Publié le 30 Septembre 2016

Après un incident, l'évacuation d'une station spatiale orbitale est ordonnée. Forte tête, Jaume Roiq Stevens refuse d'obéir et décide de rester là-haut, tout seul, ignorant les messages qui lui viennent d'en-bas. Jusqu'au jour où il arrête d'en recevoir, et commence à prendre peur, d'autant qu'il a l'air de se passer des choses étranges sur Terre.
Où une surprise de taille l'attend : il n'y a plus personne. Personne n'est venu le récupérer à son atterrissage, à côté de Cap Carnaveral. Personne sur les plages, personne au centre spatial. Personne à Miami. Ou plus exactement : les humains ont disparu, laissant des vêtements vides au sol, comme s'ils s'étaient volatilisés. Mais les oiseaux, reptiles, mammifères, insectes et toutes sortes de plantes abondent. Guetté par une forme de folie, s'inventant des compagnons d'infortune, Stevens parcourt le monde, passant par les steppes russes, les montagnes chinoises, les temples indiens, guidant d'immenses troupeaux de cochons, fuyant les chiens enragés, détruisant des barrages...

Le roman prend la forme du journal étrange et bigarré de Stevens, d'abord écrit à la première personne, puis à la troisième, au fur et à mesure que celui-ci fuit la folie. Il s'accompagne de compagnons croisés sur le chemin : des personnes souvent réelles mais volatilisées comme les autres dont Stevens découvre les traces, qui dialoguent et parfois prennent en charge le récit.
L'écriture de Céline Minard est dense, riche et complexe, et s'étoffe au fil du roman. Poétique, métaphorique, érudite, elle prend tout le poids de la solitude de Stevens. S'y croisent notations géographiques, considérations politiques, beaucoup de mythes des différentes régions du globe traversées par Stevens infusent également le récit. Alors oui, c'est parfois compliqué, voire abscons, mais c'est fascinant et puissant. Et ça vaut le coup de s'accrocher rien que pour la/les scène(s) de sexe au milieu du livre, mêlant l'intimité à la planète entière, incluant les montagnes, les océans, les falaises et les rivières, qui est grandiose et fantastique.
Cela dit, Le dernier monde est à mon avis trop long. Le roman patine pendant à peu près une centaine de pages, pendant les étapes mongoles, chinoises et indiennes. Ce sont celles où la folie de Stevens est la plus présente, où le récit est sans cesse contaminé par des mythes, par des digressions poétiques, par un sentiment profond de l'immensité et de l'ancestralité du monde. Je l'ai dit, il y a de très belles pages, Céline Minard écrit très bien, mais c'est trop long pour moi*. Quand le récit reprend le dessus, à l'arrivée en Afrique, j'ai été soulagé et j'ai repris pied avec plaisir dans ce –malgré tout – formidable roman.

Roman qui m'a rappelé et ne m'a pas rappelé La Route de Cormac McCarthy : ce sont les deux romans de « fin du monde » que j'ai lus ces dernières années, je ne pouvais pas ne pas les rapprocher, et pourtant rien de plus opposés que ces livres-là. La Route est austère, gris, froid, tendu, sec (du moins comme je m'en souviens), alors que Le dernier monde est riche, coloré, luxiriant.

J'ai lu pour l'instant trois livres de Céline Minard, soit Faillir être flingué et Bastard Battle. Un western, un pastiche médiéval tarantinesque et un roman de fin du monde, soit trois genres très différents qu'à chaque fois Céline Minard s'approprie. Je ne peux pas ne pas penser à Jean Échenoz, encore lui, qui a lui aussi commencé par aborder le roman de genre, un par un. Sa subversion était sans doute plus maline (aussi dans le sens de « faire le malin ») ; il n'empêche que je suis curieux de savoir ce que réserve Le Grand jeu, le dernier livre de Minard.

 

* Cette impression est sans doute renforcée par le fait que j'ai lu ces pages à un moment où je n'avais pas vraiment le temps de lire, genre de 2 pages le soir avant de m'endormir sur le livre ; ma lecture très hachée de ces passages a évidemment contribué à me faire perdre pied. J'ai quand même l'impression que c'est un défaut du livre mais peut-être suis-je le fautif.

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Publié le 28 Septembre 2016

Ned Merrill (Burt Lancaster) sort des bois (littérallement, comme Bambi) pour plonger dans la piscine d'amis. Ces derniers sont de vieux richous alcooliques, alors que Ned respire la santé, beau gosse baraqué et grand sourire. En apprenant que des voisins ont construit une piscine, il est pris d'une inspiration subite : il va rentrer chez lui en nageant, passant de villas en villas et de piscine en piscine. Sur son chemin, il va rencontrer les différents propriétaires : bande de jeunes, anciens amis, vieille dame acariâtre, couple de nudistes, fête jet set... Au fur et à mesure de ses pérégrinations se dévoileront plusieurs facettes de sa personnalité.

Et c'est un film formidable. Burt Lancaster, 55 ans, rayonne, il illumine le film. Frank Perry est manifestement fasciné par sa carrure, sous le charme, et c'est vrai qu'il est beau, Burt Lancaster, avec ses jolies dents et ses yeux bleu intense. La galerie de personnages que l'on croise dans le film est elle aussi très réussie, bigarrée et baroque ; parfois en quelques lignes de dialogues un caractère fort est cerné : c'est très bien écrit, il ya une vraie finesse pour dessiner le concour de personnages. C'est plutôt bien réalisé, malgré quelques bizarreries de montage, et quelques scènes un peu oniriques assez kitchs.
C'est un des films qui annonce le nouvel Hollywood, à l'instar de Bonnie and Clyde d'Arthur Penn (1967) ; on y sent la volonté d'aborder des sujets importants voire graves, qui peuvent parfois donner un ton assez sombre au film. On y lit aussi la fin d'un monde : la description de la bourgeoisie américaine issue des années 1950 y est plutôt féroce, dépeignant des gens cyniques, un peu méprisants et arrogants, souvent obsédés par l'argent. On sent qu'un nouveau monde est en train d'arriver mais qui peine encore à advenir.

### attention, à partir de maintenant je vais spoiler comme un ouf ###
Le début du film est très solaire, à l'image de Burt Lancaster. Petit à petit cette image se ternit, le ton du film se durcit, jusqu'à devenir un drame, au fur et à mesure que le personnage principal dévoile ses faces sombres. Ce n'est pas vraiment un bon ami : tous les copains qu'il croise lui disent qu'ils ne l'ont pas vu depuis une éternité, il demande des nouvelles d'un ami dont on comprend qu'il est mort depuis plusieurs annes... Il est endetté : ce qui n'est au début du film que des sous-entendus devient à la fin du film des accusations graves voire violentes. Il est légèrement raciste, le dialogue avec un chauffeur Noir d'un de ses amis est à ce titre tristement drôle, à base d'avoir le rythme dans le sang. C'est subtil, mais c'est dit.
Ned est aussi un mec pas très clair avec les femmes. Bon, elles sont toutes amoureuses de lui, parce que c'est quand même Burt Lancaster. Mais quand même. Il croise la fille d'amis à lui, qui a bien grandi et qui du haut de ses 20 ans est devenu une Femme. Ils nagent et courent ensemble, mais Ned a quand même tendance à lui caresser les cheveux/lui tenir la tête avec insistance – jusqu'à la faire s'enfuir en courant. Une des dernières personnes qu'il croise est Shirley, une ancienne maîtresse, qui lui reproche son hypocrisie vis-à-vis de femme et de l'avoir abandonnée. Ici encore, il est insistant malgré les refus de Shirley. Bref, Ned a du mal à comprendre le sens de « non. »
La déchéance du personnage dans notre estime est double d'une déchéance physique. L'Apollon se casse : il se blesse, il boite, il a froid, il est sale...

Ce qui est intéressant, et à mon avis délibéré, c'est que tout est filmé du point de vue de Ned. Il est par moments (par moments seulement, il a aussi de vrais bons côtés) un sale type, mais il est persuadé d'être un homme super, formidable, un type en or. Et il n'a sincèrement pas l'air de comprendre pourquoi la jeune femme s'enfuit en courant pour l'éconduire, de la même façon que ça ne lui vient même pas à l'esprit que sa blague sur le sens du rythme puisse être raciste. C'est quelqu'un qui se ment à lui-même, qui se fuit sans cesse, proche d'une forme de folie, et la fin du film est à cet égard claire (bien que légèrement mystérieuse) (d'ailleurs tout le film est teinté de mystère stimulant, qui laisse ouvert un certain nombre d'interpréations).
C'est en ça que je trouve le film passionnant : il aborde des sujets difficiles en nous demandant subtilement de prendre parti. Nous aussi sommes sous le charme du personnage au début, mais cette image se ternit. Mais attention, les autres personnages ne deviennent pas plus sympathiques pour autant. Et bien que le film devienne de plus en plus dramatique, il continue d'insérer de temps en temps des moments de légèreté et d'insouciance, pour ne pas être trop plombant (bon, la fin l'est).
Cette « neutralité » de la caméra dit beaucoup de choses sur l'hypocrisie d'une certaine société américaine, sur les mensonges qu'on peut raconter et se raconter.

Bref, voyez The Swimmer, de Frank Perry avec Burt Lancaster, c'est vachement bien.

* * *

Parmi les nombreuses choses qui m'ont donné envie de voir de très beau film, il y a cette conférence de Jean-Baptiste Thoret, où il dit plein de choses très très intelligentes et très belles. Heureusement que vous avez mon lu mon maigre commentaire avant de regarder cette vidéo, parce que j'aurais vraiment eu l'air d'un imbécile.

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Publié le 26 Septembre 2016

Après un prologue annonciateur du déroulé du film, à la manière d'un chœur dans une tragédie grecque, le film se divise en deux chapitres. Le premier est consacré à Justine (Kirsten Dunst) qui se marie mais qui n'aime manifestement pas son époux. D'ailleurs personne ne s'aime vraiment dans cette famille, et donc ça va mal se passer.
Le second chapitre est centré sur Claire (Charlotte Gainsbourg), la sœur de Justine. Alors qu'une planète inconnue jusqu'ici cachée par le soleil, Melancholia, va passer à proximité de la Terre, Claire héberge Justine en sérieuse dépression après son mariage raté dans le château de son mari. Mais la vraie question est : Melancholia va-t-elle percuter et détruire la Terre ?

Je me rends compte que j'ai déjà mentionné mon aversion pour la caméra au poing en parlant de Still the water de Naomi Kawase ; j'avais oublié que ce film tombait dans ce travers, et ça me déçoit parce que j'en garde quand même un (très) bon souvenir.
Mais il faut quand même que j'en rajoute une couche. Pour plein de raisons, je n'aime pas les films inspirés par le « Dogme95 ». Dans Melancholia, von Trier s'en détache beaucoup : il y a des effets spéciaux numériques, l'image est très travaillée, il y a des effets de montage et de ralenti, bref l'idéal de « pureté » (j'insiste sur les guillements) du cinéma proné par le Dogme est bien loin. Pourtant il en reste des séquelles, comme cette manie stupide de filmer caméra au poing.
Soyons clairs : parfois cette façon de filmer peut être justifiée, dans des films style « found footage » ou dans tout ce qui peut s'approcher d'un faux documentaire évidemment, mais aussi, (j'insiste : quand c'est bien fait), quand il y a du mouvement, de la vitesse (cf Il faut sauver le soldat Ryan par exemple). Mais dans un film purement fictionnel, dans des plans fixes ou dans des scènes de dialogues, je ne comprends pas. Tout simplement parce que JE VOIS LE CADREUR QUI EST EN TRAIN DE FILMER. Et quand il s'agit d'une scène où il n'y a aucune raison qu'il y ait un caméraman dans la diégèse du film (quand un personnage est seul dans sa salle de bain, par exemple), le résultat, c'est que je vois la caméra, les acteurs sur un plateau de tournage, les techniciens autour, je vois le film en train d'être tourné. JE VOIS L'ARTIFICE. La fameuse suspension de la crédibilité qui fait qu'on entre dans une œuvre de fiction est pour moi totalement gâchée par cette putain de caméra au poing. Et comme ça fait manifestement partie intégrante du style de von Trier, je pense que je peux dire que j'ai un gros problème avec son cinéma en général, confirmé par Melancholia.

Parlons-en, du film, justement. Il commence par un prologue assez beau, des tableaux quasiment immobiles, des images poétiques, surnaturelles et un peu surréalistes qui annoncent les enjeux et le déroulé du film. Il y a même des images qui évoquent l'ouverture de 2001, c'est dire. Pourtant, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que l'exagération du ralenti de ces images avait quelque chose de légèrement poseur. Mais ne soyons pas bégueules, c'est clairement ce qu'il y a de plus réussi dans le film.
Le premier chapitre, le mariage raté de Justine, est beaucoup trop long. Le problème étant surtout que c'est mal écrit, les personnages peinent à s'incarner, la plupart d'entre eux semblent vides et dénués de personnalité, à commencer par les mariés. Et notamment Justine, qui nous fait une crise existentielle dont les causes ne sont jamais expliquées ni même sous-entendues (ou alors c'est que je suis trop bête pour comprendre). On regarde un personnage qui fait n'importe quoi sans qu'on sache pourquoi, et cette totale absence d'explication des enjeux et motivations du personnage ne permet pas de rentrer dans le film. De la même façon, tous les autres personnages sont super mal introduits : il m'a fallu une heure pour comprendre que le personnage joué par Kiefer Sutherland est le mari de Claire – alors que ça a de l'importance dans le récit. Je pourrais continuer à lister les problèmes, mais je dirai juste qu'il y a plein de bons acteurs dans ce film qui sont très mal exploités parce qu'ils jouent des personnages de merde. Pour résumer : une histoire qui ne m'intéresse pas au cours de laquelle j'ai passé plus de temps à me demander « qui ? pourquoi ? quand ? » qu'à vraiment m'intéresser aux personnages. Certains films jouent sur ce mécanisme volontairement, mais là non, c'est juste pas clair et mal branlé. Mais surtout, au-delà de ces questions d'écriture, le problème est que c'est encore une histoire de règlements de comptes en famille, comme on en a vu des centaines*, et comme manifestement von Trier n'est pas particulièrement inspiré, on n'y voit rien que l'on n'aie déjà vu des dizaines de fois.
Le deuxième chapitre est plus réussi. Même si c'est un peu n'importe quoi scientifiquement, cette histoire de planète cachée qui va (peut-être) entrer en collision avec la Terre est intéressante et plutôt bien menée, la montée progressive de la tension est réussie. Mais là aussi les personnages sonnent faux, ont des réactions absurdes ou même pas de réaction du tout. Finalement le seul personnage qui a l'air humain du film (dans le sens où il est incarné et a l'air vivant) est Claire, le personnage joliment incarné par Charlotte Gainsbourg. Mais quand même, cette dernière partie est un peu prévisible, et encore une fois beaucoup trop longue (cette manie qu'ont les réalisateurs intellos de faire des films chiants pour donner l'impression qu'ils sont complexes et riches).

Au final, Melancholia, c'est quoi ? C'est au début de très belles images bien qu'un peu poseuses ; une première partie dont je me serais bien passé, non pas parce que ce qui est dit est dur (même si ça l'est), mais parce qu'on s'en fout complètement ; et une dernière partie plus intéressante mais chiante quand même.
Je peux passer outre le fait que scientifiquement cette histoire de planète ce soit n'importe quoi, je le remarque, mais disons que c'est de la SF, suspension de la crédibilité, ça fait un enjeu et de belles images, okay, je marche. Mais tout ça pour dire quoi ? Pour dire des choses aussi débiles que « life is evil », la vie est méchante. Et par conséquent ce n'est que justice que la Terre soit détruite. Là je ne peux pas. Donc les papillons sont méchants. Les arbres sont méchant. Les bébé koalas, les vaches, les poissons rouges, les baleines sont méchant(e)s. Merci pour la profondeur de ton analyse mon petit Lars.
Je suis également gêné par le discours (non explicite, c'est un sous-texte du film) assez réactionnaire sur la science et les scientifiques qui se trompent, qu'il ne faut pas croire, alors que les complotistes ou les médiums ont raison. Dans ce film, il est bon d'être irrationnel. Il y a d'ailleurs un très beau « voyance ex-machina » quand Justine révèle qu'en fait elle est medium (« I know things », franchement, la qualité des dialogues), alors que ça sort de nulle part et que c'est purement bullshit.

Bref. J'avais laissé tombé depuis un moment Lars von Trier, je me souviens pourquoi maintenant.

Allez, pour le plaisir, relevons une super blague. Vous savez ce que c'est, les filles ça sait pas conduire, et au début du film, quand Kirsten Dunst essaye de démarrer une voiture, elle met en marche les essuie-glaces ! Ha ha, c'est vraiment rigolo l'humour sexiste des années 50.

 

* Et notamment dans le Festen de Thomas Vinterberg, premier film du « dogme », qui m'avait déjà emmerdé.

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