Patrick Bateman, le narrateur du roman, est un golden-boy new-yorkais, très riche, beau, qui passe ses journées à la salle de sport, à se faire des soins du corps, à sortir avec des filles, à soigner son look, à prendre de la coke, à boire de la vodka, et à torturer à mort des femmes.
Bon, je suis venu à bout d'American Psycho. Ça n'a pas toujours été évident.
Ellis décrit un monde de golden-boys parfaitement répugnants et détestables. Ils évoluent dans une vacuité totale : l'argent, les gonzesses, le luxe, les fringues, l'apparence. Le racisme, l'homophobie, la violence sociale : ils se moquent des clochards, les insultent, leur expliquent qu'iels feraient mieux de trouver un boulot. Ce sont des beaufs. Bateman passe son temps à détailler les vêtements de ses compagnons, ainsi que les siens, ce qui donne lieu à de longues listes de marques qui oscillent entre la poésie et des pages publicité de magazines de luxe. Le chapitre Au Matin (p. 39) n'est que la longue liste des soins corporels de Bateman ; Au club de gym (p 95) sa longue série d'exercices de muscu. Ce sont ses centres d'intérêt. Ce sont des personnages irréels.
C'est d'ailleurs assez amusant de voir que Bateman ne parle jamais de travail. On suppose qu'il bosse dans la finance, mais il n'a pas l'air de foutre grand-chose. Lui et ses potes sont des parasites.
La violence physique, meurtrière, est elle aussi d'abord irréelle, glissée au détour d'une phrase :
Après quelques extensions supplémentaires pour me détendre, je prends une rapide douche brûlante, et file au magasin de vidéos pour rendre les deux cassettes que j'ai louées lundi, She-Male Reformatory et Body Double, mais je reloue Body Double, que j'ai l'intention de regarder de nouveau ce soir, bien que, je le sais, je n'aurai pas le temps de me masturber sur cette scène où la femme se fait perforer à mort par une perceuse électrique, puisque j'ai rendez-vous avec Courtney à sept heures et demie, au café Luxembourg. (p. 98)
Les meurtres sont mentionnés de la même façon qu'une séance de manucure. C'est un détail pour Bateman. Mais petit à petit, ils prennent plus de place, et les descriptions de séances de torture (réellement insoutenables parfois) deviennent plus minutieuses, plus précises. Bateman est un vrai psychopathe, un tortionnaire qui prend plaisir à tuer, qui fait subir à peu près les pires sévices imaginables. Mais c'est toujours décrit avec la même distance que quand il évoque ses exercices à la salle de sport. Après le meurtre d'un clochard (p. 178), on a droit à plusieurs pages de commentaires sur la discographie de Genesis (p. 180).
Et puis, petit à petit, on se rend compte que Bateman n'est pas un narrateur très fiable. Avec ses compagnons de soirée, il décrit parfois les horreurs qu'il commet, mais ses compagnons répondent à autre chose : les mots qu'il a prononcés ne sont pas ceux qu'il nous dit, ceux qu'il a pensés. Qu'est-ce qui est vrai dans ce qu'il raconte ? Il est clairement fou, il se met à halluciner de plus en plus au cours du roman. Peut-être que tout est mensonge, ou plutôt, que tout est fantasme, imagination, que rien ne se passe réellement.
Au final, qui est-il, ce Patrick Bateman ? Personne, tout le monde. C'est assez significatif qu'à peu près tous les gens qui le croisent le confondent avec d'autres : dédoublement de personnalité, ou personnalité transparente ?
Je possédais tous les attributs d'un être humain – la chair, le sang, la peau, les cheveux –, mais ma dépersonnalisation était si profonde, avait été menée si loin, que ma capacité normale à ressentir de la compassion avait été annihilée, lentement, consciemment effacée. Je n'étais qu'une imitation, la grossière contrefaçon d'un être humain. (p. 373)
Et parfois, tout de même, ce parfait sac à merde à réussi à m'émouvoir.
Je me demande s'il n'y a pas quelque chose à creuser du côté du nom de Bateman, si Ellis ne s'amuse pas de l'homophonie (en français au moins) entre Batman et Bateman : double personnalité, deux personnes qui vont tabasser des gens la nuit…
Bref, c'est une description assez extrême et violente d'un certain monde contemporain, de la dépersonnalisation propre au monde de la finance, à l'idéologie du pognon et de la réussite, un monde dans lequel on peut dépecer des gens et rester apprécié de tous. C'est un roman particulièrement percutant, dense et riche – à réserver quand même aux lecteurices au cœur bien accrochés ; je déconseille la lecture le soir avant de s'endormir…
Un petit détail savoureux que j'ai gardé pour la fin : Patrick Bateman est un fan absolu de Donald Trump.