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Publié le 12 Septembre 2022

C'est une petit livre (un « libelle ») juste et révolté, qui aborde principalement les questions d'écologie, de féminisme, et de justice sociale. Peut-être manque-t-il un peu de structure dans le raisonnement, ou de hiérarchie du discours. J'avoue n'y avoir découvert rien de nouveau, mais que voulez-vous, je suis déjà un islamo-gauchiste radical : je suis totalement d'accord avec ce que les trois autrices écrivent. C'est une très bonne base pour un programme politique de gauche.

* * *

1. Écouter le monde et l'époque
L'androcène sépare l'homme et la nature, le civilisé du sauvage, l'homme de la femme, et impose une façon de penser (croissance, race, pouvoir d'achat…) Il faut renverser les choses, se réconcilier avec la nature (écoféminisme), s'inspirer des expériences ailleurs, des mouvements sociaux…

2. Ressentir
Rendre sa valeur à l'empathie, au respect de l'altérité, aux émotions. Valoriser la relation aux autres. « Contrairement aux idées reçues de l'androcène, l'émotion n'occulte pas la raison, elle la contextualise. » (p. 26)

3. Déconstruire
Surconsommation, mythe de la Croissance infinie, aliénation par le travail… : il faut changer les cadres de la pensée, trouver d'autres rapports à la nature, au vivant, au travail (revenu universel).

4. Nous réconcilier
Violence partout, justice nulle part. Urgence écologique. Assumer les responsabilités individuelles et collectives. Solidarité.

5. Être radicales et radicaux
Appel à la lutte, à de nouvelles utopies réelles.

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Publié le 10 Janvier 2022

Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), jeune doctorante en astronomie, découvre une nouvelle comète. La fête qui suit la découverte se termine quand les calculs, réalisés avec le dr. Randall Mindy (Leonardo DiCaprio), montrent que la comète, qui fait entre 5 et 10 km de diamètre, va percuter la Terre dans six mois : c'est la promesse d'un évènement cataclysmique, pire que celui qui a mis fin au règne des dinosaures.
Dibiasky et Mindy vont essayer de prévenir le monde que nous courrons à notre perte si nous n'agissons pas. Mais entre les plateaux télévisés gentiment hilares, les politiques incompétents, principalement intéressés par leur propre élection, les complotistes, etc., ce n'est pas évident de se faire entendre.

C'est le film dont tout le monde parle en ce moment, pas de raison pour que je passe à côté. Et je ne regrette pas : c'est drôle, c'est bien écrit, bien joué (j'ai jadis dit beaucoup de mal de Jennifer Lawrence, elle est très bien ici, sans doute a-t-elle progressé). La mise en scène n'est pas particulièrement remarquable, un peu maniérée, mais rien qui gène le plaisir du film.
Don't Look Up, c'est Armageddon couplé à Idiocracy. C'est assez habile dans la façon dont l'intrigue avance, dans la description de la bêtise du monde contemporain : aussi désespérant que ça puisse paraître, tout cela est crédible. On a beaucoup parlé du fait que le film est une métaphore de nos réactions face au changement climatique : sans doute. Adam McKay est le réalisateur de Very Bad Cops, que j'avais aimé à l'époque, et qui était déjà un film très politique.

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Publié le 26 Août 2021

Ce livre passionnant se penche sur l' « intelligence animale » et tout ce qu'on peut mettre derrière : conscience, cognition, esprit, sensibilité… Frans de Waal, primatologue et éthologue, s'appuie sur de nombreux exemples tous aussi émerveillants les uns que les autres. Il retrace l'histoire des débats entre behavioristes (qui en gros considèrent les animaux comme des machines) et les éthologues (qui leur accordent une intelligence et une sensibilité).
C'est absolument formidable et passionnant, et il est recommandable à tout le monde qui s'intéresse un tant soit peu au monde animal.
Il a quand même un petit défaut, il manque un peu de structure : il y a beaucoup de retours en arrière pour développer autrement une idée exposée précédemment (d'ailleurs j'ai rangé les notes ci-dessous dans le bon ordre). Le livre est beaucoup basé sur le démontage d'idées reçues ou d'affirmations fausses (provenant souvent de gens très sûrs d'eux mais qui n'y connaissent rien). Peut-être aurait-il vraiment fallu que le livre soit construit autour de ce principe, ça lui aurait probablement donné une structure plus forte.

* * *

1.
L'Umwelt est la représentation du monde intérieur. Les Umwelts d'un chimpanzé, d'une chauve-souris, d'une fourmi, d'un humain sont radicalement différents. Wittgenstein : « un lion pourrait parler, nous ne pourrions le comprendre ».
De la difficulté de concevoir des tests adaptés aux animaux étudiés.
P 40 : « anthropodéni » : rejet à priori de traits proches des humains chez d'autres animaux ou proches des animaux chez nous. Plus une espèce est proche de nous, plus l'anthropomorphisme nous aidera à la comprendre et plus l'athropodéni sera dangereux. En revanche, plus une espèce est éloignée de nous, plus l'anthropomorphisme risquera de suggérer des similitudes contestables pour des phénomènes qui sont indépendants.

2.
Comportementalisme (behaviorisme) vs éthologie. Comportementalisme : les animaux sont des objets vides. Éthologie : les animaux sont des sujets. On étudie habitudes et instincts. Cela implique de connaître les espèces avec lesquelles on travaille, de connaître les animaux, leur donner un nom, comprendre leur place dans le groupe… Connaître le comportement spontané permet un contrôle expérimental.
Bien que ce soit très répandu, affamer les animaux n'est pas une bonne méthode (!) On dresse des souris pour certains tests, au lieu d'adapter les tests aux souris.
Hans le cheval : influence réciproque du comportement humain sur les animaux.

3.
L'eurêka des chimpanzés.
Comportement : apprentissage + biologie + cognition (données collectées, comment elles sont traitées et à quoi elles servent). Singes capucins et chimpanzés peuvent résoudre les mêmes problèmes, mais les chimpanzés les comprennent rapidement, les singes finissent par apprennent après de très nombreux essais et erreurs. Les résultats sont apparemment identiques, la cognition est très différente.
Tous les singes, les corbeaux, les moutons ou les guêpes reconnaissent les visages. Les corbeaux réussissent mieux que les primates à certains tests. Et les pieuvres aussi utilisent des outils !
Hominidés : chimpanzé, bonobo, orang-outang, gorille, humain, gibbon.

4.
Parler aux animaux, leur apprendre le langage humain.
Scepticisme sur le langage : les humains eux-mêmes ne s'en servent pas bien (mensonges, erreurs sur les ressentis…) Le langage n'est pas la matière de la pensée : on ne pense pas forcément en mots (sinon on ne chercherait jamais nos mots pour exprimer ce que l'on pense). Pour autant, l'humain est sans doute la seule espèce linguistique, avec un niveau symbolique, émotionnel, hors du présent.
Perroquets gris du Gabon qui maîtrisent le langage et savent calculer. Les primates lisent le langage non verbal bien mieux que nous.

5.
Certains chimpanzés battent les humains à des jeux de mémoire.
Chimpanzés, bonobos et humains sont très proches : ils sont du même genre biologique. Pas de spécificité humaine. Notre cerveau est identique à celui d'un chimpanzé dans sa structure.
Vouloir à tout prix chercher l'exceptionnel chez l'humain, le sortir de l'évolution. Cela oblige à redéfinir l'humain en permanence.
Théorie de l'esprit (TOM) : capacité de saisir les états mentaux des autres. Admis comme LA spécificité humaine. Qualité plus fondamentale, dont la TOM découle, serait l'empathie, mais comme elle est partagée par plein d'espèces, elle n'est pas valorisée. Mais la TOM n'est pas un processus rationnel : les très jeunes enfants en font preuve avant de savoir parler (d'où l'empathie). Et primates et corvidés font preuve de TOM.
Prétendre tester chimpanzés et enfants de la même façon est une aberration : les enfants sont choyés, sur les genoux de leur mère, parlent à d'autres humains ; les chimpanzés sont en relation avec une autre espèce, parfois en cage, isolés… Bien sûr que les résultats sont différents : les tests sont beaucoup trop anthropocentrés.
Nombreux exemples de cultures animales ; les animaux s'imitent entre eux.
Arrêter de se demander quelle est la spécificité humaine (et encore plus de penser qu'on serait tout en haut)

6.
Importance des relations sociales et des jeux politiques chez les espèces à grand cerveau (chimpanzés…) Coopération très répandue dans le monde animal. On trouve même des pêches collaboratives entre humains et dauphins, humains et orques.

7.
Les animaux se projettent dans le futur (même proche), ils ont des souvenirs : ils ne sont pas enfermés dans le présent. Mais la question de la conscience du temps est compliquée.
Les souvenirs des chimpanzés s'étalent sur plusieurs années. Les grands primates prévoient des actions plusieurs heures voire jours à l'avance, avec planification (pas seulement instinct). Animaux pas toujours soumis à impulsions : ils savent faire preuve de retenue.
Métacognition : pensée sur la pensée, savoir ce que l'on sait, savoir ce qu'on ignore (les animaux le font).

8.
Les éléphants, trop gros pour entrer dans un labo, sont mal connus.
Le test du miroir, parfois trop investi par chercheurs. Chat et chiens l'ignorent. Si les singes capucins ne se reconnaissent pas dans le miroir, ils ne prennent pas leur reflet pour quelqu'un d'autre : il y a une gradation dans la réussite du test.
Seuls hominidés, pie eurasienne, dauphins et éléphants se reconnaissent spontanément, à notre connaissance.
L'intelligence de la pieuvre. Animal étrange et unique. Une peau qui voit (photosensible), des membres qui pensent (nombreux neurones).
Les animaux sont conformistes, imitent le groupe.
L'auteur a gagné un prix ig Nobel pour avoir montré que les chimpanzés reconnaissent les culs de leurs comparses. Importance de la reconnaissance, des individus, des noms (les dauphins se donnent des noms)

9.
Conclusion, résumé, ouverture vers encore plus de recherche.

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Publié le 13 Décembre 2020

La philosophe Jeanne Burgart Goutal résume ses réflexions sur ce courant de pensée protéiforme et difficile à définir. Écrit à la première personne, truffé de citations et de notes, c'est un livre intéressant, qui soulève de nombreuses questions, offre des perspectives intéressantes et me pose de réels problèmes.
Je vais reprendre la structure du livre pour le résumer, et le commenter ici ou là (je mettrai mes commentaires à part).

A. [Théorie] Herstory
1. Désordre Global
Les premiers dessins des contours de l'écoféminisme : dans Solutions locales pour un désordre global (Coline Serreau, 2010), la militante écoféministe indienne Vandana Shiva articule l'idée selon laquelle toutes les oppressions (sexistes, écologiques, coloniales…) sont liées aux violences patriarcales.
Janet Biehl ou Murray Bookchin critiquent l'écoféminisme, à cause du risque d'essentialisation de la « nature féminine » forcément plus douce et plus proche de la nature ; et par le fait que la lutte écologique semble plus être liée à des questions de classe sociale que de genre.

2. L'impossible cartographie
Définir l'écoféminisme s'apparente à une entreprise vaine, puisqu'il semble exister autant d'écoféminismes que d'écoféministes, ce qui est à la fois la richesse et la limite de ce mouvement. On trouve quand même un lien dans cette idée d'imbrications d'oppressions.

3. Naissance du mouvement (années 1970-1980)
Faute de définition claire, Jeanne Burgart Goutal s'attache à l'histoire (oubliée) du mouvement. L'écoféminisme naît en France, mais s'exporte rapidement dans le monde anglo-saxon, en croisant différentes luttes : droits civiques, Renaissance améridienne, mouvement New Age, féminisme, accident de Three Mile Island, Women's Pentagon Action, Greeham Common Women's Peace Camp… L'écoféminisme se nourrit de l'action directe non violente, de désobéissance civile et constitue des groupes locaux autonomes décentralisés. C'est un ensemble de mouvements joyeux, collectifs, inventifs et réprimés.

4. Le cas français
En France, l'écoféminisme s'articule notamment autour du problème de la surpopulation. Mais l'héritage de Simpne de Beauvoir et sa méfiance envers l'idée de « nature » féminine éloignent la plupart des féministes de l'écoféminisme.

5. Aux pourtours de la nébuleuse
Des luttes écologistes portées par des femmes, souvent issues de minorités ou de classes sociales défavorisées, n'en portent pas le nom mais s'inscrivent dans le mouvement écoféministe. On peut citer le mouvement Chipko en Inde (contre la déforestation), d'où vient Vandana Shiva.

6. Prolifération théorique (années 1990)
Une définition de Barbara Epstein (p. 70) :

Pour les écoféministes, le patriarcat, la domination des femmes par les hommes, est lié à la tentative de dominer la nature. Pour justifier leur exploitation, femmes et nature ont été réduites à des objets, placées dans la catégorie de « l'Autre » ; on a nié la connexion de l'humain avec le monde naturel, ainsi que le féminin dans la nature de l'homme. […] Le patriarcat doit être remplacé par une organisation sociale égalitaire, où les hommes et les femmes ont un pouvoir égal, et par une écologie sociale dans laquelle l'environnement naturel est cultivé au lie d'être manipulé ou détruit. […]

JBG liste quelques points d'accord du mouvement (P. 71) :

  • Le système : « toutes les formes de domination (sexisme, racisme, spécisme, classisme, colonialisme, impérialisme, anthropocentrisme…) sont liées de façon indissociable, systémique […] ».
  • La nature : l'écoféminisme tente de revaloriser l'idée de nature, comme constitutive de la société, en critiquant l'opposition culture/nature.
  • Le féminin : valoriser le féminin en le repensant : sorcières, Déesses, Terre-Mère, herstory…
  • L'histoire : vision pessimiste de l'histoire, vu comme une aggravation des systèmes de dominations.
  • Le changement : intérieur comme extérieur, se changer soi pour changer le monde et réciproquement (déconstructions)
  • L'utopie : refus de la domination entre humains et entre espèces, structures circulaires et non plus pyramidales…

Bien sûr, chaque point soulève des désaccords, des contradictions, des oppositions, listées p. 74.

7. Le déclin (1995-2015)
Les temps changent, et les violentes critiques auxquelles a fait face l'écoféminisme (accusé d'essentialisme, de conservatisme, d'irrationalisme, de dépolitisation) ont fini par porter leurs fruits. Certaines de ses idées sont reprises par des hommes qui ne citent pas leurs sources (Derrida, L'animal que donc je suis, 2006), contribuant à l'invisibilisation du mouvement.

8. Persistances souterraines
Starhawk ou Vandana Shiva continuent leur travail, on trouve des mouvements en Amérique du Sud et Latine.

9. Résurgences contemporaines
L'écoféminisme est de retour, tout aussi divers aujourd'hui qu'il y a trente ans (classification p. 95).

10. Ici et maintenant
Des exemples de mise en œuvre de l'écoféminisme, sur plusieurs thématiques : Lutter (p. 97), Cueillir (p. 100) ; Initier (p. 106) ; Danser (p. 114) ; Célébrer (p. 120).

B. Interlude
JBG fait une pause pour expliquer que sa tentative d'approcher l'écoféminisme par l'angle théorique est un peu vain : c'est un mouvement par essence protéiforme, qui ne cherche pas à être rigoureux théoriquement. Beaucoup de ses idées sont peut-être même fallacieuses, voire erronées : le lien femmes/nature, la Terre comme être vivant, le lien entre toutes les dominations… (p. 131). Ces idées marchent bien pour des slogans, elles permettent un travail de déconstruction, et surtout elles permettent de passer à l'action.

C'est le point de bascule du livre. JBG a pour l'instant fait un résumé des pensées écoféministes, sans oublier de mentionner les critiques qui lui sont adressées, et certaines de ces critiques font mouche. Cet état des lieux est intéressant, instructif, passionnant.
JBG quitte alors le terrain théorique pour se pencher sur la pratique. Mais c'est aussi le moment où, pour moi, la construction s'effondre : comment défendre un mouvement qui repose sur des bases théoriques fausses ? Certes, les écoféministes mènent des combats qui me parlent, mais si elles le font pour de mauvaises raisons, comment valider, leurs actions ? Pour aller plus loin, si les bases théoriques de ce mouvement sont foireuses, qu'est-ce qui le distingue de Trump et de ses « faits alternatifs » ?
C'est une contradiction que JBG ne parvient jamais tout à fait à lever, et qui va continuer de m'énerver jusqu'à la fin du livre. D'autant plus qu'elle tient une sorte de position du genre « les écoféministes disent beaucoup de conneries, mais elles font des trucs chouettes du coup c'est pas grave », qui ne me semble pas très solide (sur tous les plans).

B. [Pratique] Reinventing Eden
1. Arme de déconstruction massive
Ses lectures écoféministes ont conduit JBG à modifier son regard et à placer une grille de lecture écoféministe sur tout ce qu'elle lit et qu'elle regarde (arts, sciences, histoire, biologie…

Il me semble que c'est un processus assez classique, ce blog témoigne de mon regard féministe sur un certain nombre de films/livres, ce qui ne veut évidemment pas dire que ce qu'en dit JBG n'est pas intéressant, au contraire. Il y a malheureusement dans ce chapitre d'autres exemples de vérités alternatives, notamment sur la période préhistorique.

2. Cantoyourte
JBG part une semaine dans l'habitat communautaire de Sylvie Barbe, qu'elle appelle Cantoyourte. Sylvie représente un modèle « radical » : autonome, féministe, artistique, détachée de tout modèle marchant…

3. Réactionnaire ?
D'une certaine façon, Sylvie incarne ce que les détracteurs de l'écologie lui reprochent : un « retour à la bougie ».

4. Femme-nature ?
Le sujet qui fâche : l'essentialisation des femmes, leur rapport intrinsèque à la nature, revendiqué par Sylvie (p. 179) ; il peut aussi s'agir de réinventer (reclaim) une nouvelle féminité.
Mais l'association femme-nature n'existe pas dans certaines cultures, nombreuses : chez les Inuits, « le froid, le cru, la nature sont du côté de l'homme, le chaud, le cuit, la culture, du côté de la femme » (Françoise Héritier), idem chez les Siriono du Brésil etc (p. 190).

Elle a l'air sympa cette Sylvie, elle a sans doute plein de choses à défendre, mais JBG peine à réfuter l'accusation d'être réactionnaire, et démontre que son discours ne tient pas. JBG reste dans la position de « elle dit de la merde mais c'est pas grave ».

5. Fanatique ou fantastique ?
JBG décide de se rendre en Inde, à Navdanya, une communauté créée par Vandana Shiva : semences locales, agriculture biologique, vie en communauté… Pour autant, Shiva dit beaucoup de conneries. Mais :

Si le régime de vérité de l'écoféminisme est pragmatique et non pas théorique, si ce qui compte n'est pas son exactitude, sa fidélité au réel, mais sa capacité à le transformer et à créer un meilleur réel, alors c'est sur les faits qu'on peut juger de sa valeur. (p. 206)

On est en plein régime de post-vérité, de faits alternatifs etc. C'est un peu effrayant (d'autant plus que, comme on le verra plus loin, les faits ne donnent clairement pas raison à Shiva).

6. Navdanya
Description de la vie sur place. La plupart des gens se foutent un peu de la gueule de JBG quand elle essaye de poser des questions sur l'écoféminisme. Mais elle observe un grand décalage entre les principes et la réalité.

7. Théorie et pratique : l'insurmontable contradiction ?
Encore des descriptions de la faiblesse théorique de Shiva, doublées des contradictions sur le terrain : grosses différences de salaires, répartition genrée des responsabilités, système de caste maintenu, pas d'intéressement aux ventes… Pour autant, les conditions de travail sont meilleures que dans d'autres parties du pays.
Confrontation au principe de réalité : les choses sont plus compliquées dans la vraie vie que dans les beaux discours. « Fallait-il y voir une déplorable compromission, ou un pragmatisme indispensable pour agir ? » (p. 224)

8. Un « autre féminisme » ?
La conception indienne du monde place l'individu au centre d'un réseau : une femme est une fille, une mère, une épouse, et se construit par ces relations. S'ensuit un gros passage sur la nécessité de « décoloniser » le féminisme (les féminismes), et sur l'histoire du féminisme en Inde.

9. Prakriti
Prakriti, mot sanskrit et hindi qui se traduit par « nature », est dérivé du verbe « faire » (kar/kr) : la nature, dans la conception indienne, est un processus, pas un état figé, et les oppositions nature/culture et humain/nature y sont étrangères. Description de la faiblesse théorique de la sacralisation de la nature (« il faut défendre la Terre-Mère »), puisque la déification de la nature indienne n'empêche pas des désastres écologiques.

10. Les mots et les choses
L'adaptation au contexte (qui peut être vu comme un renoncement, voir chapitre 7) ; la difficulté de donner un sens précis aux concepts, à travers différentes cultures et différentes langues. Mais de toutes façons le discours de Shiva, « c'est du théâtre » (p. 281), elle est d'ailleurs assez mal perçue en Inde (« pur produit médiatique pour gogos occidentaux », p. 282).

Coda
Les écoféministes cherchent à changer le monde sans vouloir accéder au pouvoir, et inventent en permanence des moyens d'action. Ce mouvement, à la mode, est récupéré par les industriels et politiques en recherche greenwashing ; les mouvements écologistes sont bien souvent muets sur le féminisme, les écoféministes fuient parfois le politique. Pour autant, il est nécessaire de lier féminisme à écologie, et écologie à féminisme.

* * *

Il faut que je me rende à l'évidence : ce livre m'a autant agacé qu'intéressé (sinon je n'aurais pas écrit ce pavé que personne ne lira jusqu'au bout).
La première partie qui se concentre sur la définition de l'écoféminisme et son historique est très intéressante, et sans doute nécessaire, parce qu'elle remet en avant une histoire de luttes oubliée, effacée.
La deuxième partie est pour moi le signe d'un échec, théorique et pratique, mais un échec qui n'est pas assumé par Jeanne Burgart Goutal. Le mode de vie de Sylvie ne me paraît pas être une solution globale viable, et son discours (essentialiste) est faible. L'expérience indienne n'est pour moi pas plus convaincante, le discours de Shiva étant tout aussi faible, et les grands principes qu'elle expose ne sont pas mis en œuvre.
Et il me semble que la démarche intellectuelle de Jeanne Burgart Goutal trouve assez vite ses limites : expliquer que les failles du discours ne sont pas graves parce que ce qui compte ce sont les pratiques, et que les échecs des pratiques ne sont pas graves non plus parce que c'est notre regard qui est trop colonisé/occidentalocentré/biaisé, c'est trouver en permanence des excuses.
Mais je sais bien ce n'est pas en se basant sur seulement deux exemples que l'on peut disqualifier l'écoféminisme. J'en vois malgré tout et malheureusement beaucoup les failles et les limites, ainsi que celles du livre et discours de Jeanne Burgart Goutal, et c'est bien dommage.
Pourtant, je me sens écologiste et féministe, et il y a des choses dans ce mouvement qui m'intéressent. Je suis par principe d'accord avec la conclusion du livre (les liens féminisme/écologie), mais d'une certaine façon, tout le livre démontre l'inverse de la conclusion à laquelle il aboutit…

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Publié le 15 Avril 2020

Trois écologistes cherchent à faire sauter un barrage sur une rivière. Leur attentat se passera-t-il comme prévu ?

(Bon, je vais spoiler un peu)

J'ai regardé avec un certain plaisir Wendy and Lucy de la même réalisatrice ; je ne peux pas m'empêcher de faire des comparaisons. On retrouve dans ce film le même rythme plutôt lent, l'attention aux petits détails, le soin apporté aux cadrages. Pourtant, ici, ça ne fonctionne pas. Déjà parce que si cette approche de miniaturiste marchait bien dans une histoire miniature mais sensible, elle a beaucoup moins de sens ici, dans un récit dont les enjeux sont beaucoup plus importants et plus politiques. Or, Kelly Reichardt n'a pas l'air de l'intéresser à cet aspect politique : le terrorisme se justifie-t-il si la cause est bonne ; faire sauter un barrage peut-il avoir un impact sur les consciences ; que faire des conséquences de ses actes, des éventuelles « victimes collatérales » ; à partir de combien de morts une action est-elle décrédibilisée…
Toutes ces questions, Kelly Reichardt ne se les pose pas. Et c'est bien dommage, parce qu'elles m'intéressent beaucoup, et que je trouve vraiment très gênant qu'on ne s'y attaque pas quand on choisit de traiter ce sujet…
Et donc, que reste-t-il ? Et bien, pas grand-chose. Il reste les personnages, mais Kelly Reichardt reste trop à distance d'eux pour qu'on s'y attache, pour qu'on comprenne vraiment leurs réactions. Ces personnages sont un peu des coquilles vides dont on ne sait presque rien (même si les acteurices sont très bien). Il aurait fallu leur donner un peu d'épaisseur, ça aurait sans doute permis qu'on comprenne mieux leurs réactions, qui là, à distance, paraissent un peu connes, ce qui n'aide pas à s'impliquer.

(Et je note que bien que ce soit un film réalisé par une femme, il ne passe pas le test de Bechdel-Wallace)

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Publié le 15 Novembre 2017

Après avoir lu un article sur les « free-divers », ces apnéistes qui vont étudier les cachalots de près, j'ai développé une sorte de passion pour cet animal fascinant. Ce livre, offert par S. & B., est l'apothéose de cette passion. François Sarano est un plongeur océanographe qui étudie ces énormes mammifères.
Et tout y est passionnant : la description des chants des cachalots, leur curiosité, les cadeaux qu'ils offrent – tout comme d'autres cétacés – aux plongeurs, les liens qu'ils créent, la présentation des nouveaux-nés, l'histoire d'Éliott, ce jeune cachalot qui va trouver les plongeurs et se montre insistant, jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'il veut qu'ils lui enlèvent un hameçon coincé dans sa mâchoire... Intelligent, sensible, social, encore très méconnu (ils vont chasser en eaux profondes, autour de 1 000 mètres de profondeur, là où aucun humain ne va et où peu de machines s'aventurent), les cachalot est décidément un de mes animaux préférés.
Le livre donne un bon aperçu des savoirs et recherches sur plusieurs chapitres : histoire des massacres, la question du clan, l'intelligence, l'apprentissage, l'apprivoisement... Il se termine par un long chapitre sur l'avenir de l'espèce, pas très optimiste vu le niveau de pollution des océans, qui insiste sur l'importance du lien avec la vie sauvage dans ce qui fait de nous des hommes.
Bref, c'est un livre formidable, qui n'a qu'un défaut : il est rempli de flash-codes, qui obligent à avoir un téléphone moderne et à le garder près de soi en lisant...

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #essai, #écologie

Publié le 14 Septembre 2017

Réalisé dans les années 1960, ce livre a été publié en 1976 sur un mode « fanzine », en version bilingue français/anglais, avec le concours du ministère de la « Qualité de Vie », à l'occasion de la Première Conférence Internationale sur l'Habitat Humain.
Et c'est passionnant. Déjà, c'est beau : le texte est illustré de petites vignettes schématiques qui mine de rien inventent tout un vocabulaire graphique simple et efficace. Yona Frideman y expose, de façon didactique1, des problématiques liées au logement, à la cohabitation des humains, à la production de nourriture, de déchets...
Yona Friefman propose différents solutions aux problématiques exposés, certaines s'excluent, d'autres se complètent (ce sont des pistes de réflexion plus que des réponses clé en main)

  • changer de nourriture : on a remplacé les espèces de plantes locales, résistantes, par des espèces importées et moins résistances. Il faudrait revenir au local, à la végétation « naturellement » adaptée au milieu.
  • l'agriculture urbaine (circuits courts)
  • migrer dans zones plus adaptées à la vie : l'habitat dans des zones chaudes (Afrique), ce qui permettrait de réduire les coûts liés au chauffage (la climatisation n'était sans pas aussi présente dans les années 1960) ; l'agriculture dans des zones tempérées
  • changer la mentalité économique et le concept de rentabilité et notre système de valeurs
  • vivre en utilisant les déchets produits par nos industries et nos organisations
  • accepter les avantages et les défauts d'un écosystème artificiel.

Dans un monde qu'il prévoit voué à l'appauvrissement, Yona Friedman insiste sur la notion de village : un petit espace, où la communication est facile, où l'on peut choisir ses voisins. Ils se livre aussi à une revalorisation du bidonville, « le bidonvillage ».
C'est malin et bien pensé, les solutions explorées restent cohérentes et poussent à la réflexion. Certes, la pensée écologique a évolué sur certains points, mais ça ne suffit pas à rendre ce livre moins actuel et salutaire.

1. Le ton m'a un peu rappelé, le cynisme en moins, le fameux L'Île aux Fleurs de Jorge Furtado (1989).

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #essai, #écologie