Publié le 30 Mai 2020
Django est un ancien esclave libéré par le docteur King Schultz, un chasseur de tête. Les deux parcourent une partie du sud-est des États-Unis à la recherche de bandits à dézinguer. Mais Django cherche avant tout à récupérer sa femme Broomhilda, restée esclave. Avec Schultz, ils vont mettre en œuvre un plan pour la récupérer.
C'est un film assez beau visuellement, plutôt bien écrit, avec ces fameuses scènes de « négociations » affables en apparence mais qui risquent de déraper à tout moment. Tarantino fait ce qu'il sait faire, il s'amuse manifestement, cinématographiquement c'est plutôt habile (sauf quand lui-même se retrouve à l'écran, le montage devient bizarrement plus faible).
C'est cool & fun, j'avoue avoir vraiment pris du plaisir à le regarder – même si c'est un peu long, tout de même. Mais comme toujours chez Tarantino, c'est aussi un film problématique.
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Django… est un film de vengeance : un ancien esclave tue des méchants Blancs. Mais comme souvent dans ce genre de les « revenge movies », il faut montrer de quoi détester les hommes que l'on tue, et on tombe alors souvent dans le « torture porn ». C'est ici moins flagrant que dans Kill Bill (Tarantino a manifestement plus de plaisir à torturer ses actrices que ses acteurs), le personnage de Django est relativement épargné, mais Broomhilda ne l'est pas, idem pour certains personnages plus ou moins secondaires. Dévoré par des chiens, pendu par les pieds, fouetté, marqué au fer rouge, battu à mort, crane éclaté à coups de marteau, laissé pourrir au soleil, la liste des tortures infligée aux Noirs est longue.
Un autre problème que pose cette façon de justifier la violence par la violence, c'est que c'est une facilité d'écriture. Tarantino veut des fusillades, du sang, des morts, et il justifie ça par le cliché du film de vengeance, qu'il a pourtant déjà beaucoup exploité : Kill Bill, Boulevard de la mort, Inglourious Basterds, ça fait 4 films à la suite qui exploitent le même cliché.
J'invite, pour aller plus loin, à lire ce très bon article de Célia Sauvage, « "Django Unchained" ou l'ambiguïté de la violence dans les films de Tarantino ».
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Les films de Tarantino sont des films de mecs. Ça m'avait particulièrement marqué dans Reservoir Dogs, à mon avis le pire exemple de ce travers. Django… ne passe évidemment pas le test de Bechdel. Broomhilda n'est pas un personnage, seulement un MacGuffin que l'on torture pour motiver le héro ; on se croirait dans un jeu vidéo où le héro a pour récompense la princesse (un cliché bien évidemment problématique). La plupart des séquences de « négociations » dont je parlais plus haut sont des combats de coq, des affrontements virils, voire virilistes entre mecs.
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Tarantino joue dans son film, et c'est toujours intéressant de regarder quel rôle il se donne. En l'occurrence, il joue un couillon qui transporte des esclaves vers une mine où un sort horrible les attend. Je trouve un peu problématique que Tarantino lui-même s'offre le rôle d'un tortionnaire de Noirs. On me dira « oui mais il se donne pas le beau rôle, même à la fin il explose ; et puis c'est pour rire, ça vaaaa ». C'est une difficulté de l'analyse du travail de Tarantino : comme tout est ironique dans ses films, on peut balayer toute critique d'un revers de la main en disant « c'est pour rire » (c'est d'ailleurs un des axes du livre de Célia Sauvage Critiquer Quentin Tarantino est-il raisonnable ?) J'imagine très bien Tarantino choisir de jouer ce rôle pour le fun : jouer un crétin qui se fait exploser à la dynamite, c'est marrant. Mais on sait que même quand c'est « pour rire », on peut toujours trouver un discours derrière.
Il ne s'est pas choisi un rôle innocent : on le voit se foutre de la gueule des Noirs qu'il transporte, leur balancer de la dynamite à la tronche en riant. Quand on sait la façon qu'il a de (mal)traiter ses acteurs, et en particulier ses actrices, c'est problématique. Rien ne l'obligeait à jouer ce rôle, pourtant.
On pourrait presque voir le fait qu'il joue un crétin comme une mise en abyme du fait que lui-même n'a pas conscience du discours qu'il véhicule.