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Publié le 30 Juillet 2023

Love. Orlando est un lord anglais du XVIe siècle. La reine Elizabeth Ière en fait son favori, et lui offre un grand domaine. Orlando tombe amoureux de la fille d'un diplomate russe, mais celle-ci rentre au pays sans lui.
Poetry. Il se tourne alors vers la poésie, mais le poète qu'il prend sous son aile se moque de ses vers dans son dos.
Politics. Orlando est alors envoyé par la cour vers « l'est » (l'empire Ottoman), où il reste de longues années comme ambassadeur de la cour d'Angleterre. Alors qu'on lui donne congé, il se réveille un matin dans un corps de femme et se contente de dire avec une forme d'indifférence : « Same person. No difference at all. Just a different sex ».
Society. Orlando rentre donc en Angleterre retrouver son domaine, et la société. Elle se retrouve confrontée à l'horrible sexisme de la société aristocrate du XVIIIe siècle. Elle apprend qu'en tant que femme non mariée, elle ne peut prétendre exercer de droit à la propriété, et que par conséquent, le château ne lui appartient plus – elle peut quand même continuer à y vivre.
Sex. En 1850, elle vit une histoire intense et charnelle avec un homme, qui finit par partir pour d'autres aventures.
Birth. À la fin du XXe siècle, un éditeur est intéressé par les écrits d'Orlando. Celle-ci se rend avec sa jeune fille dans son ancienne demeure, devenue musée. Un ange lui apparaît quand elle se repose dans un champ de blé.

Je n'ai jamais lui Orlando de Virginia Woolf, dont ce film est librement adapté (j'ai lu la super adaptation de Delphine Panique, cela dit). Je connais le principe du changement de sexe du personnage principal, mais j'ai l'impression qu'on oublie parfois de préciser que le personnage principal vit plusieurs siècles sans vieillir, un peu à la manière de Dorian Grey – même si ici il n'y a pas de pacte maléfique qui entrainera la chute, au contraire, le ton est plutôt doux et joyeux.
Orlando est joué·e par Tilda Swinton, 32 ans bien qu'elle paraisse être sans âge, magnifique, magnétique et hypnotique. Elle joue un Orlando homme très troublant ; le fait que ce soit un homme (Quentin Crisp) qui joue la reine Elizabeth participe à apporter du « trouble dans le genre » (Judith Butler). Sur les questions queer, le film est très moderne et intelligent dans ce qu'il raconte (et ça donne furieusement envie de lire le livre de Virginia Woolf qui a l'ai incroyable de modernité).
Le film est très bien mis en scène, les costumes sont à la fois improbables et somptueux, la lumière vient souligner tout ça de manière élégante. Le récit est mené avec un peu d'humour, porté par les regards caméra d'Orlando, souvent saisissants. Tout cela est absolument brillant.

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Publié le 28 Juillet 2023

C'est un célèbre film de procès : un jury de douze hommes doit statuer sur le sort d'un jeune homme jugé pour parricide. Onze le jugent coupable, un seul (Henri Fonda) le déclare non-coupable, parce qu'il a un « doute raisonnable ». Les hommes vont débattre pendant tout le film.

Ce n'est pas pour rien si c'est un classique du cinéma : le scénario est très habilement écrit, les acteurs sont tous formidables (aucune femme dans ce film, désolé), le fond du film est passionnant et dit plein de choses de la société américaine des années 1950 et reste encore d'actualité…
Et c'est incroyable que ce soit le premier film de Sidney Lumet. La mise en scène est remarquable, inventive et élégante, alors que c'est un cauchemar de metteur en scène : ce sont douze hommes qui parlent enfermés dans une seule pièce. Et pourtant Lumet est toujours intéressant et inventif : il y a plusieurs plans séquences discrets (à la Spielberg) mais très beaux, un jeu sur les groupes, les ensembles, les cadrages… Et la lumière est magnifique. Bref, c'était formidable.

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Publié le 5 Février 2023

Un inventeur (Vincent Price) meurt avant d'avoir fini sa créature, Edward (Johnny Deep), affublé de ciseaux à la place des mains. Peg Boggs (Dianne Wiest), représentante en cosmétiques, le trouve un peu par hasard, et décide de ramener ce jeune homme étrange et seul dans sa maison, au milieu d'une banlieue pavillonnaire parfaitement clichée. Edward va rapidement attirer l'attention de toutes les desperate housewifes du coin.

J'ai vu ce film quand il était passé à la télévision, alors que j'étais en CE2. J'ai insisté auprès de mes parents pour le regarder, comme il passait un mardi soir et que le lendemain il n'y avait pas école, j'ai réussi à avoir dérogation exceptionnelle pour le regarder. Je ne me souviens pas pourquoi j'ai tant voulu le voir, j'avais dû voir une photo dans Télérama ; je confondais avec Freddie, les Griffes de la nuit, et j'étais tout fier de regarder un film qui fait peur, un film de grand. C'est peu de dire qu'Edward n'a rien à voir.
C'est une fable, un conte plus ou moins autobiographique, qui parle d'un jeune homme singulier et créatif, qui peine à se faire une place dans le monde, et qui est injustement incompris. J'imagine que ce film a pris une résonance d'autant plus forte pour moi l'année suivante, quand j'ai changé d'école et qu'on a commencé à me taper dessus : je me suis totalement identifié au personnage, et le film est devenu mon film préféré, et l'est resté pendant très longtemps (j'imagine qu'il a parlé de la même façon à plein d'adolescent·es).

Tout ça pour dire que je n'avais pas revu ce film depuis une quinzaine d'années. J'avais à la fois très envie de le revoir, et en même temps un peu peur : est-ce que ça a bien vieilli ? Est-ce qu'aujourd'hui j'aimerai toujours autant ce film ?
Oui. Ça reste une petite merveille, inventive, maline, subtile, émouvante. Qui dénonce avec finalement une certaine tendresse l'hypocrisie et le ridicule de ce milieu banlieusard ; qui construit des personnages à la fois grotesques, caricaturaux, drôles et attachants. Je suis heureux de l'avoir découvert enfant, je suis heureux qu'il ait pu m'accompagner dans des moments difficiles, et je suis heureux que ce soit un (très) bon film.

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Publié le 28 Avril 2021

J'ai donc revu 2001, dont je ne vais pas faire de résumé ici. C'est toujours aussi beau, aussi puissant, aussi magnifiquement filmé. Pour 1968, c'est souvent hallucinant. La fin continue de me scotcher, c'est sans doute un des moments les plus ahurissants de cinéma que j'ai vu.

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Publié le 23 Avril 2021

7 est un recueil de sept courts romans, ou longues nouvelles. C'est un livre merveilleux d'un auteur décidément important (au moins pour moi), qui a aussi écrit le formidable Mémoires de la jungle (2010) et le très bien Les cordelettes de Browser (2012).
J'ai besoin de faire un résumé à peu près exhaustif du livre pour en parler, donc ça va être un article plutôt long.

Hélicéenne
Une bande de jeunes marginaux développe une nouvelle drogue, l'hélicéenne. Elle permet de faire revivre un état antérieur de l'individu : en fonction de la dose, vous pouvez retrouver la personne que vous étiez il y a un an, 10 ans, 20 ans… Votre corps reste le même, votre ancien vous ignore ce qui s'est passé après lui, mais votre vous contemporain n'aura aucun souvenir de ce qu'a vécu votre ancien vous.
Le narrateur, un dealer, va populariser cette drogue, et le manoir désaffecté qui sert de base aux jeunes devient un lieu de shoot baroque et festif.
Toute cette histoire finira bien sûr pas très bien.

Les Rouleaux de bois
Un vieux guitariste de rock a eu un succès avec une chanson composée presque par hasard, Walking Backwards. Alors qu'il joue avec son groupe, un fan un peu chelou vient le voir pour lui faire écouter une cassette de son oncle, sur laquelle on entend une version de Walking Backwards. Sauf que l'oncle en question est mort 4 ans avant la composition de la chanson.
D'abord agacé par ce type, le musicien va chercher à en savoir plus. Il va découvrir l'existence d'un type qui au début du XIXe siècle a inventé un moyen d'enregistrer sa musique. Et cette musique est hors du commun : à peu près tout ce qui fait la musique du XXe s. est là, tous les grands tubes, toutes les chansons, parfois des choses plus obscures. Blues, jazz, soul, gospel, funk, disco, house, rap, Rn'B… Tout est déjà là, dans une forme aboutie. Les autres musiciens ont-ils entendu ces morceaux, les ont-ils rejoués par hasard ?

Sanguine
Sanguine, parfois surnommée Visage, est la femme la plus belle du monde. Sa beauté fait des ravages, et lui offre une carrière de mannequin très fructueuse.
Elle souffre de quelques épisodes de problèmes de peau, au cours desquels elle va se ressourcer dans l'ancienne maison de ses grands parents, avant de revenir guérie.
Une nuit elle tombe sur un type totalement défiguré, horrible, sa peau tombe en lambeaux, il n'a ni nez ni paupières ni bouche. Sanguine, d'abord terrifiée, va passer du temps avec lui et découvrir une chose étrange : pour qu'elle soit belle, il doit être hideux. Ses problèmes de peau viennent du fait qu'il guérit ici ou là. Obsédé par Sanguine, le type se mutile pour pouvoir lui restaurer sa beauté. Mais l'inverse est également vraie : si Sanguine se mutile, il devient beau, jusqu'à atteindre une beauté inouïe comparable à celle de Sanguine.
Cette dernière décide d'offrir une semaine de beauté à ce type qui a toujours vécu reclus. Elle se brûle le visage, et laisse le type partir à Los Angeles rencontrer les amis de Sanguine. Souffrant horriblement, elle suit ses aventures sur les réseaux sociaux. Mais l'attendu se produit : il ne revient pas.
Désespérée, c'est son ami Claude qui la trouve. Il l'emmène dans un hôpital psy : il ne comprend pas pourquoi elle refuse de montrer son visage alors qu'elle n'a jamais été aussi belle. Sanguine apprend que le type est mort. Elle fait un come-back, devient une actrice renommée, avec une profondeur supplémentaire dans le regard.
Elle cherche un enfant né le jour de la mort du type, qui pourrait lui aussi subir le fait d'être défiguré pour que Sanguine soit belle.

La Révolution permanente
Hélène est une femme qui attend la révolution communiste depuis les années 1970, mais qui est déçue par la vie du parti, et décide de le quitter.
À la suite d'un accident, elle se retrouve dans un monde parallèle, dans lequel une révolution communiste a eu lieu en 1973. La France est aujourd'hui égalitaire sur le papier, coupée du monde, reculée d'un point de vue technologique, un peu appauvrie, comme pouvait l'être l'URSS. Hélène fait des allers-retours entre ce monde et le sien, sans parvenir à comprendre lequel est réel, et si elle n'est pas elle-même une figure du rêve de quelqu'un de l'autre monde – mais qui serait en train de la rêver ?

L'existence des extraterrestres
Marlon et Moon ont grandi dans une sorte de secte assez restreinte, qui postule que les extraterrestres existent, et que les personnes qui ont commencé à croire ne peuvent plus arrêter de croire, au risque de « disparaître ». C’est un acte de foi ultime : aucun inconvénient à ne pas croire, aucun avantage à croire, un gros inconvénient à arrêter de croire. Marlon est aujourd'hui adulte, Moon est un jeune adolescent. Accompagnés d'Anaïs, amie de Marlon, ils parcourent la France à la recherche de preuves du passage des extraterrestres, et pour rencontrer les membres de cette secte.
Petit à petit, Moon va comprendre que toutes ces histoires sont des fables et que son frère est quelqu'un de dangereux, qui fait « disparaître » les gens qui arrêtent de croire.

Hémisphères
Une nouvelle invention permet de bloquer l'entrée et la sortie d'ondes, quelles qu'elles soient, dans un rayon donné. Le résultat est une hémisphère que l'on voit noire de l'extérieur, et qui se perd dans un brouillard blanc vu depuis l'intérieur. Les hémisphères se sont multipliées, parce qu'elles permettent de construire une sorte d'utopie dystopique à l'intérieur du monde, de vivre selon des Principes que l'on choisit : religieux, politique, sexuel, esthétique, philosophiques… On trouve des hémisphères de catholiques, masculinistes, incestueux, kantiens, taoïstes, shintoïstes, monarchistes, reproduisant la société féodale du XIIe siècle… Une porte permet d'entrer et de sortir sans encombre de ces hémisphères, mais elles sont si hermétiques que les habitants ignorent jusqu'à l'existence d'un monde extérieur.
Le narrateur est un universaliste, c'est-à-dire un relativiste qui est trop conscient des limites de chaque système de croyance pour entrer dans une sphère. Avec d'autres, vivant dans un monde un peu déserté, il s'occupe de la gestion de toutes ces communautés coupées du monde. Contrôleur de Principe, un métier plutôt inutile, son rôle est de passer de temps en temps dans un hémisphère pour vérifier que tout s'y passe bien.
Mais tout de même, il est bien intrigué par la porte qu'il voit se dessiner dans le ciel, au-delà des montagnes.

La Septième
La septième
Le narrateur a sept ans, mais il ne saigne pas du nez. Comme un adulte dans un corps d'enfant, il va à l'hôpital demander à Fran, un type qu'il vient de rencontrer mais qu'il connaît trop bien, pourquoi il l'a tué. Mais le type est un peu différent, et ne comprend rien. Il finit au commissariat, et rdv chez le psy.
L'oiseau argenté n'est pas là, rien n'est comme prévu.
Le narrateur se demande s'il n'est pas devenu mortel.

La première
Le narrateur vit sa vie d'enfant normal, jusqu'à ses sept ans où il se met à saigner du nez. On l'emmène à l'hôpital où Fran, un jeune interne, le soigne, et lui révèle quelque chose : ce garçon normal est en fait immortel. Une sorte de secte se développe autour de lui, mais petit à petit celui ci s'en détache. Jeune adulte, il rencontre Hardy, jeune femme passionnante et pleine de vie. Ils vivent heureux, ont des enfants. Il est fonctionnaire, elle est pharmacienne, regrette de ne pas avoir fini ses études de médecine, d'avoir abandonné la guitare. Elle meurt à la soixantaine d'un cancer, il lui survit, triste et seul.

La deuxième
Le narrateur est bel et bien un immortel, mais d'un genre spécial : il se retrouve au début de sa vie avec toute la mémoire de sa vie passée. C'est comme dans Un Jour sans fin, sauf que c'est à l'échelle de toute sa vie.
Vers 7 ans, saignement de nez, il retrouve Fran. Jeune adulte il rencontre Hardy, et fait tout pour l'orienter vers ses futures passions. Mais sachant tout par avance, il ne laisse pas de place aux autres : Fran s'ennuie, Hardy étouffe, elle n'est pas la femme qu'il a connue, et elle finit par le quitter.
Pendant ce temps, avec l'avantage d'avoir une vie d'avance, il étudie sans cesse. Brillant, il obtient même un prix Nobel. Il cherche l'origine de son immortalité dans l'espoir de sauver Hardy. Mais Hardy n'est pas malade, et lui si.
Il comprend qu'il est une sorte de trou noir : son existence crée une sorte de singularité qui fait reboucler l'univers au moment de sa naissance, avec conservation de ses informations. Il a passé toute sa vie à chercher, il a une réponse qui ne le concerne que lui. Il sera moins égoïste lors de sa prochaine vie, et

La troisième
Tout jeune enfant, il cherche à lire le journal, à comprendre comment améliorer le monde. Avec Fran il fréquente les milieux alter. Dans une manif, il tombe par hasard sur Hardy, et forment finalement un trouple avec Fran. Militance, tracts, manifestations : rien ne semble porter ses fruits, le monde continue de tourner de la même façon bancale. Finalement, ils montent une communauté alter dans la région d'origine du narrateur.
La guerre civile éclate : un événement inattendu, ils ont réussi, sans doute, à changer la marche du monde. Les enjeux sont confus, on ne sait pas qui se bat contre qui. Mais la communauté est visée, c'est un massacre, Fran et Hardy sont tués, le narrateur passe 20 ans en prison. En sortant la guerre est finie, l'État a resserré les vis, mais pourtant le monde va mieux et les jeunes ont repris à leur compte les tracts écrits il y a des dizaines d'années.
Peut-être que ces changements auront infusé, d'une façon ou d'une autre, dans la prochaine réincarnation/recommencement

La quatrième
Mais le monde est exactement le même. Retour au point de départ. Il retrouve Fran, qui l'enlève et part avec lui. Après avoir également enlevé Hardy, le narrateur devient petit à petit une sorte de messie d'une secte d'abord foutraque, puis pourchassée, puis de plus en plus importante. « Tout passe et tout revient, et je me souviens ». Conscient de la vacuité de tout, le narrateur s'apaise, ralentit, il a atteint la pleine conscience, la sainteté, l'absolu, il pense avoir atteint le bout de son chemin, la dernière incarnation.

La cinquième
Mais bien sûr que non. Fatigué de jouer à Dieu, il a envie de se reposer. Il fait tout pour s'amuser et se faire plaisir. Ayant appris dans d'autres vies les cours de la bourse, il gagne plein de thunes, achete une grosse voiture, et couche avec plein de meufs. Il s'ennuie un peu, croise Fran, qui bien que complètement paumé fini par comprendre qui il est : le narrateur le tue – une nouvelle expérience à son actif. Fini de chercher à faire le bien, aucune peur de l'enfer. Mais tout ça l'ennuie, et il se met à chercher Hardy. Renommée Laure, elle est doctoresse, fragile et borderline. Elle a l'impression de passer à côté de quelque chose, qu'il lui manque un truc, sans qu'elle sache quoi. Il lui raconte ses vies, puis nie tout : Laure/Hardy va à l'asile quelque temps, sa santé mentale cède. Il souffre autant qu'il aime la faire souffrir, espérant que sa méchanceté sera le bout de son chemin.
Quand elle sort de l'asile, elle lui fiche une balle dans la tête en lui disant « je le fais pour toi ».

La sixième
Fatigué et lassé, il cherche à simplement refaire sa première vie. Faire semblant que c'est la première fois, saigner du nez, rencontrer Fran, la guitare d'Hardy, la première fois… La première vie à été la meilleure, il s'en rend compte maintenant, et se satisferait de la revivre à l'infini. Il s'éloigne de Fran, peut-être que ce dernier, perspicace, a tout compris.
C'est compliqué de recréer une vie à l'identique, d'autant plus qu'il est assailli de souvenirs qui le dévorent. Hardy lui propose de les écrire : sans talent d'écrivain particulier, il met sur le papier ses souvenirs, les code et les transforme pour qu'ils soient méconnaissables.
Hélicéenne est son premier roman, basé sur sa deuxième vie.
La vie continue, tranquille. Les romans sont publiés dans une relative indifférence.
Jusqu'au jour où une lectrice se révèle intéressée par les livres, semble décoder les symboles : cette vieille femme elle a été la mentore de Fran comme Fran l'a été pour lui ; elle a elle aussi écrit des livres à clés ; Fran lui aussi a été un immortel mais il ne l'est plus. Pour le punir de ne pas avoir dit la vérité, Fran, maintenant recouvert de tatouages, le tue.

La septième
Et le nez ne saigne pas. Fran n'a pas de tatouage, il ne le reconnaît pas. Police, psychologues.
Bousculé par les souvenirs, ne comprenant pas vraiment ce qu'il s'est passé dans sa vie précédente, , il fait tout son possible pour retrouver Hardy ce fameux soir-là, mais ça ne marche pas, il est en retard, confus, elle a peur, s'enfuit.
Il est certainement devenu mortel, c'est sa dernière vie, et il la gâche, il passe à côté. Rien n'arrive comme il aurait aimé. C'est un petit marlou qui travaille sur des chantiers, perdu, nerveux, défoncé, sans but, assailli de souvenirs, pas loin d'être fou. Fran est différent, Hardy est loin.
À la trentaine, il s'est assagi. Il travaille toujours sur des chantiers, il apprend la guitare. Un soir qu'il est sur les quais parisiens, Hardy vient le voir, désespérée et hagard. Elle cherche de l'aide : ses mains saignent. Le pouvoir qui était à Fran puis à lui est arrivé chez Hardy.

* * *

Beaucoup beaucoup de choses à dire à propos de 7 (romans), il y aurait de quoi écrire des livres sur ce livre. Chaque roman pourrait être longuement analysé, l'ensemble pourrait être disséqué, les liens entre eux sont vertigineux.
C'est un livre long, pas loin de 700 pages, il y a un côté marathon à la lecture. Mais en même temps aucune coupe n'est possible : la longueur est à la hauteur de l'ambition et de la générosité de Tristan Garcia.
Les différents romans interrogent tous le rapport à la réalité, la création d'alternatives, questionnent ce qui fonde notre rapport au monde. Ce n'est pas surprenant, Garcia est aussi philosophe.
Il aborde des questions politiques (La Révolution permanente, troisième vie), mais sans vraiment y plonger : on sent que ce n'est pas son sujet, qu'il ne veut pas faire un livre militant sur ce plan, ou alors il est un peu timide et n'ose pas affirmer de choix. C'est un peu dommage.
On pourrait essayer de trouver les liens entre les premiers romans et les différentes incarnations :

  • Hélicéenne est la deuxième vie, comme il le dit lui-même : la confrontation de plusieurs personnalités dans un même corps, plusieurs âges qui cohabitent.
  • Les Rouleaux de bois me laisse un peu perplexe, même s'il s'inscrit évidemment dans la lignée du recueil.
  • Sanguine évoque sans doute les rapports avec Fran, dont les tatouages évoluent au fil des incarnations du narrateur, sans qu'on comprenne toujours quelle en est la raison (il y a sans doute des clés qui m'ont échappé).
  • La Révolution permanente fait de façon assez transparente référence à la troisième vie.
  • L'existence des extraterrestres évoque la secte de la quatrième vie.
  • Je ne sais pas trop où placer Hémisphères, même si les différentes sphères peuvent évoquer les différentes incarnations du narrateur, qui recréent des univers différents et hermétiques les uns par rapport aux autres.

L'ensemble est proprement vertigineux. Outre le fait que j'ai passé quelques nuits à me demander ce que je ferais si je pouvais m'incarner à l'infini moi aussi, je suis très impressionné par la rigueur de la construction, par la richesse de l'invention, par la débordance de l'imagination. Encore une fois, c'est vertigineux.

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Publié le 5 Juillet 2020

1962 : Pauline (Valérie Mairesse), 17 ans, est aspirante chanteuse. Elle retrouve son ancienne voisine Suzanne (Thérèse Liotard), 25 ans, qui sort avec François, un photographe encore marié. Ce dernier lui a fait deux gosses, mais ne s'en occupe pas, passant la majeure partie de son temps dans son studio. Suzanne est perdue et désespérée, d'autant plus qu'elle est à nouveau enceinte. Pauline va l'aider à avorter.
François, confronté à l'échec de sa vie professionnelle et sentimentale, se suicide, forçant Suzanne à quitter Paris pour aller vivre dans le Nord dans la ferme de ses parents désapprobateurs.
Dix ans plus tard, Pauline, devenue Pomme, chante des chansons féministes lors d'un rassemblement devant le tribunal de Bobigny pendant un fameux procès, auquel Suzanne est venue assister avec sa fille Marie. Les deux femmes, qui ne se sont pas vues pendant 10 ans, renouent rapidement, et s'enverront des cartes postales pendant les années qui suivent. Suzanne travaille dans une piscine à Hyères, elle a ouvert un centre du Planning familial.
Pomme est en couple avec Darius, un Iranien qu'elle a rencontré alors qu'elle est à Amsterdam pour se faire avorter. Alors que son groupe périclite, elle finit par l'accompagner en Iran, où elle l'épouse. Darius montre alors un nouveau visage, plus traditionaliste. Tombée enceinte, Pomme décide de rentrer en France, avec ou sans lui.
Suzanne l'accueille à son retour. Pomme laisse Darius rentrer avec son fils en Iran, à la condition qu'ils aient un deuxième enfant : un pour chacun. Elle renoue avec son groupe, et part en tournée. Suzanne épouse un pédiatre.
Les deux femmes restent amies, et se retrouvent régulièrement. Le film se termine sur ce constat : leur combat sert d'exemple à une nouvelle génération de femmes, à commencer par Marie, la fille de Suzanne, qui vient elle-même d'avoir 17 ans.

Allons droit au but : j'ai adoré ce film. Les deux actrices sont formidables, leurs personnages sont attachants, riches, regardés avec une grande tendresse par Varda. Le film les suit sur 20 ans, avec leurs difficultés, et en toile de fond l'évolution de la société. C'est le parcours de deux femmes libres sur leur route parfois compliquée vers l'émancipation. C'est magnifique, très bien écrit, avec un côté « Nouvelle vague » dans les dialogues auquel il faut un peu de temps pour s'habituer. Il y a quelques fulgurances, comme ce dialogue de Pauline avec ses parents (le père : « Pour les filles qui ne font pas d'études, il n'y a quel le mariage ou la prostitution. Suzanne : C'est un peu pareil. »)
Les chansons, dont les paroles sont écrites par Varda, sont magnifiques, interprétées par le groupe féminin Les Orchidées.
C'est un film qui donne envie d'aimer, de lutter, de s'émanciper. C'est magnifique et parfait.

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Publié le 27 Mai 2020

Nous sommes autour de 1935 en Alabama, dans une petite bourgade rurale. La narratrice est Scout, une jeune fille d'environ 6 ans au début. Le roman se concentre d'abord sur sa vie d'enfant : son grand frère Jem, environ 10 ans, son père Atticus, un avocat discret, cultivé, veuf et respecté ; les autres enfants, les histoires de voisinage. Scout et Jem, élevés par leur père, et plutôt en avance pour leur âge, sont notamment fascinés/effrayés par leur voisin Arthur « Boo » Radley, qui vit reclus chez lui depuis des années. Les débuts de Scout à l'école sont assez drôles, avec une nouvelle maîtresse qui ne connaît pas les us et coutumes du coin, et qui finit par se faire consoler par les enfants.
Une histoire est au début en toile de fond, et finit par prendre de plus en plus de place dans le roman : Atticus est chargé de défendre Tom Robinson, un Noir accusé d'avoir violé une fille blanche.

C'est vraiment un roman génial. Il est construit d'une façon très intelligente et élégante, les différents récits et anecdotes s'entremêlant d'une façon très organique. Le récit est porté par la voix d'une petite fille attachante et drôle, qui sait se faire oublier quand le récit le demande.
Le roman commence comme un récit d'enfance drôle et un peu foutraque, une sorte de comédie de mœurs avec des personnages hauts en couleur. Petit à petit, l'histoire du procès prend de l'ampleur, et Harper Lee réussit à créer une véritable attente. Quand le procès arrive enfin, on est suspendu au livre, on attend avec inquiétude le verdict. De façon malheureusement prévisible, Tom Robinson est condamné, malgré le fait qu'Atticus a démontré son innocence1. Sous ses airs de chronique enfantine, Ne tirez pas… est une charge assez féroce contre le racisme et la ségrégation encore en cours au moment de la sortie du roman – et toujours aujourd'hui évidemment, ce qui continue à donner au roman une actualité remarquable. Elle ose même poser la question qui fâche, pleine de la fausse naïveté de sa narratrice : comment la maîtresse peut-elle dire qu'Hitler est méchant à vouloir du mal aux Juifs, quand dans le même temps elle dit pis que pendre des Noirs ? Il y est également question de code switching, avant que le terme soit inventé.
C'est bien écrit, bien traduit par Isabelle Stoïanov, qui a fait un gros travail sur le rendu des accents et des parlers (même si sa façon de faire parler des Noirs, on se croirait dans Astérix), c'est drôle, touchant, prenant, c'est très politique, c'est un petit bijou. Et c'est d'autant plus étonnant que c'est un premier roman, et qu'Harper Lee n'a plus rien écrit après…

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1. Le roman s'inspire de plusieurs faits divers : les Scottsboro Boys, l'histoire d'Emmett Till déjà citée dans Le Temps où nous chantions.

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