Résultat pour “under you skin”

Publié le 21 Août 2018

Sam est un oisif qui vit à Hollywood, passant manifestement la majeure partie de son temps à espionner sa voisine qui fait du topless. Il rencontre une nouvelle voisine qu'il trouve bien jolie. Leur soirée est interrompue, ils prévoient de se voir le lendemain. Sauf que le lendemain, son appartement est totalement vide : elle a déménagé dans la nuit.
Partant à sa recherche, Sam va tomber sur la piste des secrets et complots cachés d'Hollywood, et croiser le chemin de jeunes héritières perdues, d'un groupe de pop hype et perché, du roi des clochards, d'une secte de riches illuminés, d'un compositeur universel de tubes...

Voilà un film bien étrange, paranoïaque et complotiste : on nous cache des choses, on ne nous dit pas tout, il y a des messages secrets cachés dans tous les produits de la pop-culture. C'est une idée que je trouve un eu effrayante, mais qui marche bien dans une fiction.
Le film se déroule comme dans un rêve/cauchemar : on passe d'une scène à une autre comme par association d'idée, ou comme dans une galerie étrange où un tableau succèderait à un autre (le personnage principal est baladé d'un endroit à un autre, d'une scène à une autre). Malgré tout, le film a toujours une logique interne, un fil directeur assez clair.
La référence principale du film est assez claire : on pense souvent (très souvent) à David Lynch. Un certain nombre de scènes, de personnages, d'images auraient tout à fait leur place dans un film de Lynch. Cette mécanique du rêve/cauchemar qui lui ressemble beaucoup. Les lecteurs les plus assidus de ce blog se souviendront peut-être que j'avais été très déçu par le revisionnage de Lost Highway et de Mulholland Drive, les défauts que je trouvais dans ces deux films ne sont pas dans Under the Silver Lake : même si presque tout est bizarre, le film est finalement construit de manière assez linéaire, passant d'un tableau à un autre ; il n'y a à priori rien à décoder ici, pas de moment WTF ou de bascule dans autre chose. On pense aussi à Wes Anderson dans certains plans très composés et symétriques. C'est en tout cas un cinéma très visuel, jouant sur des images fortes et marquantes, souvent effrayantes.
Le principal défaut du film vient d'une certaine longueur (2h20 qui auraient parfois mérité à être condensées) et du travail sur les personnages qui me laisse un peu sur ma faim. Sam, le personnage principal n'est pas attachant (malgré Andrew Garfield qui est très bien, comme tous les acteurs) : il est voyeur, fainéant, raciste (son discours sur les SDFs !), un peu obsédé. Mais malgré tout, manifestement, toutes les femmes veulent coucher avec lui. On voit que c'est un film écrit et réalisé par un mec... Autre point sexisme : les personnages féminins sont relativement inexistants. Ce ne sont que des poupées qui donnent malgré elles des indices au héros et qui ont envie de coucher avec tous les mecs du film.

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Publié le 19 Février 2018

Steven Russell est un homme bien sous tout rapports. Il est policier, il a une femme, des enfants et va à la messe tous les dimanche. Sauf qu'il est gay, et le cache.
Après un accident, il décide de s'assumer enfin. Son train de vie devient indécent, et pour l'assumer, il devient arnaqueur, se fait choper, et finit en prison.
Il y rencontre Phillip Morris, avec qui il va vivre une grande histoire d'amour ubuesque (beauté des sentiments, mensonges, évasion, arnaques...)

C'est si bien ce film. C'est très classique dans la construction, très hollywoodien dirais-je, avec ces flash backs/flash forwards et cette voix off en léger décalage. Mais c'est aussi plutôt efficace, et comme l'histoire est pleine de surprises on leur pardonne.
C'est drôle, touchant, parfaitement interprété, bref, ce n'est peut-être pas un film qui marquera l'histoire du cinéma, mais c'est super.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #comédie

Publié le 24 Novembre 2020

Fun fact : We Need to Talk about Kevin est un des premiers films que j'ai chroniqués sur ce blog, en 2013. À l'époque je faisais des illustrations, c'était mignon.
J'avais aimé ce film, et  je n'avais bizarrement pas revu d'autres films de Lynne Ramsay.
Pour faire le résumé de You were never really here, il faut raconter des choses qui ne sont que suggérées dans le film, ce qui est un peu dommage.

Joe est un tueur à gage, chargé de récupérer de jeunes filles aux mains de pédophiles. Ancien militaire, victime de syndrome post-traumatique, ancien enfant victime d'un père abusif, Joe est instable, suicidaire, potentiellement violent. Mandaté pour récupérer la fille d'un homme politique, il se retrouve embarqué dans une histoire qui va le dépasser.

C'est un beau film, porté par un Joachim Phoenix magnifique et tragique. La mise en scène est élégante, poétique, elle prend son temps pour raconter. Beaucoup de choses sont sous-entendues, notamment le passé de Joe, qui vient par flashs. C'est élégant, ça joue sur le regard du spectateur.

* * *

Mais j'ai été gêné par quelque chose qui n'a finalement pas grand chose à voir avec le travail de Lynne Ramsay. Le fond du film, c'est une sorte de complot d'hommes puissants qui entretiennent un réseau pédophile, et au milieu de ça, un homme seul fait la justice (ce qui est évidemment le principe d'à peu près tous les films de super héros). Sauf que là, ce point de départ ressemble beaucoup aux théories Qanon, et ça donne une teinte pas très heureuse au film… Et je ne pense pas que ce soit l'ambition de Lynne Ramsay, mais c'est dommage que j'y ai pensé.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #Royaume-Uni

Publié le 3 Septembre 2022

Evelyn Wang (Michelle Yeoh) est une immigrée chinoise qui tient une laverie aux États-Unis. Elle est stressée, endettée, elle peine à s'intéresser à son mari Waymond (Ke Hui Quan) ou à sa fille Joy (Stephanie Hsu). Comble de la galère, alors qu'elle est sensée fêter le nouvel an chinois dans sa laverie, elle doit justifier les dépenses de l'entreprise auprès des impôts, et la contrôleuse (Jamie Lee Curtis) n'est pas vraiment aimable.
Jusqu'au moment où une version alternative de Waymond issue d'un univers alternatif la contacte : Evelyn est la seule qui puisse restaurer l'équilibre dans le multivers, face à la folie destructrice de Jobu Tupaki.

C'est un film ambitieux, foutraque, drôle, inventif et complètement barré. Ce qui commence comme une chronique de l'immigration chinoise et comme le récit d'une famille dysfonctionnelle devient un film de science-fiction mâtiné de kung-fu. Je n'ai pas envie de trop en dévoiler, mais les deux réalisateurs-scénaristes fourmillent d'idées improbables : on ne sait jamais ce qui va se passer dans les minutes suivantes, et on est ravi de se faire surprendre. On pense à Matrix (le multivers), ou à Sorry to bother you (pour le côté comédie foutraque et absurde), mais il y a plein d'autres clins d'œil.
Certes, ça patine un peu vers la fin, qui aurait mérité d'être un peu resserrée, mais on pardonne assez vite, comme tout le reste est drôle, surprenant, bien mis en scène, servi par une photo très belle et des acteurices complètement formidables.

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Publié le 9 Juin 2019

Cassius Green (Lakeith Stanfield) est un jeune type un peu paumé qui décroche un boulot de télémarketeur. D'abord médiocre, il devient merveilleusement bon quand il découvre l'efficacité de sa « voix de blanc ».

Ce film est une satire féroce de notre monde ubérisé : un des ressorts scénaristiques tourne autour de WorryFree, une société qui fait travailler des gens 14 heures par jour, mal payés, dormant dans des dortoirs surpleuplés. C'est de l'esclavage moderne, et on n'est pas loin de ce que le monde actuel nous prépare. Ça devient grotesque quand on apprend que cette société est en train de développer une nouvelle race de travailleurs en mélangeant des hommes et des chevaux, rendant les travailleurs plus forts et plus endurants. Le monde du travail en général, avec ses manageurs, ses objectifs, sa culture du cool et son aliénation en prend aussi pour son grade.
La critique porte aussi sur le monde des médias, avec des parodies d'émissions de télé pas piquées des hannetons, ou de la viralité de vidéos stupides : le ressort en est à chaque fois l'humiliation, allant même très loin dans cette mécanique. De la même façon, quand Cassius révèle au monde le plan de WorryFree (les hommes-chevaux), au lieu de déclencher un scandale, il ne fait qu'augmenter la valeur boursière de l'entreprise, louée pour son avance technologique.
Le racisme est évidemment un autre thème : la « voix de blanc », cette scène où Cassius se retrouve devant une audience entièrement blanche qui finit par lui demander de rapper parce hey, les Noirs savent forcément rapper.

Bref, c'est un film qui brasse large, une satire féroce et grotesque. C'est un film de gauchistes anticapitalistes, contre l'arrogance blanche, qui prône le soulèvement populaire et l'action militante. Boots Riley ne recule devant rien, n'hésitant pas à aller jusqu'à la farce grotesque (ces hommes-chevaux, quand même), le tout avec une maîtrise du medium (lumières, montage etc, même s'il réserve ses effets pour la première partie du film).
J'avoue que j'ai encore un peu de mal à savoir quoi en penser. Je n'arrive pas à savoir si c'est un chef d'œuvre ou si c'est n'importe quoi, mais rien que le fait que je me pose la question prouve que ce n'est pas un film sans intérêt.

Ah si, un défaut quand même : le personnage de Detroit, la petite amie artiste de Cassius est certes formidable, mais c'est dommage que ce soit le seul personnage féminin du film. Ce n'est pas foncièrement sexiste, mais ça se voit que c'est un film de mecs.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #États-Unis

Publié le 13 Juin 2020

Le Marshall Virgil Cole (Ed Harris) et son adjoint Everett Hitch (Viggo Mortensen) arrivent dans la petite ville d'Appaloosa, pour régler le problème que pose Bratt (Jeremy Irons), un assassin qui se croit tout permis. Pour faire régner l'ordre, Cole instaure une sorte de loi martiale où il peut tout faire et décider de tout.
Cole va se mettre en couple avec Allie (Renée Zellweger) et arrêter Bratt, mais tout ne va pas être si simple que ça.

Bon, je regarde des westerns en ce moment pour le boulot, mais ce n'est pas particulièrement un genre dont je raffole, en particulier parce que ce sont souvent des films de mecs, avec des histoires de mecs. Bien souvent on tombe dans le sexisme le plus lamentable, et les personnages ont tendance à illustrer le problème de la masculinité toxique. C'est parfaitement le cas ici.
Passons sur la différence d'âge entre Cole et Ellie (19 ans, quand même), pour nous concentrer sur cet unique (quasiment) personnage féminin : elle est menteuse et manipulatrice, et ne sert que de point faible pour Cole, puisque les méchants se serviront d'elle pour le faire chanter.
Cole illustre assez bien le problème de la masculinité toxique, qui explique que « Fellings get you killed ». Everett, qui est présenté comme moins bon que Cole, est pourtant un meilleur être humain que lui (il s'excuse, il parle presque de ce qu'il ressent, incroyable). Il finit pourtant le film dans un acte meurtrier sans émotion ni remords.
Ajoutez à ça que fait que le film a un gros problème dans la gestion de ses ellipses (on a l'impression que tout se passe en quelques jours, alors que manifestement non), et vous comprendrez que ce n'était pas forcément une super soirée ciné. Certes, la photo est belle, les plans élégants, les acteur·trice·s très bien, mais ça ne suffit pas.

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Publié le 9 Janvier 2017

Tentative de résumé, même si, comme je le dirai plus bas, c'est un roman presque impossible à raconter, tellement les personnages s'enchevêtrent, se croisent et se recroisent. Ça va plutôt ressembler à une liste de personnages (pas tous) et de leurs relations changeantes.

Édouard est un écrivain, c'est le double de Gide. Il travaille à un roman qui s'appelle Les Faux Monnayeurs. Le jeune Olivier, aspirant poète, l'admire, ils sont plus ou moins amoureux mais les quiproquos s'enchaînent entre eux. Laura, l'épouse de Félix Douviers, a eu un penchant pour Édouard, mais maintenant elle est enceinte de Vincent, le grand frère d'Olivier.
Robert de Passavant est un écrivain mondain, c'est l'« ennemi » littéraire d'Édouard. Il veut lancer une revue littéraire d'avant-garde, dont Olivier serait le directeur.
Bernard est un ami d'Olivier, en pleine rebellion adolescente, qui part vivre sa vie.
La Perouse est un vieux professeur de piano, dépressif et suicidaire, ami d'Édouard. C'est le grand-père de Boris, qui est gardé en Suisse par une doctoresse polonaise, Mme Sophroniska, accompagnée de sa fille Bronja, dont Boris est très proche.
Édouard part en Suisse, accompagné d'Édouard, devenu son secrétaire, et de Laura, enceinte, qu'Édouard prend en charge. Bernard est amoureux de Laura, qui aime Édouard. Olivier est jaloux de Bernard et de sa proximité avec Édouard.
De retour à Paris, Olivier fait une tentative de suicide heureux, après une nuit passée avec Édouard. Bernard croise un ange. Vincent, après être parti étudier les poissons aux Açores, est devenu un sale type en Afrique. Georges, le petit frère d'Olivier et de Vincent, traine avec des sales gosses, et trempe dans un trafic de fausse monnaie qui risque de mal tourner.
Bronja, malade, décède, ce qui rend très vulnérable Boris. Georges et ses copains, menés par le plus inhumain d'entre eux, poussent Boris au suicide.

* * *

Voilà un roman étrange, étonnamment moderne. On est en 1925, André Gide essaye de trouver une nouvelle forme pour le roman. Un de ses personnages s'en fait l'écho :

Je me suis souvent demandé par quel prodige la peinture était en avance, et comment il se faisait que la littérature se soit ainsi laissé distancer ? Dans quel discrédit, aujourd'hui, tombe ce que l'on avait coutume de considérer, en peinture, comme « le motif » ! Un beau sujet ! cela fait rire. Les peintres n'osent même plus risquer un portrait, qu'à condition d'éluder toute ressemblance. (p. 320)

Donc, il faut trouver quelque chose de neuf. Ce qui est pratique, avec le fait d'avoir un double écrivain dans son roman, c'est qu'on peut exposer un projet littéraire :

Mme Sophroniska, conviée au thé et encouragée par Bernard et par Laura, s'enhardit jusqu'à oser prier Édouard de leur parler de son futur roman, si toutefois cela ne lui était pas désagréable.
« Nullement ; mais je ne puis vous le raconter. »
Pourtant il sembla presque se fâcher, lorsque Laura lui demanda (question évidemment maladroite) « à quoi ce livre ressemblerait ».
« À rien, s'était-il écrié ; puis aussitôt, et comme s'il n'avait attendu que cette provocation : – Pourquoi refaire ce que d'autres que moi ont déjà fait, ou ce que j'ai déjà fait moi-même, ou ce que d'autres que moi pourraient faire ? » [...]
« Est-ce parce que, de tous les genres littéraires, discourait Edouard, le roman reste le plus libre, le plus lawless..., est-ce peut-être pour cela, par peur de cette liberté même (car les artistes qui soupirent le plus après la liberté, sont les plus affolés souvent, dès qu'ils l'obtiennent) que le roman, toujours, s'est si craintivement cramponné à la réalité ? [...] Le seul progrès qu'il envisage, c'est de se rapprocher encore plus du naturel.
« Parce que Balzac était un génie, et parce que tout génie semble apporter à son art une solution définitive et exclusive, l'on a décrété que le propre du roman était de faire « concurrence à l'état civil ». Balzac avait édifié son œuvre ; mais il n'avait jamais prétendu codifier le roman ; son article sur Stendhal le montre bien.
« [...] Je voudrais un roman qui serait à la fois aussi vrai, et aussi éloigné de la réalité, aussi particulier et aussi général à la fois, aussi humain et aussi fictif qu'Athalie, que Tartuffe ou que Cinna.
— Et... le sujet de ce roman?
— Il n'en a pas, repartit Édouard brusquement ; et c'est là ce qu'il a de plus étonnant peut-être. Mon roman n'a pas de sujet. Oui, je sais bien ; ça a l'air stupide ce que je dis là. Mettons si vous préférez qu'il n'y aura pas un sujet... « Une tranche de vie », disait l'école naturaliste. Le grand défaut de cette école, c'est de couper sa tranche toujours dans le même sens ; dans le sens du temps, en longueur. Pourquoi pas en largeur ? ou en profondeur ? Pour moi, je voudrais ne pas couper du tout. Comprenez-moi : je voudrais tout y faire entrer, dans ce roman. Pas de coup de ciseaux pour arrêter, ici plutôt que là, sa substance. (p. 182)

(Oui, je vais faire de longues citations, mais Gide parle de tout ça mieux que moi).
Et effectivement, c'est un roman construit sur la largeur, sur l'épaisseur. En fait, ça me fait penser à une série TV, du genre Mad Men ou Six feet under : on suit des personnages à qui il arrive des choses, sans qu'il y ait besoin de propos dramaturgique. C'est beau, triste et gai comme dans la vie. Ça me fait aussi penser au cinéma de Robert Altman, à sa façon de construire ses récits en cercle, comme dans The Player. Cela semble très improvisé, très libre dans l'écriture, et en même temps c'est très construit, avec les croisements infinis et parfois vertigineux de personnages.

Ce qui est amusant, c'est que Gide est très présent dans l'écriture, à la fois à travers son double, Édouard, dont j'ai déjà parlé, mais aussi à sa façon de souligner qu'il y a des choses qu'il ignore dans son récit :

J'aurais été curieux de savoir ce qu'Antoine a pu raconter à son amie la cuisinière ; mais on ne peut tout écouter. Voici l'heure où Bernard doit aller retrouver Olivier. Je ne sais pas trop où il dîna ce soir, ni même s'il dîna du tout. (p. 30)

Robert de Passavent, qui se dit maintenant son ami, est l'ami de beaucoup de monde. Je ne sais trop comment Vincent et lui se sont connus. (p. 40)

On est loin du narrateur omniscient, comme chez Balzac. Chez Balzac, c'est Dieu qui parle, ici, c'est un écrivain, avec ses failles et ses doutes, exprimés notamment dans un chapitre très étonnant, où Gide fait le point sur son roman, ce qui lui plait et ce qui ne va pas, ce qui renforce le caractère (faussement) improvisé du récit :

[...] L'auteur imprévoyant s'arrête un instant, reprend souffle, et se demande avec inquiétude où va le mener son récit. [...] Édouard m'a plus d'une fois irrité (lorsqu'il parle de Douviers, par exemple), indigné même ; j'espère ne l'avoir pas trop laissé voir ; mais je puis bien le dire à présent. [...] Que faire avec tous ces personnages ? Je ne les cherchais point ; c'est en suivant Bernard et Olivier que je les ai trouvés sur ma route. Tant pis pour moi ; désormais, je me dois à eux. (p. 215)

C'est une des particularités des Faux-Monnayeurs : même si on est dans le récit, à fond avec les personnages, jamais Gide ne nous fait oublier qu'on est dans un roman, il montre l'intérieur de la machine, dissèque la mécanique. Et c'est souvent fait avec une pointe d'humour. Par la bouche d'Édouard, il nous parle par exemple de son rapport aux personnages :

[Édouard] se dit que les romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages, gênent plutôt l'imagination qu'ils ne la servent et qu'ils devraient laisser chaque lecteur se représenter chacun de ceux-ci comme il lui plaît. Il songe au roman qu'il prépare, qui ne doit ressembler à rien de ce qu'il a écrit jusqu'alors. Il n'est pas assuré que Les Faux-Monnayeurs soit un bon titre. (p. 75)

Ou encore lorsqu'il parle de l'avancement de l'écriture de son roman :

[Journal d'Édouard] Écrit trente pages des Faux-Monnayeurs, sans hésitation, sans ratures. Comme un paysage nocturne à la lueur soudaine d'un éclair, tout le drame surgit de l'ombre, très différent de ce que je m'efforçais en vain d'inventer. Les livres que j'ai écrits jusqu'à présent me paraissent comparables à ces bassins des jardins publics, d'un contour précis, parfait peut-être, mais où l'eau captive est sans vie. À présent, je la veux laisser couler selon sa pente, tantôt rapide et tantôt lente, en des lacis que je me refuse à prévoir.
X. soutient que le bon romancier doit, avant de commencer son livre, savoir comment ce livre finira. Pour moi, qui laisse aller le mien à l'aventure, je considère que la vie ne nous propose jamais rien qui, tout autant qu'un aboutissement, ne puisse être considéré comme un nouveau point de départ. « Pourrait être continué... », c'est sur ces mots que je voudrais terminer mes Faux-Monnayeurs. (p. 322)

Je parlais d'humour, il faut quand même que je mentionne une description acerbe et assez drôle du milieu littéraire contemporain du roman. Le personnage de Robert de Passavant, plein de fatuité, est l'introduction au milieu dadaïste (même s'il n'est jamais nommé) dans lequel on trouve nommément Alfred Jarry dans une description très drôle. Dans la revue d'avant-garde que Passavent monte figurera d'ailleurs un certain portrait de la Joconde avec des moustaches. Gide a l'air de penser peu de bien de ce milieu.

Sinon, sur un registre très différent, nulle part n'est abordée l'homosexualité sur un plan moral, alors qu'on est en 1925, et que ça ne devait pas être simple... Une fois le mot « honte », pour dire qu'il n'y en a aucune, sans dire d'où elle pourrait venir. Ça ne pose aucun problème à la mère d'Olivier, si ce n'est de la « jalousie ». C'est étonnamment moderne, en fait. (Plus sur le sujet ici, j'avoue que je n'ai pas eu le courage de tout lire).

Et une dernière citation que j'ai relevée au passage :

À mesure qu'une âme s'enfonce dans la dévotion, elle perd le sens, le goût, le besoin, l'amour de la réalité. J'ai également observé cela chez Vedel, si peu que j'aie pu lui parler. L'éblouissement de leur foi les aveugle sur le monde qui les entoure, et sur eux- mêmes. Pour moi qui n'ai rien tant à cœur que d'y voir clair, je reste ahuri devant l'épaisseur de mensonge où peut se complaire un dévot.

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