Publié le 17 Septembre 2013

Dans une maison bourgeoise, les domestiques préparent une réception. Augustine (Soko), prise déjà d'un léger tremblement, commence à servir des crustacés. Le tremblement s'empire, et elle se retrouve par terre, à se tordre dans tous les sens en gémissant : elle fait une crise d'hystérie.
On l'emmène à la Salpétrière, où le docteur Charcot (Vincent Lindon) consulte froidement les malades en file indienne devant ses assistants. Augustine refait une crise et le médecin s'intéresse de près à elle. Il la montre dans des assemblées, il l'hypnotise pour provoquer ses crises (toujours à caractère sexuel). Mais Augustine perçoit peu d'avancement dans le sens de la guérison. Et le film se développe autour de la relation, parfois trouble, entre Augustine et Charcot.

Les critiques de ce films sont plutôt bonnes, et honnêtement, je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Tout y est ennui. C'est long, les personnages parlent très peu (Charcot doit avoir une demi-page de texte maximum), alors qu'on aimerait comprendre ce qui les anime. C'est une époque fascinante, on aimerait savoir comment on voyait les maladies mentales à l'époque, et on voit des types qui sont devant une maladie qu'ils ne comprennent pas et qu'ils n'ont aucun moyen de guérir. Ils sont passifs, ils observent, et nous avec eux, sans clé pour comprendre.
Vincent Lindon, comme souvent, n'a qu'une expression tout le film, lèvres pincées, sourcils froncés, et articule à peine son texte. Il a de la présence, c'est sûr, mais il fait le minimum syndical. Soko, par contre, est remarquable, physique et farouche.

La grande question à mon sens c'est : qu'est-ce qu'Alice Winocour a voulu raconter en faisant ce film ? Qu'est-ce qu'elle veut nous dire ? Bien qu'elle filme le corps d'Augustine de près, elle reste tout le temps à distance, filmant froidement, sans donner l'impression d'avoir un regard particulier, ni critique, ni empathique. Je n'attendais pas un film à thèse ou un documentaire, mais un minimum à se mettre sous la dent, de quoi réfléchir un peu. Winocour ne nous offre rien.
C'est bien filmé, les lumières sont belles, mais rien ne nous invite à entrer avec elle dans le film.

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Pour l'anecdote, Siri Hustvedt mentionne Augustine dans Tout ce que j'aimais, et évidemment ce qu'elle en dit en quelques lignes est beaucoup plus intéressant que ce que raconte ce film en 1h40 :

       À Paris, Violet avait fouillé dans des documents, fichiers et études de cas intitulées observations, provenant de la Salpétrière. À partir de ces comptes rendus, elle avait esquissé quelques biographies. « Son père et sa mère étaient en service, me raconta-t-elle. Peu après sa naissance, ils la confièrent à des parents. Elle vécut six ans chez ceux-ci, et puis ils l'envoyèrent dans un pensionnat religieux. C'était une enfant rebelle — indisciplinée, difficile. Les nonnes pensaient qu'elle était possédée et, pour la calmer, elles lui jetaient de l'eau bénite à la figure. Quand elle eut treize ans, elles la chassèrent et elle retourna chez sa mère, qui travaillait à Paris comme femme de chambre. Le dossier ne dit pas ce que son père était devenu. Ce qu'il dit, c'est qu'on engagea Augustine « sous prétexte » d'enseigner la couture et le chant aux enfants de la maison. En échange, elle était autorisée à dormir dans un petit cagibi. Il se trouve que sa mère avait une liaison avec le maître de maison, que les compte rendus appellent simplement M. C. Peu après l'installation d'Augustine, M. C. se mit à lui faire des avances, qu'elle repoussa. Il la viola sous la menace d'un rasoir. Elle commença à souffrir de convulsions et de crises de paralysie. Elle avait des visions hallucinatoires de rats, de chiens et de grands yeux fixés sur elle. Sa mère finit par l'amener à la Salpétrière, où on la déclara hystérique. Elle avait quinze ans.
       — Beaucoup de gens deviendraient cinglés après ce genre de traitement, remarquai-je.
       — Elle n'avait pas une chance. Tu serais étonné du nombre de jeunes filles et de femmes, dans ces rapports, qui viennent de ce genre de milieu. Des indigentes, pour la plupart. Beaucoup avaient été sans cesse renvoyées d'un parent à un autre. Toutes avaient été déracinées dans l'enfance. Plusieurs d'entre elles avaient également été molestées par un parent, un employeur ou Dieu sait qui.
Violet resta un moment silencieuse.

       — Il y a encore des psychanalystes qui parlent de « personnalité hystérique », reprit-elle, mais en général, ils ne considèrent même plus l'hystérie comme une maladie. La seule chose qui reste dans les livres, c'est « conversion hystérique » ou « conversion corporelle ». Ça, c'est quand tu te réveilles un beau jour incapable de bouger tes bras ni tes jambes, sans aucune raison organique.
       — Tu veux dire que l'hystérie était une création des médecins ? demandais-je.
       — Non, ce serait trop simple. Le corps médical y était sûrement pour quelque chose, mais le fait que tant de femmes aient eu des crises d'hystérie, et pas seulement celles qui étaient hospitalisées pour cette raison, ça dépasse les médecins. Les pertes de connaissance, les convulsions, les crises de nerfs étaient beaucoup plus courantes au XIXe siècle. Ça n'arrive presque plus. Tu ne trouves pas que c'est étrange ? Je veux dire que la seule explication, c'est que l'hystérie était en réalité un phénomène culturel très répandu — une façon autorisée de s'en sortir.
       — De se sortir de quoi ?
       — De la maison de M. C., notamment.
       — Tu pense qu'Augustine simulait ?
       — Non. Je crois qu'elle souffrait vraiment. Si on l'avait hospitalisée aujourd'hui, on dirait qu'elle est schizophrène ou atteinte de dissociation, mais il faut reconnaître que ces termes sont assez vagues, eux aussi. Je crois que son mal avait pris cette forme-là parce que c'était dans l'air, ça circulait, comme un virus — comme l'anorexie, de nos jours. »

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #France

Publié le 15 Septembre 2013

Léo est un universitaire, historien et critique d'art. C'est le narrateur du roman. Il vit avec Erika une histoire d'amour passionnelle, érotique, intellectuelle. Elle est historienne, vive et joyeuse. Ils ont un fils, Matt, fin et intelligent, silencieux et réfléchi, qui est manifestement un super dessinateur (un bon point pour lui). Bill est le voisin et l'ami de Léo, c'est un artiste brillant, il peint, sculpte, découpe, construit. Il est brun, il sent la térébenthine, il est calme, mais on sent le feu qui bouillonne en lui. D'un premier mariage avec Lucille, poète réfléchie, distante et un brin rigide, il a un fils, Mark, qui est le meilleur ami de Matt. Bill quitte Lucille pour Violet, qui a été son modèle. Elle est historienne et sociologue, voluptueuse, drôle, attentionnée.

Voilà pour le cadre. Autour de ça Siri Hustvedt va développer une vaste fresque, à partir des années 70 jusqu'à l'époque contemporaine, avec ses drames et bonheurs, ses tragédies et ses joies. Il se passe plein de choses dans ce roman que je ne peux pas raconter, des évènement forts, marquants, touchants. De l'ensemble se dégage une force, une sensibilité tranquille mais puissante.

Siri Hustvedt a une écriture très analytique, voire psychanalytique par moments. Ses personnages pensent et analysent ce qui leur arrive, commentent les évènements et leurs états d'âme avec lucidité et précision. Spontanément, ce n'est pas le type d'écriture que je préfère. Si on me posait la question, je dirais que mon écrivain préféré est Jean Echenoz, qui est presque tout le contraire : il garde ses personnages à distance, comme s'il était le spectateur amusé de leurs gestes et pensées. Il n'analyse pas, il raconte, il commente, il joue avec ses personnages avec ironie et tendresse. Au-delà du styliste extraordinaire qu'il est, son ton me parle et me touche. Mais Hustvedt, qui entretient un rapport complètement différent à ses personnages, me touche aussi, pas tant par son écriture que par la justesse et la finesse de son dessin des personnages (et merci Charlotte de m'avoir recommandé ce roman !)

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Le concept énoncé plus haut d'« écriture analytique » n'est pas très précis, je l'admets. Il convient à mon sens à Hustvedt, mais également à un roman aussi pénible que Le Loup des steppes d'Hermann Hesse (1927). Mais pourquoi ça marche chez Siri Hustvedt et pas chez Hermann Hesse ? Sans doute parce qu'Hesse est très précis, très méticuleux et surtout très froid dans ses descriptions, et qu'à force de vouloir être exhaustif dans son analyse, il se répète beaucoup et devient profondément ennuyeux : le livre s'ouvre par un avant-propos dans lequel il décrit le personnage du loup des steppes ; le roman débute, le narrateur trouve une brochure dans laquelle est décrite plus longuement le personnage du loup des steppes ; le narrateur rencontre enfin le loup des steppes, et il est décrit encore plus longuement. J'avoue qu'à cette troisième description du même caractère, fastidieuse, lente, méticuleuse et froide, j'ai laissé tombé. J'avais lu une centaine de pages, et le roman n'en finissait pas de commencer. Je sais, c'est un chef-d'œuvre, je passe à côté de quelque chose, etc, mais c'est comme ça.

Rien de tout ça chez Siri Hustvedt. Là où Hesse est froid et ennuyeux, Hustvedt est sensible, ménageant les zones de flous nécessaires quand il le faut, sans jamais trop en faire.

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Publié le 11 Septembre 2013

J'avais vu ce film à l'époque (il est sorti en 1997), il y a pas loin de 15 ans maintenant, et je l'ai revu il y a peu de temps. Je suppose que pas mal de monde connait l'histoire : c'est un thriller sur la recherche d'un assassin pervers qui met en scène ses meurtres selon les 7 péchés capitaux, recherche menée par deux flics.

La première partie du film aligne les poncifs et les clichés du genre. Je ne sais pas si c'est volontaire, mais c'est assez comique. Il y a le vieux flic à quelques jours de la retraite, fin, élégant, cultivé, intuitif et expérimenté, joué par Morgan « Daddy cool » Freeman. Et il y a le jeune flic qui débarque de sa province, qui ne connait encore rien de la vie (même si en fait ça va il gère), impulsif, émotif et ambitieux, joué par Brad « je mâche des chewing-gums tout le film parce que ça me donne l'air viril » Pitt. Et il y a Gwyneth Paltrow, la seule femme du film. Qui est aimante, dévouée et coiffée comme une housewife américaine de base, et puis qui a des doutes et est malheureuse et qui change de coiffure. Malgré ça il faut admettre que c'est efficace, les meurtres sont pervers à souhait, la réalisation est très habile, il y a des longueurs mais ça tient la route.

Ça devient plus intéressant, plus fort et plus original quand le meurtrier se rend, pour avoir le plaisir de montrer aux flics en personne ses deux derniers meurtres. La fin glace le sang. Peut-être certains se souviennent, la plaine, les pylones électriques, la livraison mystérieuse, le dilemme de Brad Pitt… Jusqu'à la fin on a envie d'y croire, et puis nan. Tout est fini.

Le moment le plus bizarre du film est sans doute sa toute fin, qui constitue une sorte d'épilogue. Morgan Freeman dialogue avec le commissaire, ils se disent quelques phrases, des clichés de film noir, mais ça sonne faux, et ça ne fait pas sens du tout avec le reste du film. Là encore je ne sais pas si c'est volontaire ou non, mais c'est très étrange, comme une tentative de faire une morale ou un bon mot, mais complètement ratée, et/ou bâclée.

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