Je suis vivant et vous êtes morts (Emmanuel Carrère, 1993)

Publié le 27 Décembre 2022

Ce livre est une biographie de Philip K. Dick, l'extraordinaire auteur de SF (Ubik, Le Maître du Haut Château, des nouvelles). Je dois admettre que j'ai d'abord été surpris par le ton sage du livre, Carrère me donnant l'impression d'aborder son sujet en ayant presque la frousse du fan. Probablement que cette impression est due au fait que j'ai relu le Ravel d'Echenoz cette année, et que j'attendais quelque chose de cet acabit. Ma mauvaise impression s'est estompée au fil de la lecture, sans que j'arrive à savoir si c'est Carrère qui prend ses aises, ou moi qui me suis habitué.
Carrère commence par l'enfance, la sœur jumelle mort quasiment à la naissance, la fréquentation avec les psychiatres, les relations compliquées avec les femmes (Phil Dick est un manipulateur, un maniaque, probablement un pervers narcissique, qui n'est sorti qu'avec des femmes d'une vingtaine d'années même quand lui en avait 60)… On a le résumé de quelques romans qui donnent furieusement envie de lire.

À la moitié du livre, arrive un moment de bascule : après une rupture au début des années 1970, Phil Dick, qui est terrifié à l'idée de vivre seul, ouvre sa maison à tout ce que la Californie compte de beatniks et de junkies – il consomme lui-même énormément de médicaments, de l'amphétamine, et ne refuse pas un joint à l'occasion. Cette errance prend fin avec un cambriolage, ce qui n'empêche pas Phil Dick de sombrer : ses penchants paranoïaques et complotistes, déjà présents, prennent le dessus. Il se convertit au christianisme, il fait une cure de désintox, il est persuadé que Dieu lui parle, il imagine des conspirations du FBI et du KGB, il pense que ses romans donnent des clés pour comprendre le monde, qu'il est comme Joe Chip dans Ubik et que quelqu'un lui fait passer des messages depuis un autre univers… À ce moment, il ne publie plus de romans, mais travaille d'arrache-pied à son Exégèse, une somme de réflexions de plus de 8000 pages que personne n'a jamais lu entièrement, y compris lui-même. Carrère passe beaucoup de temps à raconter toute cette période et à décrire tous les délires de Philip K. Dick, qui à ce moment-là, disons les mots, a sombré dans la folie.
Honnêtement, j'ai trouvé cette deuxième moitié longue et un peu pénible. Je comprends ce qui intéresse Carrère : un écrivain qui arrête d'écrire est toujours fascinant (comme un musicien qui arrête de jouer, voir Miles Ahead) ; et pour avoir lu Le Royaume, je connais le penchant de Carrère pour le mysticisme, mais je ne le partage pas.

Il n'empêche que c'est un livre intéressant sur un écrivain formidable, qui était aussi très probablement aussi fascinant que détestable.

Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #France, #science-fiction

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