La Rose Pourpre du Caire (Woody Allen, 1985)

Publié le 3 Septembre 2015

C'est la Grande Dépression aux États-Unis, autant dire qu'on est dans les années 1930. Cecilia, comme tant d'autres, est bien mal lotie : elle n'a pas de travail, son mari non plus, d'autant plus qu'il est plutôt feignant, et violent avec ça. On pourrait penser que c'est un film social, mais ça serait bien mal connaître notre cher Woody : cette question n'est pas vraiment abordée, elle n'est qu'une toile de fond* au service d'une des nombreuses obsessions d'Allen : le cinéma.
En effet, Cecilia n'a qu'un bonheur de la vie : le Cinéma. Elle y va autant qu'elle peut, et voit souvent plusieurs fois de suite le même film dans le cinéma de quartier où elle a ses habitudes. Ainsi La Rose Pourpre du Caire, film autour de Tom Baxter, un explorateur de tombes en Égypte, qui découvre New York — encore que ce film soit assez compliqué à résumer, puisqu'Allen ne s'y intéresse pas plus que ça. Jusqu'à ce fameux 5e visionnage, au cours duquel le personnage de l'explorateur s'interrompt pour parler à Cecilia, qu'il a remarquée au fil des projections. Il sort de l'écran pour s'enfuir avec elle et vivre une histoire romantique.
Sauf que : c'est un personnage de fiction. Il ne comprend pas pourquoi il n'y a pas de fade out quand il embrasse Cecilia, il reste parfaitement bien coiffé quand il se fait casser la gueule... Cecilia est sous le charme, mais elle est un peu perdue. Sauf que : les autres personnages du film restent dans le film, à ne savoir que faire sans le personnage de Tom, qui, bien que secondaire, est tout de même indispensable au déroulé de l'intrigue. Sauf que : tout Hollywood est en panique, à commencer par l'acteur qui interprète Tom, parce que si les personnages prennent leur liberté, alors rien n'est plus sous contrôle, et ça leur fait sacrément peur.

La Rose Pourpre du Caire tourne donc joyeusement et légèrement autour de ces questions. Le cinéma est-il plus réel que la vie ? Un personnage de fiction, s'il est bien écrit et bien interprété, peut-être être plus réel que des « vrais gens » ? Ou plutôt, peut-il faire plus envie, plus rêver ? Que choisir entre la réalité et la fiction ? La question n'est pas complètement tranchée, même si la balance penche très clairement du côté de la fiction.
Woody Allen a souvent évoqué son fantasme de faire partie des films durant son enfance, qui se déroula plus ou moins pendant cette période. Il s'amuse ici avec cette idée : qui n'a jamais rêvé de rentrer dans un film, de rencontrer ses personnages, d'en faire partie, bon sang de bois ? Le cinéma est magique et merveilleux, alors que la vraie vie peut être dure. C'est un désir sans doute très profond d'Allen, ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il cite souvent ce film comme son préféré, ainsi que nous l'apprend la page wikipedia du film. Il met en scène ce fantasme avec sa manière habituelle (plans séquences qui mettent en valeur les personnages et le jeu des acteurs etc), même si ce n'est clairement pas son film le plus drôle ni celui qui se remarque le plus par la brillance de ses dialogues.

Allen joue beaucoup sur ces questions-là dans sa filmographie : le personnage qu'il joue finit par se confondre avec celui qu'il est, il a beaucoup tourné autour de sa vérité biographique dans ses films (son enfance, ses relations avec ses femmes/actrices), mais sans jamais rentrer dedans complètement, entretenant sans en avoir l'air une ambiguïté sur Woody Allen le personnage et Allan Konigsberg (son nom de naissance) le cinéaste et l'homme (qui a d'ailleurs disparu puisqu'il a fait modifier son nom à l'état civil).

J'en profite pour signaler les passionnantes émissions de France Culture sur Woddy Allen, dont je recommande vivement l'écoute pour qui s'intéresse à ce personnage singulier, et qui éclaire en partie ces ambiguïtés entre l'homme et le personnage.

 

* Je suis un peu de mauvaise foi, c'est une toile de fond qui est tout de même présente à l'image, dans la pauvreté des milieux filmés. Mais dans la mesure où c'est un film sur le fantasme, sur une vie rêvée, on est loin d'un Blue Jasmine, qui aborde la question sociale de front.

Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #Woody Allen, #États-Unis

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