Articles avec #palme d'or tag

Publié le 25 Octobre 2023

Sandra (Sandra Hüller) est une écrivaine allemande qui a rencontré Samuel (Samuel Theis) à Londres. Ils se sont installés il y a deux ans à Grenoble, où Samuel a grandi. Ils ont un fils, Daniel (Milo Machado Garner), malvoyant à la suite d'un accident arrivé quand il avait quatre ans (il en a 11 aujourd'hui).
Une jeune étudiante vient interroger Sandra, l'entretien s'interrompt quand Samuel met la musique à fond pour bricoler. Daniel sort avec le chien pour une ballade. Quand il revient, son père est devant la maison, mort dans une flaque de sang. Quand la police commence à soupçonner Sandra, elle fait appel à Vincent (Swann Arlaud), un ancien ami avocat.

C'est intéressant de constater l'évolution de Justine Triet : Victoria était une comédie sympathique mais sans grande profondeur, Sybil était plus riche et plus dense. Anatomie d'une chute est, il me semble, son meilleur film : c'est beau, intense, émouvant, maitrisé de bout en bout : de quoi effectivement faire une Palme d'or.
Plus encore que Victoria, Anatomie d'une chute est un film de procès. Les interventions des différents témoins sont comme autant de pièces d'un puzzle qui se met en place petit à petit. Les acteurices sont particulièrement formidables, les personnages incarnés et plein de profondeur.
On retrouve d'autres petits éléments de ses précédents films : la difficulté à écrire de Sybil, l'importance d'un chien de Victoria

Comme me l'a fait observer O., Triet inverse les rôles genrés habituels : Sandra est une écrivaine à succès qui fait le minimum à la maison ; Samuel a un poste de professeur, il a mis ses envies d'écrire de côté pour s'occuper de Daniel, il est plein de frustration. Ce jeu de miroir est forcément volontaire, et ça ressemble à un féminicide à l'envers – mais ma lecture du film serait différente si c'était Sandra qui était morte…

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Publié le 18 Juillet 2023

Pendant la Guerre du Viêt Nam, le capitaine Willard (Martin Sheen) est chargé de tuer le colonel Kurtz (Marlon Brando), le meilleur d'entre nous qui a pris la tangente. Willard embarque sur un petit bateau pour naviguer jusqu'au Cambodge retrouver sa cible. Sa route est, sans surprise, semée d'embûches.

Disons-le tout net : je me suis profondément ennuyé pendant ce film, en partie parce que j'ai eu la mauvaise idée de regarder la version longue - une heure de plus que pour la sortie en salles, au moins une heure en trop. Il y a notamment une improbable et inintéressante scène où Willard dîne chez des Français qui s'engueulent à propos de Pierre Mendès France, c'est dire.
Pour autant, l'ennui procuré par le film ne peut pas tenir à sa simple durée. Il y a pour moi un groooos problème de personnages et de direction d'acteur. Martin Sheen passe tout le film avec un air ahuri : ce n'est pas un personnage, même pas un observateur, juste une ombre que l'on regarde traverser le film, opaque et creuse. C'est pourtant lui qui est sensé porter le récit, mais il ne tient pas la route. La rencontre avec le colonel Kurtz illustre un autre problème du film : Willard dit qu'il n'a jamais vu quelqu'un d'aussi détruit par la guerre ; sauf qu'à l'écran on ne voit qu'un type qui bavarde de façon confuse sur des choses sans intérêt. Je ne le vois pas détruit, je ne l'apprends que par la bouche d'un autre personnage : c'est à mon avis du mauvais cinéma.
Il y a quand même quelques scènes réussies, l'introduction est pas mal, la superposition d'images est plutôt élégante, la séquence avec le cow-boy obsédé par le surf est totalement absurde et réussie. Ca ne suffit pas à faire tenir un film dont je n'ai aucune idée de ce qu'il raconte - mon impression c'est qu'il ne dit finalement pas grand-chose de la guerre, et encore moins des humains.
L'attribution de la Palme d'or est totalement incompréhensible pour moi (et ce n'est pas la première fois).

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Publié le 18 Février 2023

Nous sommes à Tokyo, dans une famille pauvre mais débrouillarde qui vit dans un petit appartement bordélique. Le jeune garçon est entrainé, par celui qui semble être son père, à voler ce dont ils ont besoin. En rentrant d'une supérette, ils trouvent une petite fille sur un balcon dans le froid, alors que sa mère hurle à l'intérieur de l'appartement. Ils décident de la prendre avec eux pour la mettre au chaud, et elle deviendra petit à petit un membre de la famille.

C'est dur de parler du film sans le spoiler un peu, mais ce n'est pas un thriller non plus, donc ce ne sera pas très grave.
Une affaire de famille est très beau, magnifiquement filmé et interprété. Les personnages sont complexes, en ombre et lumière, leurs relations riches et touchantes. Tout ça ne se termine pas très bien, la fin est triste et mélancolique.
Ce qui me saute aux yeux, c'est la ressemblance de ce film avec un autre Kore-eda, Les Bonnes Étoiles (2022) : dans les deux cas, il se penche sur des familles bricolées de bric et de broc, avec des enfants volés à d'autres familles ; des familles qui ne sont pas très regardantes sur la question de la légalité. J'ai sans doute plus aimé Les Bonnes Étoiles, mais probablement parce que les deux policières qui donnent une direction plus forte au récit ; et parce que comme les deux films se ressemblent, l'effet de surprise est plus fort pour le premier film vu, pas de bol pour Une Affaire de famille.

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Publié le 10 Novembre 2020

À la fin du XIXe siècle, Ada MacGrath (Holly Hunter) est une jeune femme devenue muette, qui s'exprime via son piano chéri. Elle est mariée par son père à un inconnu, et part avec sa jeune fille, ses bagages et son piano. Son mari (Sam Neil) est un couillon pas très débrouillard, assisté par Baines, un type aux tatouages maoris1 (Harvey Keitel). Ce dernier récupère le piano, et force Ada à le racheter, touche après touche, en échange de caresses, dévoilements et attouchements.

Commençons par les bon côtés : la mise en scène de La Leçon de piano est bien plus intéressante que celle du pourtant postérieur Bright Star (2009). Les acteurs et actrices sont vraiment parfaites, la photo très belle, le décor de jungle néo-zélandaise est un personnage à part en entière.
Mais c'est vraiment un film pré-#metoo, et ça se voit. Divulgâchons : la relation de prostitution/domination/agression sexuelle entre Ada et Baines est présentée comme une belle histoire d'amour, ils finissent ensemble dans un grand final romantique. Mais il n'y a rien de romantique là-dedans : c'est une relation de domination prédatrice que subit Ada2.
C'est d'ailleurs assez fascinant de voir à quel point le personnage pourtant principal ne fait aucun des choix du film : elle est mariée à un inconnu par son père ; Baines la force à jouer pour lui et à se laisser tripoter ; ce qui ressemble à un syndrome de Stockholm fait croire à Ada qu'elle est amoureuse de son tortionnaire ; son mari jaloux lui coupe un doigt (j'ai vraiment cru qu'on allait assister à un féminicide, lui couper un doigt relève de la même idée : Ada appartient à son mari qui a tous les droits sur elle) ; son mari dit à Baines de partir avec Ada, qu'il ne les revoie jamais. Dans aucun de ces évènements elle n'a son mot à dire. Peut-être que son suicide et son refus final de la mort est le seul moment où elle semble être actrice de sa vie.
Ce qui me gêne, ce n'est pas tant qu'une femme de cette époque soit soumise aux hommes qui décident pour elle, je crois que malheureusement c'était assez fréquent. C'est plutôt le fait de montrer une série d'agressions sexuelles comme romantique qui me désespère.

* * *

1. Oui, il y a des Maoris dans le film, mais à part comme décor je ne sais pas à quoi ils servent.

2. Le (passionnant) Pop culture detective ne pas parle spécifiquement de ce film, mais il s'inscrit dans la logique de la « predatory romance ».

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #palme d'or

Publié le 13 Juillet 2020

Nous sommes au Japon,  autour de 1565. Takeda Shingen, un chef de guerre ambitieux, cherche à marcher sur Kyoto pour être à la tête du pays. Son frère, Takeda Nobukado, a sauvé de la crucifixion un voleur qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Shingen : avoir une doublure peut toujours servir (d'ailleurs, Nobukado, qui ressemble beaucoup à son frère, lui sert déjà parfois de doublure).
Lors d'une bataille, Shingen meurt, ses généraux sont chargés de mettre en œuvre sa dernière volonté : que sa mort reste un secret pendant trois ans, et qu'aucun de ses généraux ne s'attaque à Kyoto. Le voleur prend donc la place de Shingen, un rôle lourd à porter, d'autant plus que les ennemis de Shingen n'hésitent pas à attaquer, et qu'il faut gérer les jalousies de certains généraux.

C'est donc un film de guerre avec un principe plutôt original – ce jeu sur les doubles, dont Kurosawa semble pas mal s'amuser. Shingen est un personnage historique, mais il semblerait que cette histoire de double soit une invention de Kurosawa. C'est un récit plutôt bien mené, avec des batailles assez épiques, des personnages intéressants, des situations plutôt drôles. Cet humour rend sans doute le film moins pénible que Ran, son film suivant.
C'est bien sûr un film visuellement magnifique, inventif, avec un travail sur la couleur remarquable, parfaitement réalisé, mais ce n'est pas étonnant, c'est du Kurosawa.

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Publié le 19 Février 2020

Travis marche seul, dans le désert du Texas. À bout de force, il s'écroule. Son frère Walt vient le récupérer à un hôpital local, il ne l'a pas vu depuis 4 ans, au moment où il a disparu. Mutique, Travis va petit à petit s'ouvrir, retrouver son fils, et raconter ce qu'il lui est arrivé.

Ce road-trip pourrait être émouvant si son fond n'était pas aussi réac. C'est un peu « patriarcat, the movie », puisque qu'il est centré sur un mec toxique (Travis), qui décide à la place des autres, et que ce sale type est manifestement présenté comme le héros positif du film.
Travis avait une femme bien plus jeune que lui, Jane, dont il était maladivement jaloux parce qu'elle lui appartenait, bien évidemment. Violent, possessif, il entretenait une relation toxique avec elle, la maintenant sous son pouvoir : il se rend malade de jalousie quand il est au travail, pensant qu'elle le trompe ; il décide d'arrêter de travailler pour être avec elle (pour la surveiller, donc). Ça pose quelques problèmes d'argent, mais bien sûr, à aucun moment il n'est envisagé qu'elle travaille. Elle finit par s'échapper avec son fils, Hunter, qu'elle abandonne à Walt et sa femme Anne, un couple sans enfants (elle ne l'abandonne pas tout-à-fait, elle prend de ses nouvelles, lui envoie de l'argent). C'est à ce moment-là que Travis disparaît, marchant dans le désert.
Donc, alors qu'il a 3 ans, Hunter est placé chez Walt et Anne, qui l'élèvent comme leur fils. Il les considère comme ses parents.
Et c'est là que Travis rentre (c'est le début du film). Il finit par décider de prendre son fils avec lui pour aller retrouver Jane, la mère du fils. Je passe quelques étapes, mais il décide que la place d'Hunter est avec sa mère, et lui se barre tout seul à la fin du film, dans ce qui semble être un sacrifice (alors que c'est juste de la lâcheté).

Donc : Travis ne demande pas l'avis de son fils, qu'il a totalement abandonné pendant quatre ans. Peut-être Hunter aurait-il aimé rester avec ses parents d'adoption ? Peut-être ne voulait-il pas partir avec son père ? Peut-être ne voulait-il pas rester seul avec sa mère ?
Travis ne demande pas l'avis de son frère et de sa femme. C'est son fils, il lui appartient, donc il peut faire ce qu'il veut avec lui, tant pis pour les autres (c'est un petit peu abordé dans le film, mais on oublie très vite ces deux personnages).
Travis ne demande pas l'avis de Jane. Parce que de toutes façons c'est une femme, ces créatures ne sont guidées que par un instinct maternel inévitable, c'est la nature, bien sûr. Et peut-être même que le fait qu'on la retrouve travaillant dans un peep-show est une justification, a posteriori, des craintes de Travis (j'ai peur que ce soit ce que le film sous-entende).

Autant le film est touchant au début, avec l'intrigante et mutique silhouette de Travis, autant quand il se met à parler et agir ça part vite en cacahouète.
Rapidement, le film se glisse dans un moule patriarcal, où les hommes décident pour les femmes et les enfants ; où la famille est définie par les liens du sang, pas ceux du cœur ; où la place des femmes est avec les enfants ; et où aucun de ces schémas n'est questionné, ils sont présentés comme la norme, voire comme positifs. Bref, vraiment pas ma tasse de thé.

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Publié le 11 Octobre 2019

Nous sommes dans un lycée ordinaire des États-Unis. Van Sant croise habilement (on voit la même scène de plusieurs points de vue) divers personnages qui vivent leur vie d'adolescents ordinaire, les amours, l'ennui, la photo, le malaise, l'anorexie... Jusqu'à une tuerie de masse, que l'on voit arriver dès le milieu du film (voire avant bien sûr).

Et c'est évidemment terrifiant. Les long travellings dans les couloirs deviennent de plus en plus anxiogènes à mesure que l'on sent la catastrophe arriver, cette lenteur créée une attente, une peur glaçante. C'est sans surprise un peu esthétisant, mais en même temps la longueur des plans-séquences rend le film étonnamment radical.
Je ne sais pas si le discours tenu sur ces tueries de masse est vraiment profond ; Van Sant, par son point de vue un peu clinique, offre paradoxalement une expérience sensorielle, émotionnelle et puissante. C'est assez impressionnant finalement.

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