Publié le 13 Avril 2020

Dans ce court et percutant essai, Normand Baillargeon se demande s'il est indispensable d'être cultivé, en notant à quel point cette question est une obsession française.
Dans la première partie, il critique ce qu'on appelle la culture générale. Il remet en cause l'idée même de « générale », en démontrant (rapidement) que ce qu'on met derrière ce nom a plusieurs écueils et angles morts : culture classiste, sexiste, occidentalocentrée, nationaliste… De plus, en général, les sciences sont exclues des champs du savoir, la plupart des gens étant « illettrés » en sciences, et souffrant de plus d'« innumérisme » : une méconnaissance, parfois même revendiquée, des choses mathématiques.

Dans la seconde partie, il dresse les contours de ce à quoi pourrait ressembler une culture générale débarrassée de ces défauts.
L'idée sous-jacente est que la culture permet de développer l'esprit critique et donne des armes pour défendre ses opinions en démocratie. Il parle notamment du travail de George A. Miller sur la mémoire de travail, qui peut contenir 7 plus ou moins 2 items. Plus on a de connaissances, de « culture », plus notre cerveau sera capable de mettre en place du « chunking » (regrouper des items pour en faire un seul). C'est ainsi qu'un joueur d'échecs professionnel mémorise mieux la configuration d'un plateau de jeu à un moment donné qu'un amateur : il a dans son cerveau des schémas déjà enregistrés. Mais si on place les pièces au hasard, il ne fera pas mieux qu'un amateur : ses schémas mentaux ne lui servent plus à rien.
Baillargeon parle rapidement du contenu de cette culture générale à laquelle il appelle, revenant sur la place des mathématiques et des sciences, et appelant à une intégration de la philosophie.

Dans la troisième partie, il décrit ce qui pourrait faire obstacle à la mise en place de cette culture générale : la tentation relativiste (il n'est pas très convainquant quand il explique que le contenu de la culture des arts doit être confié à des « experts » ; mais peut-être est-ce moi qui ai mal compris ce qu'il veut dire) ; les médias et la crétinisation de masse ; la tentation du raccourci ; la pente utilitariste ; les problèmes de l'école française…

Bref, c'est un essai passionnant et enrichissant, stimulant (il aurait juste mérité d'être mieux relu, parce que certaines phrases ne veulent vraiment rien dire).

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #essai, #philosophie

Publié le 12 Avril 2020

David vient de se faire quitter par sa femme. Dans ce monde parallèle, il faut impérativement être en couple : David se retrouve donc dans un hôtel de célibataires, où il a 45 jours pour trouver une compagne sous peine d'être transformé en animal de son choix (en l'occurrence le homard du titre). Les règles de cet hôtel sont particulièrement étranges : interdit de se masturber, ce qui n'empêche pas le personnel de stimuler sexuellement les célibataires ; il faut absolument trouver un point commun pour sortir avec avec un·e prétendant·e ; des chasses aux célibataires caché·e·s dans la forêt permettent aux résident·e·s de l'hôtel de gagner des jours de rab… David essaye de sortir avec une femme sans émotions, une vraie psychopathe, en faisant croire que lui aussi est un sociopathe. Évidemment, ça ne marche pas comme prévu, et il finit par s'enfuir.
David se retrouve dans la forêt des célibataires, dans laquelle il est interdit d'avoir un quelconque attachement romantique sous peine de souffrance terrible – voire de mort. Sans grande surprise, David tombe amoureux (une femme myope comme lui), et doit essayer de trouver des moyens d'exprimer son amour.

Bref, tout est absurde dans ce film, même s'il a une logique interne très forte. Il décrit une réalité dystopique dans un monde qui ressemble pourtant furieusement au nôtre. David se débat résigné dans cet hôtel de cauchemar, où il arrive avec un chien qui n'est autre que son frère. Toute cette première partie du film est très réussie, souvent drôle, d'une rire jaune et un peu grinçant. Lánthimos nous mène par le bout du nez, je l'ai suivi avec un grand plaisir.
La deuxième partie est très bien aussi, mais elle est peut-être un moins réussie. Elle m'a en tout cas moins plu : peut-être est-ce juste que j'étais bien dans ce premier film, et que l'arrivée d'un deuxième m'a gêné, peut-être que l'arrivée de nouvelles règle rajoute une nouvelle couche d'absurde pas indispensable… Pourtant ça se tient bien, Colin Farrell est très bien dans son jeu minimal, l'écriture reste de grande qualité, la réalisation est élégante, esthétisante, la lumière très belle… Peut-être que Quentin Dupieux avait vu juste en faisait un film très court avec Le Daim ?

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #Grèce

Publié le 8 Avril 2020

OSS 117 est envoyé à Rio récupérer des micro-films détenus par un nazi. Bien évidemment ça ne va pas se passer aussi bien que prévu.

Pas grand-chose à dire de ce film qui me fait mourir de rire, je l'avoue. Hazanavicius tire à tout-va, Dujardin est parfait, bref c'est un délice.

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Publié le 8 Avril 2020

Autour de 2050, Francois Deschamps, jeune homme venu de Provence, où les gens continuent de cultiver « naturellement », à l'ancienne, débarque à Paris, notamment pour retrouver son amie d'enfance Blanche. Celle-ci, promise à un brillant avenir en tant que danseuse-chanteuse, est guidée par Pierre-Jacques Seita, directeur de Radio 300, une sorte d'ORTF puissance 1000 installé dans la Ville d'Or, une des sortes de cités radieuses installées au cœur de Paris. Seita, un homme peu charismatique, aimerait bien profiter de son argent et de son pouvoir pour pécho Blanche.
Cette dernière hésite : d'un côté, une vie avec un homme triste et mou, mais avec de la thune, une promesse de fête et de paillettes ; de l'autre un homme qui pourrait lui plaire mais qui lui demandera de rester à la maison pour garder les enfants1.

Mais tout cela s'avère de peu d'importance, puisque tout-à-coup a lieu une coupure de courant. Plus d'électricité, plus d'énergie mécanique non plus, toutes les machines s'arrêtent, certains métaux se désagrègent, les voitures stoppent, les avions s'écrasent. Les morts des ancêtres, qui étaient conservés dans les maison, décongèlent. Plus d'approvisionnement en eau chaude ou froide.
C'est l'effondrement, le collapse.
La coupure a eu lieu au moment même où Blanche allait faire ses débuts à la scène. Elle est au désespoir devant sa carrière qui ne commencera jamais.

(suite du résumé) Les Parisiens sont au milieu d'une catastrophe. Pillages, meutres, paniques, rien ne va. La Rive droite s'enflamme, des prélats décident d'organiser une prière du haut de la Tour Eiffel, mais une explosion proche balance des gravats et tue à peu près tout le monde : « Dieu ne veut pas pardonner » (p. 176).
Alors que Seita est mort, Francois retrouve Blanche et des copains, et ils pillent et tuent également, pour préparer un départ de Paris, pour aller en Provence, à travers champ.
L'expédition est périlleuse, risquée, difficile. Un gigantesque incendie ravage la campagne, le groupe est décimé. Suit une longue marche dans une forêt calcinée, l'eau qui manque, des hallucinations à base de chauve-souris. Finalement, François, Blanche et 2-3 compagnons arrivent au village de leur Provence natale, et rebâtissent une nouvelle société, agricole, sans machine, où la polygamie est encouragée (il y a 4 femmes pour 1 homme), où il s'agit de faire plein d'enfants pour repeupler le monde. François est le patriarche de ce nouveau monde.

C'est donc un roman catastrophe assez agréable à lire dans cette période de confinement. Il fait écho à la collapsologie contemporaine. C'est d'ailleurs intéressant de noter que jamais on n'a l'explication de l'origine de la catastrophe.
C'est un roman qui a évidemment vieilli : même si Barjavel s'amuse à inventer des machines extraordinaires, toutes les descriptions technologiques semblent datées, ancrées dans un imaginaire ancien, voire dépassées par notre modernité. Même si c'est le futur, je n'arrivais pas à voir Paris autrement que dans les films en noir et blanc. Toutes ces descriptions technologiques prennent une autre dimension au moment de l'effondrement.
Le narrateur du livre est un peu ambigu, parfois il semble faire partie de ce monde du futur, parfois il est issu des années 1940. Je pense par exemple à ce moment, où il est question du nouveau statut des artistes, redevenus des artisan :

L'étage de la Ville d'or leur fut réservé, des appartements pourvus du derniers confort mis à leur disposition. Pour s'y installer, pour recevoir à profusion toiles, couleurs, glaise, il leur suffisait de passer un examen devant un jury composé des artistes les plus éminents des diverses Académies d'Europe.
Ceux qui satisfaisaient à l'examen s'installaient dans la Ville d'Or et recevaient pendant six ans une rente confortable. Les artistes, débarrassés des soucis matériels, connurent enfin cette tranquillité d'esprit indispensable à tout travail sérieux.
Ils manièrent pinceau et ciseau d'une main apaisée, reconnurent les véritables maîtres, renoncèrent aux recherches inutiles, ne discutèrent plus les saines traditions académiques. (p. 25)

Il est pas évident de savoir à quel point ce genre de passage reflète l'opinion de Barjavel, même si quelques indices laissent penser qu'il y a de l'ironie dans tout ça (« du plus pur style Prisunic », p. 37).
Quelques idées sont effrayantes, comme la Compagnie de préservation des défunts (p 50), déjà évoquée : les cadavres des ancêtres sont conservés dans la maison, congelés, afin de « surveiller » les vivants. Il est également question du Laboratoire d'Animaux d'Agrément chargé de fabriquer des cygnes de toutes les couleurs (p. 144). Des chocs électriques sont administrés à la population entière, pour soigner tout et rien : timidité, distraction, vantardise… (p. 214). Des rayons merveilleux sont également testés qui donnent de l'énergie formidable aux êtres ; cela donne un chapitre particulièrement halluciné où l'on croise un Christ et la Mort.

Le XXIe siècle est présenté comme l'« ère de raison », ce qui est ironique de notre point de vue (le monde dans lequel nous vivons n'a rien de raisonnable), mais également sous la plume de Barjavel, qui manifestement considère ce monde technologique comme un repoussoir.
Parce que c'est évidemment un roman politique, et clairement réactionnaire (prépublié dans un journal collabo et antisémite). La ville c'est le mal, la technologie n'apporte que du malheur, elle rend les hommes faibles et moins virils. Rien ne vaut les vraies valeurs de la terre, de la campagne, de l'agriculture. Tous les livres sont brûlés, à part la poésie, parce qu'ils participent à la décadence de l'humanité.
Il y a également un culte de la virilité et du chef, incarné par François, qui exige de ses compagnons, comme si cela était normal, une obéissance aveugle à ses ordres. Il a toujours raison, même quand, avec sa bande, il se met à piller Paris, et à assassiner des bandes rivales : manifestement Barjavel ne se rend pas compte que rien ne différencie alors la bande de François des autres.

Avec tout ça, je me rends compte que je n'ai pas donné mon avis : malgré quelques passages qui politiquement piquent un peu (une valorisation du triptyque travail-famille-patrie), c'est un roman passionnant, prenant, plutôt bien écrit.

* * *

1. On notera au passage cette fausse alternative : pourquoi choisir l'un ou l'autre ? Il y a d'autres options, d'autres hommes dans le monde.

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Publié le 7 Avril 2020

À la mort du pape, le concile se réunit à Rome pour élire le nouveau pape. Il y a quelques favoris, mais dans l'ensemble aucun des cardinaux n'a envie d'être élu et d'assumer cette lourde charge. Contre tous les pronostics, c'est le français Melville (Michel Piccoli) qui est élu. Mais lui non plus n'a pas envie d'être pape, il fait une crise au moment où doit se présenter sur la place Saint-Pierre et s'enfuit. On lui amène un psychanalyste (Nanni Moretti) qui s'avère plutôt impuissant, parce qu'on lui impose un protocole impossible (tous les cardinaux sont présents, il ne peut parler d'aucun sujet intime). Melville finit par faire une fugue dans les rues de Rome.

Voilà un film drôle, brillant, irrévérencieux et malin. Il dit des choses sur la charge du pouvoir, sur la fragilité de la nature humaine ; Moretti s'amuse manifestement à malmener avec gentillesse la figure des cardinaux, en les montrant plus humains qu'on l'aurait pensé, en les faisant jouer au beach volley (eux aussi doivent s'occuper pendant leur confinement)… Piccoli est magistral, fragile, touchant, Moretti en psychanalyste est parfait. Bref, c'est une pépite.

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Publié le 6 Avril 2020

Que dire de ce film qui n'a pas déjà été dit ? Filmé à hauteur d'enfant (bien souvent on ne voit pas les visages des adultes, qui sont trop grands pour le cadre) c'est un film magnifique, merveilleux, émouvant, touchant.
La partie avec les hommes du gouvernement est moins longue et flippante que dans mes souvenirs, on ne sait pas trop qui ils sont. Leur rôle est aussi plus ambigu : ils ne sont pas vraiment méchants, ils ne sont pas franchement gentils, même si pour un enfant, ils représentent sans doute l'obstacle qui sépare Eliott d'E.T.
La version que j'ai regardée est celle rebricolée pour les 20 ans du film, avec des effets numériques dégueulasses, qui gâche un peu le film, et trahit les souvenirs d'enfance que j'en ai.

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Publié le 3 Avril 2020

Julien est interrogé dans le cadre d'un enquête dont l'objet est au début passez obscur. On apprend petit à petit qu'il a une femme, une maîtresse qu'il a vue quelques fois, on suppose que quelqu'un est mort, mais on n'est pas encore sûr de qui il s'agit…

Et c'est le principal intérêt de film, adapté d'un roman de Simenon : le montage mêle des séquences d'interrogatoire avec des scènes de flash-back, et les différents éléments de l'intrigue nous sont révélés petit à petit. Ce n'est pas d'une originalité folle, mais ça marche vraiment bien ici : le spectateur se retrouve dans la position d'un enquêteur, à essayer de comprendre ce qui s'est passé, de déceler les éventuels mensonges ou contradictions. C'est assez habile. Les cadres et les lumières sont soignées, élégantes, très photographiques – le cadre bouge peu, le format est presque carré. Pas inoubliable, mais très réussi.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #France