Réalité (Quentin Dupieux, 2014)

Publié le 9 Juillet 2015

Réalité, sorti en 2014, est le premier film de Quentin Dupieux que je vois. Oui, je sais, on a tous des lacunes.

Jason (Alain Chabat) est cadreur sur une émission culinaire un peu étrange, présentée par un type en costume de rat. Il rencontre un producteur, Bob Marshall (Jonathan Lambert) pour lui parler d'un projet de film qu'il aimerait tourner, une histoire de téléviseurs qui tuent les humains à l'aide d'ondes mortelles. Bob est emballé, il ne demande qu'une seule chose pour signer : que Jason trouve le meilleur gémissement de douleur de l'histoire du cinéma. En parallèle (en même temps ?) Réalité, une petite fille, accompagne son père chasser. Lorsque celui-ci vide le sanglier qu'il vient de tuer, Réalité voit une cassette VHS bleue tomber des entrailles du gibier.

Réalité est un film légèrement hors du temps (une VHS ?) et hors de l'espace. On est aux États-Unis, cela ressemble aux collines de Los Angeles, mais aucun indice ne permet de l'affirmer précisément. Ça parle français, ça parle anglais... La « réalité » du titre n'est clairement pas dans l'image (fort jolie au demeurant, aux couleurs un peu passées qui plonge le film dans une ambiance un peu ouatée, irréelle). Mais la « réalité » n'est pas non plus dans le scénario. Au contraire, celle-ci semble toujours échapper aux personnages – et au spectateur. Assez vite, des grains de sable grippent la machine narrative : personne d'autre que la petite Réalité n'a vu la VHS tomber, pas même le père qui avait pourtant les mains dans la bête. Le présentateur de l'émission culinaire a de l'exéma, mais quand il montre les rougeurs qui le démangent atrocement, personne ne voit rien. Le film, qui pourrait commencer comme une comédie (le producteur que Jonathan Lambert est joliment fou, la rencontre avec Chabat est parfaitement écrite, rythmée et interprétée) devient progressivement de plus en plus étrange et de plus en plus angoissant. Réalité, fiction, rêve ? Rapidement personne ne sait plus où il est. Le film joue avec les effets de croisements entre plusieurs histoires, réelles, imaginées ou fictionnelles, mélangeant tous les niveaux de réalité présentée dans le film, jusqu'à perdre tout le monde. Film dans le film, rêve dans le rêve... Mais même si à un ou deux moments le film semble patiner (volontairement ?), il retrouve toujours pied – pour mieux le reperdre ensuite. Le principe du film ne peut manquer de rappeler David Lynch, surtout depuis Lost Highway. Peut-être y a-t-il un rapprochement à faire entre le mystérieux cube bleu du Mulholland Drive de David Lynch et la VHS bleue de Réalité ? Quentin Dupieux a au moins le désir de s'en éloigner visuellement : il fait presque toujours jour et soleil dans Réalité, quand Lynch aime à ajouter à l'oppression du spectateur en assombrissant ses films...

Je note que le film est très bien interprété, et que Chabat, qui n'est pas le meilleur acteur du monde (même si ♥) est ici parfait.

Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #fantastique, #France

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