Publié le 24 Juin 2019

BlacKkKlansman s'inspire de l'histoire vraie de Ron Stallworth, premier policier noir de Colorado Springs, qui en 1978 a infiltré le Ku Klux Klan. Et c'est effectivement une histoire incroyable, une aventure dangereuse où l'on rencontre probablement quelques-uns des plus beaux tarés des USA.
Spike en tire un beau film, qui évite une bonne partie des écueils des films à thèse. Le montage est tout de même parfois un peu hasardeux, comme cette séquence en split screen qui bouge dans tous les sens sans qu'on comprenne pourquoi, ou ces séquences qui se répètent sans raison : Stallworth ferme une porte, on revoit la même fermeture de porte 1/2 seconde après avec un nouvel angle… Ça m'échappe un peu.
C'est évidemment un film très politique : il débute par des images d'Autant en emporte le vent, une séquence terrible montre les membres du Klan assistant à une projection de Naissance d'une Nation de D. W. Griffith – une scène qui fait écho au rassemblement de Black Panthers montré au début du film, qui paraît plutôt mignon à côté. Le film se termine par les manifestations de Charlottesvile, par les déclarations de Trump : le message est clair, et peut-être un peu appuyé, mais dur d'en vouloir à Spike Lee pour ce parallèle…

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 24 Juin 2019

La Guerre des pauvres est le récit d'une révolte populaire de la fin du moyen âge menée par le charismatique ­Thomas ­Müntzer, un prêcheur catholique inspiré par Luther – même si ce dernier ne va pas assez loin à ces yeux. La Bible regorge de passage appelant à buter les riches : qu'à cela ne tienne, allons-y !

La guerre... est un petit livre dense, court, un peu trop court même (72 pages !), on aimerait parfois qu'il prenne plus de temps, qu'il entre un peu dans les détails, par moments on a presque l'impression qu'il résume. C'est dommage et c'est frustrant, parce que les pages qu'il offre sont magnifiques. Mais c'est un livre d'une telle densité qu'il faudra sans doute le relire pour en goûter toutes les subtilités.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #France

Publié le 24 Juin 2019

Janie rentre chez elle, après quelques années d'absence, les cheveux swinguant dans son dos malgré sa quarantaine bien tassée (quelle inconvenance, se coiffer comme une jeunette à son âge, disent les mauvaises langues). Son amie Pheobe la rejoint, et Janie va lui raconter tout ce qui lui est arrivé, en commençant par le début.
Janie raconte donc sa vie, sa grand mère qui l'a élevée, ses parents qu'elle n'a pas connus, son père blanc, sa mère frappée d’opprobre pour avoir couché avec un Blanc hors mariage. Ses grandes aspirations, Jody, son deuxième époux qui voit les choses en grand…

C'est un grand roman, une saga vaste dans la grande tradition du roman américain. Voyageant sur plusieurs états, traversant les décennies, Zora Neale Hurston reste néanmoins toujours proche de son personnage principal. On suit le ratage de son premier mariage avec le vieil Logan Killicks, les espoirs déçus de son second mariage, l'ennui, la flamme qui s'éteint, le grand amour rencontré ensuite, la tragédie qui vient.
C'est intense, c'est poignant, c'est tragique, c'est drôle. C'est un roman qui charrie beaucoup d'émotions sans être sentimental.
L'écriture, et la traduction de Sika Fakambi, sont magnifiques, intenses, avec une poésie qui donne une lenteur, un sentiment d'éternité au roman. C'est très imagé, les sentiments sont des choses de la nature, le pollen dans le vent, le soleil entre les feuilles d'un arbre. Et il y a bien sûr la langue orale des Noirs, sauvage et douce, que la traduction réinvente. Et puis la voix de la narration, qui peut être juste superbe.

Les années achevèrent d'effacer la lutte du visage de Janie. Elle crut un temps qu'elle avait même déserte son âme. Quoi que fît Jody, Janie ne disait rien. Elle avait appris à dire un peu et laisser un peu. Elle était une ornière sur la route. Foison de vie sous la surface mais sans cesse martelé par les roues. Quelquefois elle se projetait dans l'avenir, s'imaginait une vie différente de celle qu'elle avait. Mais la plupart du temps elle vivant entre son chapeau et ses talons, et ses turbulences émotionnelles, comme l'ombre qui dessine ses motifs au fond des bois, allaient et venaient avec le soleil. Elle ne recevait de Jody rien d'autre que ce qui pouvait s'acheter, et ne donnait en retour que ce qui pour elle était sans valeur. [p. 125]

Janie finit par s'assoupir mais se réveilla juste au moment où le soleil envoie ses espions en éclaireur pour lui ouvrir la voie dans l'obscurité. Il jeta un coup d'œil par-delà le seuil du monde et esquissa un semblant de frivolité rouge qu'assez vite pourtant il laissa de côté pour vaquer tout de blanc vêtu à ses affaires. [p. 195]

Il faut quand même dire que c'est un livre terriblement sexiste, parce qu'il décrit un monde terriblement sexiste. L'autrice prendre ses distances parfois avec ce monde, mais on sent aussi que parfois, donner une bonne paire de baffes à sa femme ça ne fait somme toute de mal à personne.

[C'est Jody qui parle à sa femme Janie, un couple charmant] Aoow naaan, elles pensent pas [les femmes]. Elles pensent juste qu'elles pensent. Quand moi je vois une chose j'en comprends dix. Toi tu vois dix choses et t'en comprends même pas une. [p. 117]

[…] Ça c'est juste que Tony y l'aime de trop, dit Coker. Si c'était la mienne moi j'allais la briser. La briser ou la tuer. Me faire ridicule de même dans ma face de tout le monde !
— Tony jamais y va la frapper. Y dit que frapper les femmes c'est comme piétiner les bébés poussins. Prétend qu'y a pas aucun endroit d'une femme qu'on peut la frapper dessus, fit remarquer Joe Lindsay d'un air de désapprobation dédaigneuse. [p. 122-123]

Je n'en ai pas parlé, mais la question de la couleur de la peau est évidemment centrale dans le roman : la discrimination subie par les Noirs, les dangers que leur couleur de peau leur fait subir, cette ville où ne vivent que des Noirs, qui est une havre de paix, même si des mécaniques de domination finissent par s'y reproduire… Il y a aussi cette Noire qui considère la négritude comme une horreur, qui méprise les plus noirs qu'elle et respecte les plus blancs qu'elle [p 232] ; Mingus en parlait dans son autobiographie, de ce racisme intégré par les Noirs eux-mêmes.

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Publié le 16 Juin 2019

Au debut des années 1970, en pleine Révolution culturelle, Luo et le narrateur sont envoyés dans un petit village de montagne pour être « rééduqués ». Leur quotidien de travaux paysans est illuminé par la fille du tailleur, la plus belle fille de toute la montagne du Phenix du Ciel, dont Luo tombe amoureux. La fréquentation du Binoclard, autre fils de bourgeois envoyé en rééducation, est une autre de leur distraction, surtout quand Luo et le narrateur découvrent qu'il cache une valise pleine de roman interdits : Balzac, Flaubert, Romain Rolland, Gogol, Melville...

Balzac... est une sorte de roman d'initiation, le récit de deux jeunes passant de la fin de l'adolescence à l'âge adulte. La littérature y tient une place évidemment importante, ouvrant l'horizon des deux jeunes hommes à des idées qu'ils n'auraient jamais pu imaginer.
C'est un roman peuplé de personnages étonnants, dessinés en quelques traits et pourtant incarnés et pleins de vie. C'est clair, fluide, précis, et lu quasiment d'un trait.

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Publié le 13 Juin 2019

Shaun est un loser qui passe tout son temps dans le même bar avec son pote, loser également. Sa petite amie finit par le quitter quand elle comprend que sa vie ne sera pas autre chose. Sauf que hey, zombies !

Je continue mon exploration dans le désordre du cinéma d'Edgar Wright : après Scott Pilgrim vs. the World (2010) et Baby Driver (2017), voici le film de zombie, son premier « vrai » film – il aime manifestement jouer avec les genres. Shaun of the Dead est donc une comédie de zombies, où on trouve déjà un goût pour le rythme musical (le tabassage sur Queen). C'est drôle, c'est inventif, c'est rempli de bons gags visuels, c'est encore un film formidable.

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Publié le 13 Juin 2019

Ki-taek, sa sœur et ses parents sont pauvres, désœuvrés, au chômage et plutôt malins. Pistonné par un ami, Ki-taek devient le prof d'anglais d'une fille de riches, les Parks. Il va œuvrer pour faire entrer toute sa famille chez eux.

Hé oui, même si Bong Joon-ho a explicitement demandé de ne pas spoiler le film, je vais le faire quand même, mais hey, je préviens.

Je dois avouer avoir des sentiments mitigés sur le film. C'est dû en grande partie parce que j'en ai entendu beaucoup (trop) de bien, que ce mystère sur les évènements du film me faisait attendre beaucoup, et que cette attente n'a pas été complètement comblée. Et c'est parfaitement injuste, parce qu'il n'y a rien à reprocher au film. Mais c'est toujours comme ça, quand on attend trop de quelque chose, on est déçu.

Il n'y a donc rien à reprocher au film. C'est beau, c'est même magistral, subtil dans la façon de filmer, les acteurs sont tous excellents… Bong Joon-ho jongle avec plusieurs genres : la comédie, le film de mœurs, l'horreur (quand on découvre ce type qui vit dans le sous-sol des Park), le thriller, le gore (la fin où tout le monde meurt)… Et ce n'est jamais forcé, toujours naturel, parce qu'il a manifestement un grand talent de narrateur.
Les thèmes sont nombreux et vastes, mais le film tourne surtout autour de la lutte des classes. Il y a les pauvres et les riches, les pauvres qui ont envie d'être riches mais qui ne se sentent pas de ce monde, et les riches qui sont sur une autre planète, un peu détraqués, et qui trouvent que les pauvres puent.
Il y aurait sans doute plein d'autres choses à en dire, le rapport aux métaphores par exemple (l'inondation, les égouts qui débordent etc).

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Publié le 10 Juin 2019

Engagé par un parrain de la maffia pour payer une dette, Baby est le chauffeur hors pair chargé de ramener sain et sauf les cambrioleurs après leurs méfaits. Son désir de s'échapper de ce milieu deviendra plus fort encore après sa rencontre avec Debora.

On est ici dans un registre beaucoup plus sérieux que dans Scott Pilgrim vs. the World : c'est un vrai film d'action, avec poursuite en voitures spectaculaires, fusillades, méchants qui font un peu flipper et compagnie. Mais comme Edgar Wright aime manifestement le ménage des genres, c'est aussi une comédie romantique plutôt mignonne ; c'est aussi et surtout une comédie musicale : Baby, souffrant d'acouphènes, a toujours de la musique dans les oreilles, et ces musiques (soigneusement choisies) guident et rythment tout le film. La mise en scène est moins spectaculaire que dans Scott Pilgrim, mais ici aussi elle montre l'impressionnante maitrise de Wright. Je ne saurai pas faire une analyse vraiment fine, aussi je recommande le visionnage de cette vidéo qui analyse intelligemment la scène d'ouverture du film – impressionnant, comme je l'ai déjà dit.

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