une dureté dans l'expression qui prend une nouvelle dimension après son accident.

Il y a quelques moments qui manquent un peu de finesse à mon goût, et qui ressemblent un peu à des facilités d'écriture. Je pense à cette séquence vers la fin (que je ne raconterai pas) où j'ai eu l'impression qu'Audiard s'est dit « bon je sais trop quoi faire avec ce personnage, alors je vais lui foutre un évènement bien dur bien traumatisant sur la tronche, comme ça il aura une raison d'évoluer sans que je me prenne trop la tête. » La scène est réussie et marquante, mais bon. Malgré ça c'est un film assez fort. Audiard offre un beau rôle à Marion Cotillard, ce qui n'est quand même pas toujours le cas (je pense à Inception, avec son rôle de « je suis fragile mais un peu folle mais belle mais fragile mais dangereuse quand même. »)

On notera quelques apparitions, comme celle de Bouli Lanners. Je dis « apparition » parce que tout est tellement centré sur Ali (et un peu son fils) et Stéphanie que tous les autres personnages passent au second plan, voire troisième. Je pense notamment à Céline Sallette (formidable dans Les Revenants, dont il faudra peut-être que je parle un jour) largement sous-exploitée, qui passe les 3/4 de sa présence à l'écran soit dans l'ombre, soit carrément floue (elle aurait fait un très bon César de l'acteur de second plan)

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #France

Publié le 10 Août 2013

D'après Gautier d'Agoty, l' « Ange Anatomique »

Donoma est un film qui a fait pas mal parler de lui sur le thème « le film qui a coûté 150€. » Si cette appellation est un peu une arnaque (ça veut juste dire qu'à peu près personne n'a été payé sur ce film, qu'ils ont squatté du matériel etc), elle sous-entend aussi une façon de faire du cinéma radicale qu'ils qualifient de « cinéma-guérilla », avec peu de moyens, des acteurs non-professionnels, dans une démarche proche de la Nouvelle Vague (et elle soulève aussi la difficulté de produire des films qui sortent des sentiers battus).

Le résultat est un film choral, très bien construit, autour des histoires d'amour et de cul de plusieurs personnages. S'il y a de l'improvisation dans les scènes, le canevas est sans doute précisément écrit. Pour résumer, il y a Dacio, le lycéen agité de 17 ans, qui a une aventure étrange et un peu dérangeante avec sa sulfureuse et explosive prof d'espagnol ; il y a Salma, dont la sœur est leucémique, qui a la mauvaise idée de sortir avec Dacio, et qui est paumée dans ses questionnements métaphysiques ; et Chris, une photographe qui met la vie à distance à travers son objectif, qui a envie de faire de sa première histoire d'amour quelque chose d'unique : elle emmène le premier inconnu qu'elle croise (Dama) chez elle, où ils resteront un mois sans se parler, à simplement mimer ce qu'ils ont à dire, pour être dans le sensible, le corporel. Quand j'ai vu ce film, il était précédé d'un (brillant) court-métrage, White Girl in her Panty (2008), que l'on peut voir sur dailymotion, et qui donne une assez bonne idée du style de Djinn Carrenard, où l'on assiste à la rencontre de Dama et Leelop à New-York. Ce court-métrage est une sorte de « prequel » à Donoma.

Il ne faut pas s'arrêter au slogan « film à 150€ », Donoma est beaucoup plus que ça. Parfois cruel, sensible, fin, très touchant, tournant autour du thème vieux comme le monde du sentiment amoureux sous toutes ses formes, mais dépoussiérant les clichés, par sa façon de filmer, par son approche des histoires, par le naturel de ses acteurs. Il s'attaque à des thèmes assez durs et forts (la violence, les rapports de force et de domination, le racisme...) mais sans jamais en rajouter, sans appuyer, sans être démonstratif. Comme parfois dans les films choraux, certains passages sont moins intéressants que d'autres, mais c'est rattrapé par la justesse d'ensemble et la sensibilité du ton.

PS : pour ceux que ça intéresse, une interview de Djinn Carrenard à propos de ce film.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #France