Publié le 10 Juillet 2021

Dans ce livre, Édouard Louis raconte une soirée de Noël, au cours de laquelle, en rentrant chez lui, il croise la route de Reda qui l'aborde, que ÉL d'abord réticent finit par inviter chez lui. La nuit est agréable jusqu'à ce que Louis découvre son IPad dans la poche de Reda, et que la soirée devienne un vol, une tentative d'assassinat et un viol.

Cette histoire se déploie sur les 230 pages du livre, morcelée, le récit de l'après (porter plainte, habiter ailleurs, vivre avec la peur) se mêlant au récit de cette nuit-là. ÉL est minutieux dans ses description, dans sa recherche du sentiment précis, de la sensation juste.
Le livre est en grande partie écrit à la première personne, mais ÉL y glisse la retranscription du récit que fait sa sœur Clara à son mari mutique, une fois que ÉL lui a tout raconté, un an après les faits. Il s'amuse avec l'oralité de la langue de sa sœur, avec ses digressions, y répond, la corrige. C'est un artifice littéraire qui lui permet de décentrer le regard, de répondre à un point de vue extérieur. Mais c'est un artifice, et par moments cela se sent. ÉL semble en être conscient : à partir des 2/3 du livre, il finit par abandonner cette idée, il n'écoute plus sa sœur, et se satisfait d'un récit à la première personne.
C'est une histoire forte et intense, mais qui pêche un peu par la faiblesse de sa construction. La fin semble bâclée, comme si ÉL ne s'intéressait plus vraiment à son récit, les différentes narrations (la sœur) s'emmêlent parfois les pinceaux. C'est une construction compliquée et un peu bancale, qui aurait mérité à être allégée, remaniée, simplifiée.
Je comprends bien les raisons qui ont poussé Édouard Louis à faire ces choix, mais je ne trouve pas que l'ensemble fasse un bon roman. Peut-être a-t-il été écrit trop tôt après les évènements, peut-être ÉL n'a pas (encore ?) la force littéraire pour porter ce récit. Ce n'est en tout cas pas un livre qui a la force d'En finir avec Eddy Bellegueule.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #France

Publié le 8 Juillet 2021

La narratrice est une prof de lycée, mère récemment séparée d'une petite fille. Elle rencontre Sarah, violoniste impétueuse, drôle, pleine de fougue et de folie. Rapidement c'est l'amour fou, fou au point de les abîmer l'une et l'autre, de ne pouvoir vivre séparées, de s'étouffer.

C'est un roman en deux parties, la première sur cet amour très beau et très touchant, qui petit à petit devient toxique et dangereux, une passion qui comme chacun·e sait, peut être dévorante ; la deuxième sur la fin de l'amour, sur l'après, la survie à cet amour, dans une fuite tout aussi folle et nocive.
C'est écrit avec beaucoup de justesse et d'élégance. C'est un roman joyeux et tragique, beau et triste, heureux et désespéré, une histoire d'amour magnifique et terrifiante.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #France

Publié le 5 Juillet 2021

Vernon, devenu sdf, habite dans le coin des Buttes Chaumont. Il n'est pas en forme et reçoit de l'aide de Charles, un vieil alcoolique qui a gagné au loto mais a décidé de garder le même train de vie.
Pendant ce temps, tous les anciens amis de Vernon le cherchent : pour retrouver les bandes d'Alex Bleach, par culpabilité, par inquiétude sincère pour lui. Les Buttes Chaumont vont devenir le lieu de rendez-vous de cette drôle de bande.

C'est une suite réussie, avec une tonalité similaire : plein de personnages, la narration qui se fixe sur chacun d'entre eux alternativement. C'est un peu vertigineux mais Despentes a la bonne idée de mettre un index des personnages en début du livre – sans ça je ne suis pas sûr que j'aurais réussi à aller jusqu'au bout.
Ces personnages sont toujours aussi riches, variés et attachants, l'intrigue globale n'est pas forcément extraordinaire mais je prends du plaisir à être avec eux. L'écriture nerveuse permet de lier tous ces ingrédients.

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #littérature, #France

Publié le 29 Juin 2021

Machiko est une jeune femme qui a perdu son jeune fils récemment. Elle est embauchée dans une maison de retraite à la campagne. Shigeki est un des pensionnaires, qui a un peu perdu la boule à la suite de la mort de sa femme. Les deux personnages vont se lancer dans un périple au cœur de la grande forêt de Mogari, sur la route de leur passé et de leurs douleurs.

C'est un film beau et sensible, qui peut-être reste un peu trop à la surface de son sujet. C'est une longue divagation poétique, mais peut-être manque-t-elle un peu de substance pour vraiment rester dans ma mémoire.
Les images sont souvent très belles, la campagne japonaise est magnifique. Naomi Kawase filme beaucoup caméra au poing, et c'était déjà un défaut que j'avais relevé dans Still the Water (même si ce film était sans doute plus riche).

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Rédigé par Vincent Sorel

Publié dans #cinéma, #Japon

Publié le 24 Juin 2021

Lorsque l'usine à fermé, la ville de Fern a disparu en même temps que le boulot. Elle se retrouve seule, sans enfant, veuve, avec son van comme seule maison. Allant de petit boulot en petit boulot, elle intègre une communauté de nomades, laissés pour compte de la société moderne, vivant dans un à-côté aussi difficile que riche et joyeux.

C'est un film qui frôle le documentaire, puisqu'une bonne partie des personnages rencontrés sont de vrais nomades, dans leur propre rôle. Ce côté cinéma-vérité se ressent dans la justesse et la finesse des personnages. Frances McDormand est presque la seule actrice professionnelle, elle est magnifique, touchante, sensible.
Chloé Zhao reste près de ses protagonistes, avec beaucoup de pudeur et d'élégance. Les décors sont souvent sublimes, presque irréels de beauté.
C'est un film assez politique, mais qui laisse le monde extérieur en dehors, qui reste à distance de la politique. On n'est pas chez Ken Loach, ce n'est pas du cinéma social à proprement parler. La réalisatrice reste aux côtés de ses personnages, mais le choix de ce thème convoque avec lui un discours sur le monde capitaliste d'aujourd'hui qui n'est pas vraiment dans le film, mais qu'on ne peut pas ignorer.

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Publié le 17 Juin 2021

« Le féminisme n'a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours » (Benoîte Groult).
Mais est-ce si vrai ? Et face à la violence patriarcale et capitalistique, la non-violence est-elle vraiment le seul mode d'action (efficace) ?

Dans ce petit livre percutant, Irene dessine des portraits de femmes, toutes confrontées d'une façon ou d'une autre à la violence.

Le patriarcat est violent par essence. Et sa destruction le sera aussi. Depuis la nuit des temps, des femmes ont fait usage de la violence pour se libérer des carcans imposés par leur condition. Le féminisme est violent depuis le début. Mais à la différence du patriarcat, la violence féministe n'est pas oppressive. Elle est subversive. La violence comme outil du féminisme est tout simplement un moyen d'autodéfense, un moyen de survie. Et c'est bel et bien un moyen, et non pas une fin. (p. 68)

Dans ce texte brillant, Elsa Dorlin parvient à résumer, en quelques lignes, les trois enjeux principaux de l'autodéfense féministe  : la politisation, la réappropriation des corps oppressés et la mise en place d'une stratégie efficace et organisée. J'aime ce terme d'autodéfense car il résume parfaitement la réalité : le féminisme est une riposte, une réponse  pour se défendre de la misogynie. La violence féministe est une violence défensive et non pas oppressive. (p. 93)

1. Fiction
Artemisia Gentillesi, peinteresse de la Renaissance qui a galéré pour exercer, a fait deux versions de Judith décapitant Holopherme. De nombreux artistes ont représenté cet épisode d'une façon parfois plus sage. Il prend ici sans doute une autre dimension quand on sait qu'Artemisia Gentillesi s'est représentée sous les traits de Judith, et qu'Holopherme a le visage de son ancien mentor et violeur Agostino Tassi.
Le personnage de Lisbeth Salander (Millenium) est un autre modèle d'une femme qui, en plus de refuser de se conformer à l'image de la féminité conventionnelle, n'a pas peur de s'adonner à la violence quand cela le justifie.
Valérie Solanas, dans son SCUM Manifesto, imagine une société (utopique ?) dans laquelle l'humanité s'est débarrassée des mâles.

2. Réponse à des agressions
Irène évoque sa grand-mère qui, après avoir été battue une 3e fois, a menacé son mari de le tuer pendant son sommeil ; les féminicides, notamment une victime de violences conjugales sur 40 ans en Espagne, finalement brûlée vive par son mari ; Maria del Carmen, qui a mis le feu au violeur de ses filles ; Jacqueline Sauvage ; Noura Hussein, une soudanaise qui a tué le violeur avec lequel elle venait d'être mariée de force. C'est ce meurtre qui rend extraordinaire cette histoire en réalité tristement banale.

3. Violence politique
Les suffragettes ont mené un combat parfois violent, elles se sont affrontées aux forces de l'ordre, et ont fait de la prison. Mais leur combat a été victorieux. Les femmes Black Block peuvent être vues des héritières de cette lutte.
Zora la rousse, en Allemagne, un collectif d'Action directe qui a perpétré plusieurs attentats à la bombe et incendies, sans faire aucune victime.
Au Mexique, Diana la « chasseuse de chauffeurs » mène une vengeance contre les agressions sexuelles commises par des chauffeurs de bus.

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Publié le 15 Juin 2021

Christiane est une habitante conquise de Berlin-Est vivant à l'heure du socialisme conquérant. Son mari est parti à l'Ouest, et ses deux enfants, Alex et Ariane, se débattent dans ce monde difficile.
Alors que son fils manifeste pour la liberté, Christiane fait un infarctus qui la laisse dans le coma pendant plusieurs mois, pendant lesquels le Mur s'effondre.
Au réveil de leur mère, très fragile et ne pouvant pas supporter de choc émotionnel, Alex et Ariane créent un monde de toutes pièces, dans lequel la RDA est toujours forte et victorieuse.

C'est un film élégant, drôle, bien écrit et touchant. Il est bien mis en scène, même si je ne suis pas super fan des petits accélérés qui introduisent certaines scènes et qui m'évoquent trop le cinéma burlesque pour coller à l'image que je me fais du film. C'est un film que tout le monde a déjà vu, mais qui reste hautement recommandable.

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