Publié le 26 Octobre 2016

Ben (Viggo Mortensen, très bien) élève ses 6 enfants (tous très très bien aussi) d'une façon alternative, en pleine forêt, en mode écolo-zadiste un peu bourrin : ils sont auto-suffisants en à peu près tout ; ils pratiquent intensément la culture physique, course, musculation, escalade ; ils s'entraînent au combat au corps à corps ; pratiquent la chasse au couteau et à l'arc ; et passent leurs soirées à lire de la grande littérature et des ouvrages scientifiques et à faire de la musique. Ils sont heureux, les enfants sont des sortes de génies précoces mais plutôt asociaux, dans la mesure où ils n'ont pratiquement aucun contact avec les gens de l'extérieur.
L'élément déclencheur de cette histoire, c'est la mère qui est hospitalisée (bipolaire, schizophrène), et qui va amener le père et ses enfants à entamer un road trip et à se confronter au monde qui les entoure.

Captain Fantastic est ce qu'on peut appeler un « feel-good movie » : on en sort avec le sourire, c'est souvent drôle, assez joyeux et léger même si certains sujets sont plutôt graves. C'est un film qui ne réfléchit pas trop : à plusieurs moments Ben pourrait être amené à se justifier, à expliquer sa démarche, mais il ne le fait jamais. C'est comme ça, c'est un acquis du film. Et c'est donc à nous de nous poser les questions sur nos modes de vies et les leurs... J'avoue que ça me plaît plutôt qu'un film ne théorise pas.
Bien que ce soit un film qui m'ait plu, je suis conscient de ses défauts. Son côté sucré, bien qu'agréable, est aussi une des limites du film : à l'image tout est trop beau, trop léché, c'est un peu l'esthétique Instagram. Tout le monde est propre, a de belles dents et des cheveux bien peignés... Globalement c'est un film qui est bien écrit, dont les personnage sont plutôt finement dépeints, mais il y a des scènes qui manquent vraiment de subtilité... voire qui décrédibilisent un peu le film : comment Ben peut-il sérieusement penser que les Français font encore boire du vin à leurs enfants dès 4-5 ans ?
Clairement, je crois que j'aurais préféré un film un peu plus radical, un peu plus brut, à l'image de ce qu'avait fait Thomas Cailley avec Les Combattants, qui a un thème un peu proche. Un film qui ose affronter plus directement les problématiques abordées, qui ose nous remettre en question. Mais en même temps je sais bien qu'il faut prendre les films comme ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts, et que c'est une impasse de chercher à quoi aurait pu ressembler un film si ceci et si cela. Et ce que j'en retiens, c'est que ce n'est clairement pas un grand film, mais que c'est un chouette moment, ce qui n'est pas rien, et qu'il peut être support de discussions riches, ce qui n'est pas rien non plus.

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Publié le 24 Octobre 2016

Simon est un vieil homme fatigué, malade et misanthrope qui va s'attacher à Bernard, jeune homme un peu crétin mais désarmant de gentillesse et plein de bon sens. Simon va l'embaucher pour un dernier travail, qui l'amènera de Vals-les-Bains à Agde. Mais il sera aussi question d'Anaïs, la mère de Bertrand, vieille femme accro au rhum Négrita, de Fiona et de son bébé, et de Rose, qui croisent la route de Bertrand et Simon. Ce roman est difficilement résumable, puisque beaucoup de choses se passent dans les détails, dans des petites scénettes/saynètes piquantes et facétieuses.

J'ai quand même de la chance, parce que je suis rarement déçu quand je choisis un livre au hasard*. Comment va la douleur ? ne déroge pas à la règle. C'est un livre très drôle, avec des passages absurdes qui m'amusent beaucoup :

[...] il avait acheté un porte-bébé. Ça avait été compliqué à installer, toutes ces courroies, ces boucles, ces crochets... La petite était écarlate, saucissonnée dans son siège baquet, les bras à l'horizontale qui lui faisaient deux petites ailes. Mais elle ne pleurait pas. Ses gros yeux ronds fixaient intensément la cime des arbres, les toits des maisons, les lignes télégraphiques qui défilaient sur fond de ciel gris haché par la pluie. Elle n'avait rien contre la voiture mais préférait la plage parce que c'était plus grand que les choses autour d'elle restaient en place. Plus tard elle serait fonctionnaire, avec un bureau à elle et ses affaires bien rangées. Tous les jours seraient identiques. Ce rêve de stabilité lui procura une telle jouissance qu'elle fit tout en même temps, pipi et caca, et se laissa mouler béatement dans cette gangue chaude et molle.

C'est parfois plus subtil, avec un adjectif choisi avec malice, des fulgurances dans la description d'un personnage :

Simon le laissa approcher jusqu'à un petit mètre de lui. Même de face ce mec avait l'air de profil.

Ou sur des détails plus fins et difficilement explicables, comme l'apparition régulière de Jean Ferrat qui m'amuse plutôt... On sent un plaisir de l'écriture, du mot juste, de la précision de la notation qui fait mouche, parfois même c'est juste beau :

La pluie séchait par plaques sur le boulevard du Front-de-Mer. Le ciel n'avait pas bonne mine et l'eau avait pris une couleur d'huître douteuse.

Bref, j'adore cette langue, belle, inventive et pleine de légèreté, et je pourrais continuer à citer ce livre sans fin. Mais cet humour ne cache pas une dimension tragique ; c'est un cliché mais parfois les évidences sont vraies. Tous les personnages de ce livre sont des ratés, des gens seuls et tristes et la mort n'est jamais bien loin.
Toit ça est merveilleusement construit, superbement écrit, bien équilibré. Pascal Garnier, que je ne connaissais pas du tout, est pas loin de rentrer dans le panthéon de mes écrivains préférés.

* Le hasard a forcément une part relative quand on choisit. Quand, par exemple, on se dit qu'un livre publié par Zulma ne peut pas être totalement mauvais – ce qui pour l'instant s'avère vrai, cf. Jean-Marie Blas de Roblès.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature

Publié le 23 Octobre 2016

Georges a épousé une femme dont on ignorera le nom, puisqu'une de leurs nombreuses fantaisies est de lui donner un nom différent chaque jour : Marguerite, Renée, Georgette, Marine, Suzon, tout y passe. Et leur quotidien est ainsi noyé dans une folie douce, baigné de mensonges qui rendent la vie plus belle, plus drôle, plus amusante. Leur fils, qui porte le récit entrecoupé d'extraits de carnets du père dans lesquels il consigne le roman de sa vie, joue leur jeu, s'amusant avec Mademoiselle Superfétatoire, leur grue (?) apprivoisée, jouant aux dames sur le carrelage du carrelage, dansant sur le Mr Bojangles de Nina Simone. Tout a l'air parfait, mais des ombres vont apparaître sur ce tableau idyllique, d'ordre financier, ou quand il s'avèrera que la folie douce de la mère, qui est le socle de cette famille, est peut-être plus sérieuse que prévue...

Inventive et légère, la vie que s'inventent les personnages est pleine de trouvailles littéraires ; la langue d'Olivier Bourdeau est belle et élégante, et trouve une voix à hauteur d'enfant qui fait plaisir à lire. C'est un livre touchant et généreux, drôle et triste, plein de vie et frôlé par la mort. Pour un premier roman (publié, ce n'est sans doute pas un premier essai) c'est une vraie réussite.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature

Publié le 17 Octobre 2016

En 750, alors qu'un orage éclate, un moine, un bûcheron et un passant s'abritent sous la Porte des Démons (littéralement « Rashomon »). Le moine et le bûcheron racontent une histoire impliquant un bandit, une femme et son mari qui s'est fait assassiner. Nous allons avoir droit à plusieurs versions de cette histoire, chacune très différente de l'autre : chacun ment et enjolive la réalité en fonction de ses intérêts.

Rashomon est adapté d'une nouvelle éponyme de Ryunosuke Akutagawa ; je me suis rendu compte au fur et à mesure du film que j'avais lu cette nouvelle jadis. C'est un principe éminemment borgésien : un même histoire dont les contours changent, en l'occurrence radicalement, selon le narrateur. Je suis d'ailleurs sûr que Borges évoque ce principe dans ses Fictions (1944), mais je ne sais pas du tout s'il avait eu connaissance de la nouvelle d'Akutagawa, publiée en 1915. (Au passage, j'évoquais déjà ce principe dans mon commentaire de Citizen Kane.)
Bref. L'histoire du film est donc passionnante, plutôt drôle, même si teintée d'une noirceur et d'un cynisme virulents, portée par des acteurs qui en font parfois des tonnes, mais c'est pour mieux servir un propos qui touche parfois au burlesque alors ça va. Après c'est du Kurosawa : c'est magnifique, chaque plan est intelligent, superbe, bien pensé. Les modes de narration sont magistralement maîtrisés : c'est un film qui est construit sur des flash-backs, voire des flash-backs dans des flash-backs, et tout s'emboite parfaitement, il n'y a pas d'excès de narration en voix off comme certains mauvais auraient pu le faire. Il y a même des « crevasses » narratives passionnantes : un personnage commence son récit par « ce soir-là », et paf, on enchaîne directement avec le flash-back et on oublie la voix off. Bref, c'est magistral.

 

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Publié le 13 Octobre 2016

La quatrième de couverture résume tout le propos de ce court livre (moins de 80 pages) :

À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi.

La narratrice (un « je » que l'on devine correspondre à Annie Ernaux) est tombée follement amoureuse d'un homme marié, et toute sa vie va tourner obsessionnellement autour de lui. L'attente de ses appels, de ses passages chez elle, de sa présence...

Je n'avais jamais lu de livre d'Annie Ernaux, il faut un début à tout. Auto-fiction, autobiographie, journal, à mon avis peu importe. Ce qui m'étonne en premier lieu c'est l'impression qu'elle reste finalement un peu en surface. Je n'ai évidemment rien contre la pudeur, je n'ai pas besoin de lire un épanchement des pensées intimes, mais je trouve qu'Ernaux reste à distance. Elle consigne une suite de faits et d'états d'âme avec précision et méticulosité, mais tout ça manque (bizarrement) d'incarnation, de chair, de vie. On ne vibre pas, on ne ressent pas grand-chose, alors que le sujet s'y prêtait.
Bien que l'écriture soit contaminée par des traces de modernité, comme des paragraphes à la manière de liste qui commencent sans majuscule, Annie Ernaux a une écriture très structurée, avec de longues phrases précises, mais finalement assez classique.
Bref, ce n'est pas un mauvais livre, et je me doute bien qu'on ne peut juger de l'œuvre d'un(e) écrivain(e) avec un petit livre comme celui-ci, mais je ne pourrais pas dire qu'il me donne envie d'aller plus loin dans l'œuvre d'Ernaux – alors que c'est manifestement une écrivaine importante.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature

Publié le 12 Octobre 2016

# attention je spoile sans vergogne #

En 1996, un virus a décimé 99% de la population mondiale. Les survivants vivent sous terre, isolés dans des sortes de bunkers. Dans ce futur dystopique, James Cole (Bruce Willis) est un des « volontaires » choisis de force pour retourner dans le passé trouver l'origine du virus, lâché par une faction mystérieuse qui se fait appeler l'Armée des 12 singes.
Une erreur l'envoie en 1990 où il se retrouve interné dans un hôpital psychiatrique. Suivi par la psychiatre Kathryn Railly (Madeleine Stowe), il y rencontre Jeffrey Goines (Brad Pitt), une sorte d'illuminé anticonsommation dont le père travaille sur les virus (tiens tiens). Cole est ramené dans son présent pour un debrief, puis ramené en 1996, quelques mois avant l'infection. Il force Kathryn Railly, convaincue qu'il est fou, à l'accompagner à la recherche de Goines, soupçonné d'être le leader de l'Armée des 12 singes. Ce dernier, toujours fou mais maintenant aux côtés de son influent père, nie tout rapport avec le virus.
Ramené dans son présent, Cole est de plus en plus convaincu d'être fou et victime d'hallucinations. Pendant ce temps (enfin, façon de parler) Railly découvre des indices qui lui font penser que Cole dit vrai.
Revenu en 1996, Cole et Railly décident de partir en Californie, pour que Cole puisse voir l'océan pour la première fois de sa vie. Ils réalisent que Goines n'a rien à voir avec le virus, mais découvrent qu'un assistant du père de Goines est le réel propagateur du virus. En cherchant à l'abattre, Cole est tué par des policiers, dans une scène qui reproduit un rêve récurrent de ce dernier, probablement un souvenir d'enfance. L'assistant prend l'avion tranquillement, le futur adviendra.

Je suis sûr d'avoir vu ce film quand j'avais plus ou moins 13-14 ans, et pourtant je n'en avais gardé aucun souvenir. Mais vraiment aucun, comme si je ne l'avais pas vu. Suis-je moi aussi fou, victime d'hallucinations schizoïdes ?
C'est d'autant plus étonnant qu'il est très bien, ce film. Acteurs au poil, décors magnifiques, réalisation habile, accompagnant élégamment les détours du récit, scénario finement ficelé, jouant avec nos perceptions de la réalité – même si j'aurais presque aimé que ça aille plus loin sur ce terrain, mais que voulez-vous, je ne suis jamais content. Non, je cherche, je ne vois pas reproche à lui faire.

* * *

Je n'avais pas encore vu La Jetée, le film mythique de Chris Marker, qui a inspiré L'Armée des douze singes. Il y a des éléments communs, une même trame, de grosses divergences aussi. Il faut dire que le film de Chris Marker ne dure « que » 28 minutes, alors que Terry Giliam a plus de deux heures pour développer son propos.
Le personnage principal est hanté par une scène de son enfance : sur la jetée de l'aéroport d'Orly, une femme, un homme qui se fait tuer. Mais entretemps il y a eu la troisième guerre mondiale, l'humanité a été décimée et les survivants se terrent dans des souterrains. On demande à l'homme d'aller explorer le passé, pour trouver des vivres, des médicaments. Il retrouve la femme de ses visions, passe du temps avec elle. On l'envoie dans le futur, les générations suivantes lui donnent un générateur surpuissant permettant à l'humanité de survivre. Ils lui offrent de venir vivre avec eux, mais lui veut retrouver la femme du passé. Il repart, il est sur la jetée d'Orly, il voit la femme, mais les autorités de son temps ne supportent pas ce genre de désertion et le tuent.

Je ne suis pas sûr d'avoir regardé les deux films dans le bon ordre : la source ou la reprise en premier ? Je ne vais en tout cas pas jouer aux jeu des différences, elles sont multiples. La jetée est beaucoup plus court, plus simple, c'est une sorte histoire d'amour teintée de fantastique/SF ; le film de Terry Gilliam a quant à lui un discours plus poussé et plus fort sur la folie et l'irréversibilité du temps. Ce qui n'empêche pas le « photo-roman » de Chris Marker d'être très beau. Les images, fixes évidemment, sont superbes, de belles photos avec un noir et blanc très dense, très sombre, contrasté, il doit y en avoir quelques centaines et elles sont toutes belles, fortes et évocatrices. L'histoire relativement simple laisse une large part à une forme de poésie, augmentée par le mode narratif : on remplit le vide laissé entre deux photos, la vision du film est beaucoup plus active, plus personnelle, voire intime.

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