Plume (Henri Michaux, 1930-1937)

Publié le 11 Décembre 2019

Le livre publié par Gallimard sous le titre de Plume, précédé de Lointain intérieur est en fait un recueil et textes et poésies écrites par Michaux dans les années 1930. Plein de choses là-dedans, dont quelques merveilles.

Entre centre et absence est un recueil de textes magiques, évoquant la poésie d'Ailleurs. J'en retiens en particulier Dimanche à la campagne (p. 35), pour son inventivité langagière :

Jarrettes et Jarnetons s'avançaient sur la route débonnaire.
Darvises et Potamons folâtraient dans les champs.
Une de parmegarde, une de tarmouise, une vieille paricaridelle ramiellée et foruse se hâtait vers la ville.
Garinetttes et Farfalouves devisaient allégrement.
S'éboulissant de groupe en groupe, un beau Ballus de la famille des Bormulacés rencontra Zanicovette. Zanicovette sourit, ensuite Zanicovette, pudique, se détourna. (etc)

La Ralentie est du même registre ; Animaux fantastiques évoque un rêve enfiévré. L'insoumis est le premier texte qui m'intéresse moins : il semble écrit en écriture automatique, en mode surréaliste, en résulte un texte abstrait, abscons, qui me laisse à l'extérieur.

Suit ensuite Je vous écris d'un pays lointain (p. 71), la même magie, le même surréalisme, les textes sont courts, ils ont une puissance évocatrice formidable.

2. Quand on marche dans la campagne, lui confie-t-elle encore, il arrive que l'on rencontre sur son chemin des masses considérables. Ce sont des montagnes, et il faut tôt ou tard se mettre à plier les genoux. Rien ne sert de résister, on ne pourrait plus avancer, même en se faisant du mal. […]

Les Poèmes qui suivent sont très beaux.

Repos dans le Malheur
Le Malheur , mon grand laboureur,
Le Malheur, assois-toi,
Repose-toi
Reposons-nous un peu toi et moi,
Repose,
Tu me trouves, tu m'éprouves, tu me prouves.
Je suis ta ruine.

Mon grand théâtre, mon havre, mon âtre,
Ma cave d'or,
Mon avenir, ma vraie mère, mon horizon,
Dans ta lumière, dans ton ampleur, dans mon horreur,
Je m'abandonne.

Difficultés (1930) est un autre recueil de textes surréalistes, avec quelques fulgurances.
Arrive Un Certain Plume (1930) augmenté de quatre chapitres inédits (1936), des textes drôles qui m'évoquent La Nébuleuse du Crabe d'Éric Chevillard (1993) – je n'avais pas saisi cette parenté (mais j'ai lu Chevillard bien avant Michaux). C'est une petite merveille de drôlerie et d'élégance littéraire, en particulier le « fabcarien » Plume au restaurant (p. 141) :

Plume déjeunait au restaurant, quand le maître d'hôtel, le regarda sévèrement et lui dit d'une voix basse et mystérieuse : « ce que vous avez là dans votre assiette ne figure pas sur la carte. » (etc)

Ou Plume au plafond (p. 175) :

Dans un stupide moment de distraction, Plume marcha les pieds au plafond, au lieu de les garder à terre.
Hélas, quand il s'en aperçu, il était trop tard.
Déjà paralysé par le sang aussitôt amassé, entassé dans sa tête, comme le fer dans un marteau, il ne savait plus quoi. Il était perdu. Avec épouvante, il voyait le lointain plancher, le fauteuil autrefois si accueillant, la pièce entière, étonnant abîme.

Suivent deux très courtes pièces de théâtre surréalistes qui m'ont laissées froid, puis une postface plutôt inspirée :

[…] Tout progrès, toute nouvelle observation, toute pensée, toute création, semble créer (avec une lumière) une zone d'ombre.
Toute science crée une nouvelle ignorance.
Tout conscient, un nouvel inconscient.
Tout apport nouveau crée un nouveau néant. […]

Bref, Henri Michaux reste un de mes auteurs préférés, bien que je n'ai lu que deux livres de lui. Ailleurs est un souvenir plus vivace, aussi parce qu'il bénéficie de la force de la découverte.

Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #poésie, #France

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